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Constitution européenne

La Charte des droits fondamentaux, à quoi ça sert ?

La Cour de justice européenne.(photo: DR)
La Cour de justice européenne.
(photo: DR)
La Charte des droits fondamentaux apporte un plus aux constitutions des pays membres de l’Union. C’est ce qu’explique Frédéric Allemand, chargé des questions économiques à la Fondation Robert Schuman à Paris, un organisme chargé de populariser l’Union européenne. Intégrée à la future Constitution européenne, cette Charte ne se limite pas aux droits civils et politiques mais couvre des domaines nouveaux. Entretien avec Frédéric Allemand pour comprendre à quoi sert la Charte des droits fondamentaux.

RFI : Qu’est-ce que la Charte des droits fondamentaux va changer dans la vie quotidienne des Européens ?
Frédéric Allemand :
La Charte des droits fondamentaux est politique. Elle reconnaît des droits civils et politiques, des droits économiques et sociaux, et également des droits qu’on appelle de la nouvelle génération, de la troisième génération c’est-à-dire la protection de l’environnement, la protection des consommateurs, le droit à la bioéthique. Mais aujourd’hui, si la Constitution devait être ratifiée, adoptée, à la fois par la France mais également par l’ensemble des autres Etats membres, cela signifierait que lorsque l’Union mettra en œuvre, adoptera des décisions, des mesures, elle sera tenue au respect des dispositions de la Charte des droits fondamentaux, et ça, c’est fondamental parce que les citoyens pourront aller devant leur juge national, ou devant la Cour de justice, pour en demander le respect, si l’Union devait contredire ces droits.

RFI : Comment a mûri cette idée de la Charte ?
FA :
L’idée de la Charte s’est développée à partir de 1999. Il y avait un certain nombre de réflexions qui étaient engagées dans le cadre de la révision des traités, où on s’est dit qu’on était à une sorte de croisée des chemins. On a une intégration économique qui, avec l’adoption de la monnaie unique, est pratiquement parfaite. Mais pour autant, on n’a pas de protection des droits. Et ce serait quand même bien que dans une Union, et dans les Etats membres —où 80% de la législation est d’origine communautaire— que cette législation communautaire respecte un certain nombre de droits fondamentaux et de libertés fondamentales. Donc une convention a été mise en place. Elle a présenté au Conseil européen de Nice en décembre 2000 un projet de Convention des droits et des libertés. Pour la rédiger, les juristes se sont inspirés des traditions constitutionnelles nationales de l’ensemble des Etats membres, mais également de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme qui est une Convention de protection des droits et des libertés qui a été adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire dans le cadre d’une autre organisation internationale européenne. Le problème c’est qu’en 2000, lors du Conseil européen, les chefs d’Etat et de gouvernement ont dit : cette Charte des droits fondamentaux est très bien, pour autant, on ne va peut-être pas encore lui donner une valeur juridique. Donc c’était juste un texte, une déclaration politique mais qui n’avait pas de valeur juridique. C’est-à-dire que quand l’Union européenne prenait une décision, elle n’était pas tenue au respect de cette Charte. La révolution, la grande innovation, c’est que cette Charte est intégrée dans le corpus constitutionnel et donc, s’appliquera à l’Union européenne, à ses institutions si le traité constitutionnel est adopté.

RFI : Prenons un exemple concret. Si j’habite dans une commune de Bretagne où l’eau potable contient trop de nitrates, actuellement je peux engager une action devant la justice française. Qu’est-ce qui va changer avec la Charte ?
FA :
Il faut déjà regarder, si dans le domaine où vous voulez faire protéger votre droit, c’est un domaine de compétence de l’Union, ou un domaine de compétence des Etats membres. Si c’est un domaine de compétence des Etats membres, vous allez voir votre juge national, et si votre demande est bien fondée, vous obtiendrez gain de cause. Si par contre la compétence relève de l’Union européenne, et c’est le cas pour l’eau car il y a effectivement une directive-cadre qui a été adoptée récemment et qui fixe les grandes orientations en matière d’eau, —directive que la France a transposé par loi (dans son droit) au printemps dernier—, là, effectivement,  si la Constitution était en vigueur et si la mesure de transposition législative de la directive-cadre devait contrevenir au principe de protection de l’environnement qui est inscrit dans la Charte des droits fondamentaux, vous seriez tout à fait fondée à aller devant le juge national et dire : regardez, la France a transposé cette directive par la loi, cette transposition est mauvaise, elle contrevient à la protection de l’environnement qui est prévue dans la Charte des droits fondamentaux, et moi je vous demande de laisser inappliquée la loi française parce qu’elle n’est pas bonne. Vous pourriez également, si c’est la directive qui n’est pas bonne et qui est contraire au principe de protection de l’environnement, formuler un recours devant la Cour européenne de justice et demander à ce que la Cour européenne de justice reconnaisse l’illégalité de la directive par rapport au principe de protection de l’environnement.

