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Togo

Attentisme international

Le Goethe Institute, le centre culturel allemand de Lomé, a été incendié dans la nuit du 29 avril 2005.(Photo : AFP)
Le Goethe Institute, le centre culturel allemand de Lomé, a été incendié dans la nuit du 29 avril 2005.
(Photo : AFP)
Après la tempête des affrontements, la fuite en exil de milliers de personnes et l’incendie du centre culturel allemand, l’aube s’est levée vendredi sur une capitale abasourdie. L’armée est retournée à ses quadrillages quotidiens après avoir assiégé toute la nuit le domicile du secrétaire général du principal parti d’opposition. Le pouvoir «intérimaire» attend que la Cour constitutionnelle valide la victoire de Faure Gnassingbé. L’opposition compte ses morts, sous la menace de la répression promise mercredi par le président par intérim, Abass Bonfoh, lorsque Emmanuel Bob Akitani s’est lui-aussi proclamé président de la République. Ce dernier réclame désormais l’invalidation du scrutin. L’issue du face à face togolais paraît bien incertaine, en l’absence d’un arbitrage international incontestable.

La diplomatie allemande attend des explications de Lomé, après la mise à sac de son centre culturel, l’Institut Goethe, incendié dans la nuit de jeudi à vendredi, par des «militaires en civils», selon le gardien du bâtiment. Son directeur, Herwig Kempf, fait état de menaces et même «d’un climat anti-allemand depuis quelques jours». Le président par intérim Abbass Bonfoh n’avait en effet pas ménagé ses effets, jeudi soir en déclarant que ceux «qui croient qu'ils peuvent recoloniser le Togo se trompent. L'heure du nazisme est terminée». De son côté, le nouveau ministre de l’Intérieur, Katari Foli-Bazi, accusait non moins crûment l’Allemagne de collusion avec l’opposition depuis que son ambassade au Togo avait donné asile à son prédécesseur, François Esso Boko, en rupture de ban avec le pouvoir pour avoir dénoncé le processus électoral et prophétisé des risques de guerre civile, le 22 avril dernier. Pour sa part, c’est avec l’opposition que la France a des démêlés. Les slogans anti-Français ont fusé dans les rues de Lomé avec le premier satisfecit délivré par le chef de la diplomatie française, Michel Barnier, jugeant les conditions du scrutin présidentiel «satisfaisantes même si on a dû constater des incidents isolés». Les premiers morts étaient avérés. Par la suite, des images télévisées – truquées selon le pouvoir- ont montré des militaires molestant des électeurs pour emporter des urnes et des bulletins calcinés.

Après l’étonnement irrité soulevé début février dans l’opposition par l’hommage appuyé du président Chirac au défunt «grand ami de la France», Gnassingbé Eyadéma, les accusations de partialité se sont transformées au Togo en assaut contre «une dizaine de maisons de Français qui ont été pillées», indiquait jeudi une élue de l'Union des Français de l'étranger, Claire Durand, assurant que «personne n'a été agressé physiquement». Au passage, des magasins appartenant à des Libanais ont été également dévastés et dans l’Hexagone, certains gardent en mémoire la fuite des expatriés français de Côte d’Ivoire. Rien de tel ne risque d’arriver aux quelque 3 000 Français du Togo (dont une moitié de Franco-Togolais), assure le ministère français de la Défense qui voyait jeudi «une certaine accalmie» se profiler. Les autorités militaires françaises observent le Togo «avec vigilance mais sans inquiétude précise». La diplomatie française renvoie ses appréciations passées, présentes et à venir au jugement de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao).

La France attend le verdict de la Cour constitutionnelle

Pour sa part, l'ancien secrétaire d'Etat français, le Franco-Togolais Kofi Yamgnane, montre carrément du doigt le palais présidentiel. «Des généraux togolais ont été reçus à l'Elysée», accuse-t-il. Les Verts français renchérissent et depuis février, le Parti socialiste (PS) multiplie les communiqués officiels pour dénoncer des «manipulations visant à imposer par la force la victoire du fils du dictateur Eyadéma», ainsi qu’une «position complaisante et à bien des égards irresponsable des autorités françaises». Le PS estime en effet que Paris se discrédite en Afrique et met en danger les intérêts de la France comme ceux de ses ressortissants au Togo. L’opposition française fustige les commentaires diplomatiques sur une élection togolaise «marquée par de très graves violences, entretenues par la hiérarchie militaire» et relève «la rupture sélective des communications et le saccage dans la journée du 24 avril du centre informatique de contrôle du candidat de l’opposition». Bref, les socialistes français accusent Paris de «non assistance à peuple en danger».

