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Togo

Scrutin sous haute tension

Carte du Togo.(Cartographie: Marc Verney/RFI)
Carte du Togo.
(Cartographie: Marc Verney/RFI)
«Suicidaire», comme l’a prophétisé vendredi à l’aube le ministre de l’Intérieur immédiatement limogé, François Esso Boko, ou contestable, comme persiste à le dire la coalition de l’opposition, «l'élection présidentielle doit se tenir à la date prévue», c’est-à-dire ce 24 avril, a tranché la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao). C’est bien ainsi que l’entendait le président par intérim, Abass Bonfoh. La campagne électorale s’est donc refermée vendredi sur deux meetings adverses. Celui du candidat unique de l’opposition, Emmanuel Akitani s’est tenu dans le stade de Lomé où un jour de 1993, feu Gnassingbé Eyadéma avait sifflé «la fin de la récréation» démocratique. Le poulain du pouvoir, Faure Gnassingbé avait pour sa part choisi Kara, au cœur de son fief paternel. Après l’armée, jeudi, quelque 2,2 millions de Togolais sont appelés aux urnes dominicales.

Le président en exercice de la Cedeao, Mamadou Tanja, n’a pas mâché ses mots contre «l’initiative irresponsable» de l’ex-ministre de L’intérieur, l’officier de gendarmerie, François Esso Boko. De sa retraite tenue secrète, ce dernier assure aujourd’hui à l’Agence France Presse que «dix gendarmes qui ont servi sous [son] autorité dans [son] cabinet, comme chauffeurs, escorte ou garde rapprochée, ont été arrêtés ainsi que [sa] grande sœur». Il se déclare «en sécurité, discrètement protégé par des soldats qui ne souhaitent pas non plus [qu’il] quitte le pays». Il ajoute avoir «consulté, avant de faire [sa] déclaration, plusieurs officiers» qui, dit-il, «sont sur la même ligne» que lui. L’ex-ministre chargé de la sécurité affirme également que «les soldats sont à bout de souffle». Ils avaient eux-même voté quelques heures avant son coup de théâtre de vendredi matin.

Comme d’habitude au Togo, les forces de l’ordre togolaises ont été appelées aux urnes, jeudi, avant les civils dont elles sont chargées d’assurer la sécurité. L’armée a-t-elle voté comme un seul homme ? Et dans quel sens ? Nul n’a en tout cas oublié que Faure Gnassingbé avait été installé manu militari dans le fauteuil laissé vacant par son père. Les mêmes galonnés peuvent-ils s’incliner devant une éventuelle victoire de l’opposition ? L’ex-ministre de l’Intérieur est l’un des personnages les mieux placés pour en juger. De même, sa mission de répression lui commandait d’évaluer la détermination et la capacité de résistance du camp adverse. A-t-il agi en cavalier seul en lançant sa proposition de repousser les élections et d’organiser une transition concertée avec l’opposition ? Celle-ci s’est contentée hier de saluer «un acte courageux» et une prophétie de guerre civile qui rejoint ses «propres préoccupations également exprimées par les Eglises et le Barreau».

«Il y aura 200 morts et alors?»

Pour sa part, à Paris, l'ancien secrétaire d'Etat français Kofi Yamgnane rapporte une conversation téléphonique avec François Boko. Celui-ci lui aurait expliqué vendredi matin que ses services lui ayant affirmé que «si cette élection a lieu dimanche, dès le soir, on déplorera au moins deux cent morts», il était allé faire un rapport au président par intérim. Mais, poursuit Koffi Yamgnane, «quand il est arrivé, il y avait des généraux faucons. Quand il a fini son exposé, un des généraux a dit : Il y aura 200 morts et alors? C'est pas nous qui mourrons, c'est les autres. Tu peux dégager!». A l’aube du 22 avril, François Boko a donc voulu faire savoir à l’opinion internationale qu’il «est intenable de continuer à mettre en permanence nos soldats sous pression à la recherche d'un ennemi du dedans qui n'existe pas».

Dans sa déclaration matinale, l’officier de gendarmerie avait également demandé «une amnistie générale» ainsi que l’amélioration des «conditions matérielles de nos soldats». François Boko, comme l’opposition du reste, pose la question de l’armée en termes de «réconciliation nationale». Mais à ses yeux, elle est urgente et doit précéder le vote national, faute de quoi, selon lui, le Togo doit s’attendre à de «sombres perspectives post électorales». François Boko connaît mieux que quiconque le bilan effectif de la répression et celui des affrontements qui ont opposé depuis février les partisans de l’opposition à ceux de l’ancien parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). Officieusement, il y aurait déjà une quinzaine de morts et des dizaines de blessés. Mais la tension a grandi et faute de fusils, réservés, eux, à des militaires triés sur le volet, les foules de manifestants se sont hérissées de gourdins et de machettes.

Pour François Boko, dans ce «scrutin à l’issue incertaine», un seule chose est sûre : le «risque de dérapages sanglants». Qu’il ne veuille pas «en assumer la responsabilité» témoigne aussi de ses incertitudes de dignitaire du régime quant à la tournure de l’Histoire togolaise. Il lui est visiblement difficile de parier sur l’avenir. Il vient en tout cas de descendre de la barque RPT, à la grande fureur d’Abass Bonfoh qui a donc reçu l’appui de la Cedeao et de tous ceux qui en Europe ou en France lui ont délégué le soin de veiller aux destinées du Togo. Pour le département d’Etat américain en revanche, «le ministre Esso Boko a fait preuve d'intégrité et de courage en partageant ses préoccupations sur le processus électoral».

«L'ordre public sera maintenu sans réserve», a lancé le président par intérim, Abass Bonfoh, rappelant qu’une force de 3 500 hommes a été tout spécialement mise sur pied pour assurer la sécurité des élections. Avec un jour d’avance sur le scrutin, les autorités ont fermé les frontières. Seule la Cedeao pourra observer en force «l'élection de tous les dangers», comme la qualifie Yawovi Agboyibo, l’un des chefs historiques de l’opposition. Au nom de sa coalition, ce dernier accuse l’organisation régionale de n’avoir «jamais compris la gravité de la situation togolaise». Pour autant, «la coalition tient à réaffirmer qu'en aucun cas le scrutin présidentiel, qu'elle est sûre de remporter, n'aura lieu sans elle», insiste l’opposant. Et cela, même si l’opposition a fait campagne pour son report.

Pour sa part, l’Union des forces du changement (UFC) de Gilchrist Olympio joint la menace à sa critique. «Si comme dans le passé, le lendemain du scrutin, le régime annonce sa victoire, cela va très mal se passer», annonce son secrétaire général, Jean-Pierre Fabre, parlant même de «sacrifice suprême». D’autres opposants estiment en revanche que «l'armée fera ce qu'elle juge nécessaire de faire. L'armée ne peut pas tirer sur nous». En tout cas, l’opposition a fait en sorte d’avoir des scrutateurs dans chacun des bureaux de vote et le candidat de l’opposition, Emmanuel Akitani affiche sa confiance dans la victoire. «L'important c'est d'aller voter dimanche pour relever le pays», dit-il. Même s’il se passe bien, le scrutin aura des airs de veillée d’armes, en attendant les résultats.


par Monique  Mas

Article publié le 23/04/2005 Dernière mise à jour le 23/04/2005 à 16:35 TU

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