France
Le colonialisme réhabilité
(Photo: AFP)
La France s’est dotée, le 23 février 2005, d’une loi intitulée « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Depuis plusieurs années le débat agite le milieu politique français qui n’arrive pas à donner une réponse saine et dépassionnée aux attentes des Français rapatriés d’Algérie, au moment de l’indépendance de ce pays, et des Algériens qui ont combattu aux côtés de l’armée régulière française, appelés Harkis. Combattants loyalistes pour les uns, traîtres pour les autres, les Harkis ont été contraints au départ de leur pays au même titre que les Français. A travers différentes associations, les Français d’Algérie appelés « Pieds noirs » n’ont eu de cesse de réclamer des droits à la réinsertion en métropole, alors que les Harkis revendiquaient une certaine reconnaissance de leur citoyenneté pleine et entière de Français. Mais la République impartiale n’avait jamais pu élever ses différents enfants au même rang.
La communauté des Pieds noirs se réclamait d’une certaine identité tout à la fois propre à eux, et française, alors que les Harkis, longtemps appelés « Français d’origine musulmane », sont restés Algériens. Mais à l’indépendance de l’Algérie, en 1962, les uns et les autres ont quitté un même un pays et abandonné leurs biens. Le déchirement et les blessures non cicatrisées n’ont autorisé la reconnaissance par le Parlement de la guerre d’Algérie comme telle qu’en 1999. Mais c’est en 1996, que le président de la République Jacques Chirac évoque, parlant des Français d’Algérie, «l’importance et la richesse de l’œuvre que la France a accomplie là-bas et dont elle fière».
Débat autour d’une certaine lecture de l’histoire
C’est donc l’histoire de la France en Algérie qui va inspirer une loi qui se veut réparatrice. La loi promulguée le 23 février compte 13 articles et n’aborde les détails techniques d’indemnités et d’allocations diverses qu’à partir de l’article 6. Le texte initial a été rallongé et une place prééminente a été accordée à « la nation reconnaissante ». Mais l’hommage solennel s’apparente à une ode du colonialisme, comme imposée sous la troisième République pour justifier les guerres coloniales. L’article 4 de la loi stipule : « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à la quelle ils ont droit ».
Ce petit passage alimente aujourd’hui le débat autour d’une certaine lecture de l’histoire qui se profile, cette histoire officielle qui renvoie à la « mission civilisatrice » des expéditions coloniales. La qualification d’emblée positive du rôle de la présence française outre-mer, efface d’un trait l’appréciation critique et le regard objectif que l’historien doit observer pour restituer la vérité du passé. A l’évidence, le législateur a fait le choix de laisser à la postérité une certaine idée de la France et d’une certaine catégorie de citoyens. Or, l’histoire souvent douloureuse a tissé des liens entre les populations qu’il serait hasardeux de distinguer selon le degré de dévotion à la puissance colonisatrice. La colonisation quelle qu’elle soit, n’est glorieuse que pour le colonisateur. La Chine peut faire l’éloge de sa présence au Tibet, mais les Tibétains sont-ils en mesure de comprendre la jubilation des nouveaux maîtres ? Comment les Coréens prendraient-ils aujourd’hui l’étalage d’autosatisfaction du Japon à propos de la colonisation de la Corée ?
En Afrique du nord, en Afrique sub-saharienne ou en Indochine une telle démarche d’affirmation du « rôle positif de la présence française » ne peut être ressentie que comme un mépris de l’histoire des hommes qui se sont battus pour préserver leur identité. La lecture officielle et partisane de l’histoire de la colonisation sera matérialisée par « une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie », prévue par l’article 3 de la loi. Cette fondation sera érigée à Marseille.
par Didier Samson
Article publié le 10/04/2005 Dernière mise à jour le 10/04/2005 à 14:03 TU