Amériques
Le casse-tête de l’OEA
(Photo : AFP)
Repoussée en raison du décès du pape Jean-Paul II, l’élection du nouveau secrétaire général de l’Organisation des Etats américains, initialement prévue le 4 avril, s’est transformée en véritable feuilleton à rebondissements. C’est finalement le lundi 11 avril que se sont réunis à Washington les représentants des 34 membres de cette instance. Et cinq tours de scrutin n’ont pas suffit à départager les deux candidats en lice, le Mexicain Luis Ernesto Derbez et le Chilien Jose Miguel Insulza, qui ont respectivement obtenu 17 voix à chaque tour. Face à cette égalité parfaite, les statuts de l’OEA prévoient l’organisation d’un nouveau scrutin à bulletins secrets, qui a été fixé au 2 mai, et la possibilité qu’un troisième candidat puisse alors se présenter de manière à briser cette égalité parfaite.
Jamais auparavant l’OEA, une instance créée en 1948, n’avait connu une telle impasse. Lors de la précédente élection organisée en juin 2004, les 34 membres avaient voté à l’unanimité pour le Costaricain Miguel Angel Rodriguez, qui avait pris ses fonctions de secrétaire général en octobre dernier. Deux semaines plus tard, il était contraint de quitter ses fonctions à cause d’un scandale politico-financier, cet ancien président du Costa Rica étant accusé d’avoir perçu des commissions en échange de l’attribution d’un considérable contrat de téléphonie à l’entreprise Alcatel. Et depuis la démission de Miguel Angel Rodriguez, le premier représentant d’un pays d’Amérique centrale à s’être installé dans le fauteuil de secrétaire général de l’OEA, Luigi Einaudi, ambassadeur des Etats-Unis, se charge d’assurer l’intérim.
Au vu des élections précédentes, son remplacement ne semblait pas pouvoir susciter une telle lutte au sein de cette communauté qui regroupe l’ensemble des pays américains et de la zone Caraïbes, à l’exception de l’île de Cuba qui en a été exclue en 1962. La candidature du Salvadorien Francisco Flores jouissait du soutien de nombreux pays membres, notamment celui, primordial, des Etats-Unis. Un soutien des Etats-Unis qui s’est avéré contre-productif, plusieurs membres de l’OEA n’hésitant pas à reprocher à Flores les liens très forts qu’il entretient avec Washington. Et Flores a finalement décidé de se retirer de cette course électorale dimanche, la veille du scrutin, laissant face à face Luis Ernesto Derbez, ministre mexicain des Affaires étrangères, et Jose Miguel Insulza, ministre chilien de l’Intérieur. Deux hommes qui tentent depuis, en vain, d’obtenir la majorité des voix (18) au sein de cette assemblée.
Un continent divisé en deux blocsLes négociations devraient redoubler d’intensité au cours des trois prochaines semaines pour tenter de convaincre certains membres de changer leur vote. Un jeu d’équilibres politiques au cœur duquel les Etats-Unis, qui versent près de 60% du budget de cette instance régionale, jouent un rôle prépondérant. Et comme ils ont clairement jeté leur dévolu sur Ernesto Derbez, la résistance du Chilien Jose Miguel Insulza, qui a réussi à remporter cinq fois de suite le même nombre de voix, est interprétée par les pays opposés à la politique étrangère des Etats-Unis comme une véritable victoire. Une situation qui montre clairement, selon l’ancien ministre brésilien des Affaires étrangères Luiz Felipe Lampreia, «la division entre un bloc dirigé par les Etats-Unis et un bloc sud-américain».
Cette thèse est reprise et développée par l’analyste politique Michael Shifter, vice-président du centre de recherches Dialogue interaméricain. «Il existe une division profonde dans l’hémisphère et ce qu’il se passe au sein de l’OEA en est le symptôme. (…)Les gouvernements d’Amérique du Sud, à l’exception notable de la Colombie, cherchent une plus grande autonomie et indépendance par rapport aux Etats-Unis», a expliqué Michael Shifter à l’AFP. Fer de lance de ce mouvement de contestation, le Venezuela a logiquement salué ce revirement politique. «Je crois que, pour la première fois, l’OEA a montré qu’elle n’était pas contrôlée par les Etats-Unis», a déclaré José Vicente Rangel, vice-président vénézuélien.
Le candidat chilien a bénéficié du soutien de tous les pays dans lesquels des personnalités de gauche, ou progressistes, ont récemment accédé au pouvoir, comme l’Uruguay, l’Argentine ou le Brésil. L’une des rares exception est la Bolivie, un pays avec lequel le Chili entretient des rapports très difficiles depuis la fin du 19e siècle, le gouvernement bolivien réclamant aux autorités chiliennes l’octroi d’un accès à la mer. Ne cachant pas sa fierté «d’avoir mené ce combat», Jose Miguel Insulza a salué les pays qui ont su résister à «d’énormes pressions» pour soutenir sa candidature. Et il espère que la période de réflexion en cours va permettre à un consensus diplomatique de se dégager, de manière à éviter toute confrontation au sein de l’OEA. Certains observateurs craignent en effet qu’une trop grande polarisation ne conduise à réduire l’action de cette instance qui veille notamment au respect des règles démocratiques sur le continent. Et ils insistent, au contraire, sur la nécessité pour les Etats membres de réussir à renforcer leur cohésion.
par Olivier Bras
Article publié le 13/04/2005 Dernière mise à jour le 13/04/2005 à 17:49 TU