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Nicaragua

Le pétrole enflamme la rue

Les étudiants observent les mouvements de la police dans les rues de Managua, le 28 avril 2005.(Photo : AFP)
Les étudiants observent les mouvements de la police dans les rues de Managua, le 28 avril 2005.
(Photo : AFP)
La hausse des tarifs dans les transports publics a déclenché un important mouvement de protestation que le gouvernement tente de désamorcer. La flambée des cours du pétrole est à l’origine de cette crise qui menace le pouvoir du président Enrique Bolaños. Et d’autres pays de la région vivent la même situation.

Les négociations entamées mercredi dans la capitale nicaraguayenne n’ont pas permis d’éviter l’éclatement de nouveaux affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Des policiers ont à nouveau tiré jeudi des grenades lacrymogènes et des balles caoutchoutées contre des groupes d’étudiants qui bloquaient des accès à l’Université autonome du Nicaragua (UNAN). Managua avait déjà été le théâtre en début de semaine de violents incidents, le président nicaraguayen Enrique Bolaños se trouvant lui-même pris à partie mardi lors d’une manifestation organisée par des étudiants pour protester contre la hausse des tarifs des transports publics. Il avait choisi d’aller rencontrer directement les manifestants qui se trouvaient devant la résidence présidentielle pour tenter d’amorcer un dialogue. Une discussion qui a tourné court, des manifestants lui jetant des pierres et des sacs plastiques remplis d’eau et blessant l’un de ses enfants.

Quelques heures plus tard, Enrique Bolaños plaçait en état d’alerte l’armée et la police, accusant le Front sandiniste de libération nationale (FSNL) d’être à l’origine des manifestations et des mouvements de grève lancés depuis la mi-avril dans le pays. Une décision qui semble avoir renforcé la détermination des manifestants. «Que le président se souvienne que nous, les Nicaraguayens, avons fait chuter les Somoza et qu’il ne va faire trembler personne avec ses menaces, il peut envoyer l’armée et la police, il ne va faire peur à personne», a déclaré Daniel Ortega, ancien président du pays et candidat du FSNL pour la présidentielle prévue de 2006, en faisant référence au régime dictatorial d’Anastasio Somoza renversé en 1979 par la révolution sandiniste. Quant au chef d’état-major de l’armée, le général sandiniste Omar Hallesleven, il a prévenu qu’il refuserait d’envoyer des soldats dans les rues pour réprimer d’éventuelles manifestations.

La vague de protestation déclenchée par la hausse des tarifs des transports a pris un tour très politique ces derniers jours. Quatre-vingt seize des 152 maires de ce pays d’environ 5,3 millions d’habitants ont signé lundi une déclaration commune dans laquelle ils ont demandé au président Bolaños de régler cette crise au plus vite, en le sommant de quitter ses fonctions s’il ne se sentait pas capable de le faire. «Si le président ne veut pas ou ne peut pas assumer la responsabilité du poste auquel il a été élu, nous lui demandons, respectueusement et sérieusement, de démissionner», indique ce texte. Et face à un Congrès dominé par l’opposition, le président nicaraguayen dispose d’une marge de manœuvre extrêmement réduite. Les représentants du FSNL et ceux du parti libéral constitutionnel, une formation de droite dirigée par Arnoldo Aleman, un ancien président (1997-2002) convaincu de corruption, se sont en effet montrés solidaires avec les édiles, 58 des 91 députés du Congrès ayant voté mercredi une résolution dans laquelle ils demandaient au gouvernement de «reprendre immédiatement le dialogue».

Des économies en péril

Si cette requête a bien été entendue par le président Bolaños, l’hypothèse d’une démission a, elle, été clairement balayée par le président du Nicaragua. «Ce n’est pas l’Equateur, il n’y a aucune chance qu’ils me renversent», a-t-il déclaré mercredi au cours d’une rencontre avec des journalistes étrangers. Il faisait alors allusion au sort du président équatorien Lucio Gutierrez, déchu le 21 avril après une semaine d’intenses manifestations alimentées par un scandale politico-judiciaire et la grogne d’une population confrontée à des conditions de vie de plus en plus difficiles. Pour le chef de l’Etat nicaraguayen, une solution négociée est encore possible. Un accord sur le gel de la hausse des titres de transport semblait d’ailleurs jeudi être sur le point d’être signé. Il résultait de la proposition du gouvernement et de la municipalité de Managua de subventionner le carburant utilisé dans les transports publics de la capitale pendant trois mois. Mais alors que les différentes parties se trouvaient encore à la table des négociations, les violences reprenaient dans la rue.

A l’instar des événements qui ont secoué la semaine dernière l’Equateur, cette crise préoccupe l’Organisation des Etats américains (OEA) qui a appelé «toutes les forces politiques et sociales à résoudre de manière pacifique et le plus rapidement possible leurs différends socio-économiques et politiques». Le caractère urgent de cette demande s’explique par le fait que plusieurs pays d’Amérique centrale sont actuellement confrontés à des problèmes similaires en raison de la flambée du pétrole. Au Costa Rica, au Panama et au Honduras, des mouvements de protestation ont également eu lieu ces dernières semaines. Et l’OEA redoute que ces mouvements ne gagnent toute l’Amérique centrale.

La hausse des prix du pétrole pèse très lourdement sur ces pays aux économies fragiles. Le Costa Rica a ainsi annoncé qu’il serait obligé de déclarer un état d’urgence économique si la hausse se poursuivait. «Le pays ne pourrait pas faire face à une facture d’un milliard de dollars» si le prix du baril de pétrole dépassait «les 60 dollars», a récemment expliqué Allan Flores, secrétaire d’Etat costaricain à l’Environnement et à l’Energie. Une inquiétude que partage le Raul Solorzano, président de la Commission nationale de l’Energie au Nicaragua. «Si les prix montent, cela pourrait signifier un désastre pour nos économies», avait-il déclaré à la mi-avril. Et le président salvadorien Antonio Saca a lui aussi récemment tiré le signal d’alarme : «Le thème du pétrole est une véritable migraine pour les pays qui n’en produisent pas, et ceux qui en produisent sont en train de détruire nos économies».

par Olivier  Bras

Article publié le 29/04/2005 Dernière mise à jour le 29/04/2005 à 18:00 TU

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Alejandro Valente

Responsable du service Amérique latine de RFI

«C'est une augmentation considérable pour une population qui vit à 80% sous le seuil de pauvreté»