Pour le moment, la France n’a pas reconnu officiellement la victoire de Faure Gnassingbé, renvoyant au verdict de la Cour constitutionnelle togolaise. En même temps, Paris presse l’Union européenne d’attendre la version de la Cedeao avant d’exprimer une position collective sur la situation togolaise. La diplomatie française invoque les «mécanismes légaux auxquels il peut être fait recours» en cas de contentieux. Elle n’est pas officiellement revenue sur son appui affiché mercredi à «l'engagement de l'Union africaine (UA) et de la Cedeao pour encourager désormais la formation d'un gouvernement d'union nationale». Reste que cette idée diversement appréciée avait été donnée pour acquise le 25 avril, avant le dépouillement du scrutin et «quel que soit le résultat», par Olusegun Obasanjo, le président de l’UA. A la surprise générale, il venait de réunir, à Abuja , Faure Gnassingbé et le chef historique de l’opposition, Gilchrist Olympio.

Gilchrist Olympio, a démenti tout accord «oral ou écrit». Quant à Faure Gnassingbé, interrogé vendredi par le quotidien français Le Monde, il précise qu’il n’est pas question «de bloquer le pays sous prétexte que certains leaders de l’opposition ne veulent pas participer au gouvernement». Et quand il assure croire «en la bonne foi de certains d’entre eux», cela ne manque pas de rappeler les très sélectives unions du passé. La question sera quand même sans doute au menu de la rencontre prévue vendredi soir à Abuja entre le président nigérian Obasanjo et son pair malien de la Commission de l'Union africaine, Alpha Oumar Konaré. En février, le «coup de gueule» de l’ancien président malien contre le «coup d’Etat militaire» de Faure Gnassingbé avait catalysé une réprobation internationale qui ne paraît plus vraiment aujourd’hui à l’ordre du jour. Les mauvaises langues chuchotent que Paris a fait le tour des capitales africaines pour appuyer le «fils de».

Une trentaine de morts selon les chiffres officiels

En attendant d’y voir plus clair sur le rapport de force, les Etats-Unis ou le Canada demandent aux adversaires togolais de retenir leurs troupes respectives, mettant en sourdine leurs interrogations sur la validité des résultats annoncés. L’Onu se tait diplomatiquement, laissant son Haut-Commissariat aux réfugiés parler chiffres. Le HCR a déjà recensé quelque 6 500 Togolais en fuite au Bénin et au Ghana. Officiellement, le huis-clos togolais aurait fait une trentaine de morts. Davantage selon l'opposition qui évoque même un risque de dérapage ethnique. Vendredi, le ministère de l’Intérieur accusait des militants de l'opposition d’avoir brûlés vifs huit ressortissants de la Cedeao, mercredi. Initialement données comme nigériennes, les victimes seraient finalement sept Maliens et un Nigérien. Entre-temps, Niamey a protesté, assurant que le Niger ne déplorait pas de telles pertes parmi ses ressortissants au Togo.

Faure Gnassingbé ne croit pas que «le Togo va basculer dans la guerre civile». «En tout pas tant que je serai à la tête de ce pays», dit-il. Pour cela, il fait «confiance aux forces de l’ordre». Certains manifestants au contraire jurent qu’ils ne lâcheront pas leurs cailloux et leurs gourdins. Avec ou sans machettes, ils ne font pas vraiment le poids face aux balles réelles tirées par l’armée et la police. Celles-ci ont reçu mercredi du président par intérim l’ordre «d'interpeller toute personne qui se mettra en travers de la loi républicaine». En l’absence d’arbitre international, seul prévaut l’interprétation de ceux qui sont restés aux commandes des institutions, de Gassingbé Eyadéma à Faure Gnassingbé.


par Monique  Mas

Article publié le 29/04/2005 Dernière mise à jour le 29/04/2005 à 18:29 TU