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Église catholique

Benoît XVI doit encore convaincre ses compatriotes

A l'exception du quotidien populaire <EM>Bild</EM>, la presse allemande n’a dans l'ensemble pas fait dans l’euphorie cocardière.(Source : Das Bild)
A l'exception du quotidien populaire Bild, la presse allemande n’a dans l'ensemble pas fait dans l’euphorie cocardière.
(Source : Das Bild)
L’enthousiasme suscité par l’élection du nouveau pape Joseph Ratzinger dans son propre pays reste mesuré. Personnalité très discutée en Allemagne, le conservateur bavarois est fragilisé par ses prises de position radicales auprès d’une base plus progressiste.
De notre correspondant à Berlin

«Nous sommes pape». Comme à son habitude, le quotidien populaire Bild Zeitung n’a pas fait dans la dentelle mercredi matin pour saluer l’élection de Joseph Ratzinger. En page intérieure, le commentaire du jour faisait dans le cocorico germanique : «Oh joie ! Le monde catholique a un nouveau chef. Oh fierté ! C’est un Allemand». Tout aussi peu conventionnel, mais beaucoup plus critique, le quotidien de gauche Tageszeitung paraissait hier avec une Une complètement noire en signe de deuil surmontée du titre ironique «Oh, mein Gott !» (Oh, mon Dieu !).

Dans l’ensemble, la presse allemande n’a pas fait dans l’euphorie cocardière. La presse conservatrice est plutôt bienveillante. Die Welt a évoqué «un grand honneur» pour l’Allemagne titrant un portrait d’une page «L’Allemand». Le quotidien des milieux d’affaires Frankfurter Allgemeine a même publié –une sensation- une photo sur sa une.

Mais la plupart des commentaires sont restés nuancés voire mitigés. Certains veulent éviter de diaboliser le nouveau pape rejetté par ses opposants comme conservateur voire réactionnaire. «Le monde sait qui est Joseph Ratzinger. Mais qui est Benoit XVI ?», s’interrogeait le quotidien Westdeutsche Zeitung. «Il peut surprendre», estimait un commentaire du quotidien de centre gauche Süddeutsche Zeitung  affirmant pourtant que la majorité des catholiques allemands, y compris beaucoup d’évêques, craignaient l’élection de Ratzinger. Le journal de gauche Frankfurter Rundschau parle d’un «choc» ; le Tagesspiegel de Berlin d’une «décision tournée vers le passé qui ne répond pas aux problèmes d’aujourd’hui».

L’unanimité régnait, comme à l’accoutumée, dans les télégrammes de félicitations de la classe politique, à l’exception de quelques bémols chez les Verts et les Libéraux. Le chancelier Gerhard Schröder ainsi que le président de la république Horst Köhler assisteront à la messe d’intronisation de Benoît XVI dimanche à Rome.

La hiérarchie catholique allemande s’est évidemment félicitée de cette élection. Les quatre cardinaux Lehmann, Meisner, Wetter et Sterzinksy, membres du conclave qui a élu Joseph Ratzinger ont arrosé l’élection de leur compatriote à Rome mardi soir. La petite histoire veut que les sœurs qui faisaient le service aient même servi du mousseux…

L’enthousiasme n’a pas embrasé l’Allemagne

On a aussi fêté l’événement dans le village natal de Joseph Ratzinger, à Marktl en Bavière près de la frontière autrichienne. Plusieurs centaines ont bravé une météo peu clémente avant de se réveiller mercredi matin et de constater que leur village de 2 700 habitants étaient envahi par la presse internationale. Les marchands du temple n’ont pas perdu le Nord. Une «tarte du pape Benoît» et un «pain du Vatican» étaient déjà en vente quelques heures après l’élection du nouveau pontife.

Mais l’enthousiasme n’a pas embrasé l’Allemagne. Les 26 millions de catholiques, la deuxième communauté du pays après les protestants, restent partagés. Certes le comité central des catholiques allemands, l’organisation des laïques au sein de l’Église, s’est félicitée de l’élection de Joseph Ratzinger. Le mouvement œcuménique «Église d’en bas» a jugé quant à lui que «la décision n’aurait pas pu être pire. Les cardinaux ont tranché en faveur d’une vision fondamentaliste du catholicisme. C’est une catastrophe», pour le responsable de l’organisation, Hans Göhrig, qui a comparé le nouveau pape à un inquisiteur. «C’est une immense déception pour d’innombrables personnes qui avaient espéré un pape réformiste», a jugé le théologien contestataire Hans Küng.

À la base, certains catholiques considérant l’élection du conservateur Ratzinger comme une provocation auraient décidé de quitter l’Église. Tout Allemand baptisé en est membre et doit en conséquence s’acquitter de l’impôt prélevé à la source pour financer les grandes religions dans ce pays où les Eglises et l’État ne sont pas séparés. Quitter l’Église implique une démarche administrative. Un catholique sur le départ écrivait mardi soir sur internet : «Je ne peux pas faire grand chose contre Bush, mais je ne financerai en aucun cas Ratzinger». La féministe connue Alice Schwarzer a indirectement invité les femmes catholiques à en faire de même jugeant qu’il serait impensable au XXIe siècle que les Noirs ne puissent pas devenir prêtres ou cardinaux, alors que cela est toujours refusé aux femmes.

Autre sujet de discussion, l’adhésion de Joseph Ratzinger aux jeunesses hitlériennes. La polémique lancée ou relancée par la presse britannique parait exagérée. L’intéressé n’a jamais nié son enrôlement, soulignant qu’il avait eu lieu contre son gré à l’âge de douze ans en 1939.

Au-delà de la pure dimension religieuse de l’élection d’un pape discuté dans son propre pays, certains s’interrogent déjà en Allemagne sur les conséquences politiques de l’élection de Joseph Ratzinger. La conférence épiscopale allemande y voit un symbole historique. «C’est un signe important du retour définitif de l’Allemagne dans la communauté internationale des peuples». La semaine dernière encore, le théologue Wolfgang Seibel affirmait «ne pas pouvoir imaginer qu’un Allemand soit élu pape, les Allemands restant toujours pénalisés en raison du nazisme et du massacre des juifs».

L’élection de Joseph Ratzinger pourrait avoir des conséquences sur les débats politiques et de société en Allemagne. L’ex-cardinal s’était par exemple opposé à toute participation de son Eglise aux centres de conseil pour les femmes qui envisageaient un avortement. Le Bavarois conservateur entretient de bonnes relations avec les chrétiens-sociaux du Sud de l’Allemagne. Des réformes de société du gouvernement allemand actuel comme le mariage homosexuel constituent pour Ratzinger une hérésie. Plus largement, la modernisation de la société allemande entreprise depuis 1998 par les sociaux-démocrates et les Verts marqués par l’esprit de 68 est à l’opposé des idées du nouveau pape traumatisé à la fin des années 60 par la réforme étudiante alors qu’il était enseignant en théologie. Certes, comme le souligne Spiegel online, Benoît XVI ne pourra avoir en Allemagne le même poids que son prédecesseur en Pologne. «Mais il pourrait contribuer à favoriser une contre-offensive des conservateurs contre les soixante-huitards».

Le premier déplacement du nouveau pape dans son pays à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse à Cologne en août seront l’occasion d’un premier test pour jauger la popularité de Benoît XVI en Allemagne.


par Pascal  Thibaut

Article publié le 21/04/2005 Dernière mise à jour le 21/04/2005 à 12:12 TU