RFI : Pour l’instant il n’est pas possible d’intenter ce type de recours ?
FA :
Vous pourrez intenter un recours, à la réserve près que dans les traités actuels il n’y a pas ce principe de protection de l’environnement de cette façon là. Il est mentionné, mais il n’a pas cette force d’un droit fondamental qui est inscrit dans la Charte.

RFI : Est-ce qu’un immigré pourrait se servir de cette Charte pour obtenir le droit de rester dans l’UE ?
FA :
La réponse est un peu mitigée. Ce qu’il faut voir, c’est que la Charte vise à protéger les citoyens de l’Union européenne. Sont citoyens européens les citoyens des Etats membres. Donc en fait, ça dépendra de ce que dit la législation nationale. Si la législation du Danemark ou de la Pologne dit qu’est citoyen danois ou polonais, tel ou tel individu, notamment des ressortissants étrangers, dans ce cas-là ils seront considérés comme citoyens européens et ils auront droit à la protection de leurs droits sur la base de la Charte. Si ce n’est pas le cas, ils ne peuvent pas s’en prévaloir.

RFI : Un clandestin ne peut pas compter sur la Charte pour faire sa place au soleil en Europe ?
FA :
Non.

RFI : Un Français pourrait peut-être se dire : on a la déclaration des droits de l’Homme de 1789. Pourquoi avoir besoin d’un texte européen supplémentaire ?
FA :
Il faut distinguer les domaines où les Etats vont garder leurs compétences avec application du droit national normal basé sur la Constitution, nos droits et libertés fondamentales garanties par la déclaration de 1789 puis par le préambule de la Constitution de 1946 qui contenait un certain nombre de droits nouveaux économiques et sociaux ; et puis les lois, les décrets, les traditions constitutionnelles qui sont assez anciennes. D’un autre côté, il y a les compétences de l’Union. Quand le droit de l’Union s’applique, il prime sur celui des Etats membres, y compris, en théorie, sur les constitutions nationales. Sauf que la Charte des droits fondamentaux dit qu’elle s’applique de telle façon à ce que ce soit un plus par rapport aux traditions constitutionnelles. Dans l’application de la Charte, les juges devront prendre en compte les traditions constitutionnelles c’est-à-dire que vous aurez les principes de protection des droits et libertés fondamentales tels qu’ils sont garantis dans notre ordre juridique national. Et en plus, en bonus, se rajouteront les droits et libertés fondamentales protégés au niveau de l’Union européenne. Ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un plus l’autre dans les domaines de compétence de l’Union.

RFI : On est dans un univers juridique complexe. Comment faire apprécier aux Français les atouts de cette nouvelle protection constitutionnelle des droits ?
FA :
On est aujourd’hui dans une situation où, quand l’Union européenne intervient, il n’y a pas tellement de droits et de libertés dont le respect s’impose à elle. L’égalité de traitement homme-femme est maintenant garantie par l’Union. Il y a aussi les libertés de circulation des marchandises, des biens, des capitaux et des travailleurs, mais ça s’arrête pratiquement là. Vous n’avez pas les droits protégeant la consommation, l’environnement, la santé, le droit à une justice sociale. Ca c’est un ensemble d’éléments qui ne sont pas protégés dans les traités actuels. Dans la Constitution, on impose à l’Union, aux institutions, des droits et des libertés à respecter au profit, au bénéfice des citoyens européens et ça, c’est un changement fondamental par rapport à la situation actuelle. Et c’est l’un des principaux acquis de cette Constitution qui vise à nous protéger contre tout autoritarisme de Bruxelles, ce fameux Bruxelles qu’on ne voit pas trop.


Propos recueillis par Colette  Thomas

Article publié le 27/04/2005 Dernière mise à jour le 27/04/2005 à 12:03 TU