Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Togo

Faure Gnassingbé dans les marques de son père

Faure Gnassingbé consacré chef de l'Etat par la Cour constitutionnelle.(Photo : AFP)
Faure Gnassingbé consacré chef de l'Etat par la Cour constitutionnelle.
(Photo : AFP)
Vendredi, forces de l’ordre et partisans du parti au pouvoir attendaient sur le pied de guerre la prestation de serment de Faure Gnassingbé au Palais des Congrès. La Cour constitutionnelle l’a proclamé chef de l’Etat le 3 mai après avoir rejeté les recours en annulation du scrutin. L’opposition n’en a cure mais peine à mobiliser ses militants pourchassés par les forces de l’ordre. Elle tente donc de placer la bataille sur le terrain diplomatique. En réponse, dans les allées militarisées du pouvoir togolais, Faure Gnassingbé laisse entendre qu’il pourrait composer, après avoir fait parler les urnes selon une méthode éprouvée par son père. Celui-ci s’était dans le passé accommodé d’ouverture gouvernementale ou parlementaire. Mais transition ou pas, jusqu’à présent, la maison Eyadema garde le pouvoir.

C’est peu de dire qu’en proclamant Faure Gnassingbé chef de l’Etat, la Cour constitutionnelle n’a surpris personne le 3 mai. Certains se demandent même pourquoi elle a jugé utile de «ramener» le score du vainqueur officiel à 60,15% contre 38,25% à Emmanuel Akitani Bob qui revendique lui-aussi la victoire. En fermant les yeux sur les violences et autres évènements suspects qui ont entaché le scrutin présidentiel, l’arbitre internationalement reconnu, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’avait avalisé d’avance. Elle avait aussi suggéré à Faure Gnassingbé de former un «gouvernement d’union nationale». Son directeur de campagne, Komi Klassou, évoque désormais un «gouvernement de transition pendant six mois» en attendant des législatives qui reflèteraient le poids politique de chacun des partis. L’opposition ne doute pas des capacités du pouvoir à concocter un dosage à son goût. Elle maintient sa revendication pour un nouveau scrutin présidentiel, «libre et juste». Quant à entrer dans un gouvernement dominé par le RPT, le secrétaire général de l’UFC, Jean-Pierre Fabre juge l’offre frappée «d’impolitesse et de manque de respect». Il promet de «résister avec l'arsenal des moyens que la Constitution met à [la] disposition» des contestataires.

Prendre la mesure de la déchirure nationale

Depuis mardi soir, les militants du RPT célèbrent leur victoire à Lomé où ils ont été transportés par centaines la semaine dernière, en particulier depuis les localités du Nord où ils retourneront  sans doute à l’oubli quand le régime n’aura plus besoin de figurants ni de porteurs de machettes. De son côté, l’opposition peine à remobiliser ses troupes après la répression sanglante de la semaine passée. Selon le Haut commissariat des Nations unies (HCR), le harcèlement des forces de l’ordre a déjà chassé du pays au moins 18 000 Togolais. «Quelque 10 000 réfugiés ont été enregistrés au Bénin et quelque 8 500 au Ghana depuis l'annonce du résultat des élections au Togo, le 26 avril dernier», écrit-il. Les plus audacieux des réfugiés retournent travailler la journée au pays. Pour le moment, aucune instance indépendante n’a encore dressé le bilan des morts et des blessés, en majorité victimes des balles des forces de sécurité selon les témoins. Mais il y a eu des morts dans les deux camps, et même parmi les ressortissants nigériens et maliens de la Cedeao. Reste aussi à prendre la véritable mesure de la déchirure nationale.

L’opposition se bat pour rompre l’indifférence internationale parce que, explique Jean-Pierre Fabre, sur le terrain, «les gens vomissent le régime, mais ils ont peur pour leur vie. Les temps durs vont commencer, il faut mobiliser, mais la mobilisation populaire prend du temps à se mettre en place». De fait, après le coup d’Etat un peu trop voyant tenté par les partisans de Faure Gnassingbé le 7 février dernier, après la flambée de colère et les journées sanglantes de la fin avril, le Togo paraît devoir rentrer dans l’ordre international, pour peu que la contestation se noie assez vite dans les sables de la répression.

Le site officiel de la République du RPT note que lorsque la Cour constitutionnelle a annoncé ses résultats, «le corps diplomatique accrédité à Lomé était présent, notamment les représentants de l’Union européenne et de la France… La chaise de l’ambassadeur d’Allemagne, dont le pays est accusé par les autorités togolaises de soutenir l’opposition, est restée vide». Mercredi, malgré le peu d’écho diplomatique international donné à ses dénonciations de «fraudes massives», l’opposition ne désespérait pas encore totalement de se faire entendre du président nigérian Olusegun Obasanjo, qui est aussi celui de l’Union africaine (UA). Il était annoncé à Lomé, pour une brève escale du vol qui le conduit aux Etats-Unis où il va plaider un allégement des 35 milliards de dollars de dette extérieure nigériane.

Le Togo n’est pas au centre des préoccupations du président Obasanjo, déjà personnellement encombré de l’ancien seigneur de la guerre libérien, Charles Taylor. Mais outre ses atouts pétroliers, Lagos entend justement rappeler à Washington qu’en tenant lieu de gendarme, en particulier en Afrique de l’Ouest, le Nigéria dédouane largement les pays du Nord de plus en plus réticents à s’impliquer sur le continent où ils préfèrent passer le relais à l’UA. Concernant le Togo, le président Obasanjo se plait à souligner que l’UA a imposé les urnes à Faure Gnassingbé. Un passage obligé en forme de tour de passe-passe, selon de nombreux observateurs. Mais globalement, nulle voix africaine ou internationale autorisée ne se risque à contrarier le triomphe militaire de la maison Eyadéma.

A Paris, le 3 mai, le député socialiste du Pas-de-Calais, a posé une question orale au gouvernement sur la politique de la France au Togo. Le Parti socialiste français condamne «le hold-up électoral dont a été victime l’opposition démocratique togolaise unie et son candidat Bob Akitani» et appelle à un nouveau scrutin placé cette fois «sous strict contrôle international». De son côté, l’hebdomadaire satirique français, Le Canard enchaîné affirme qu’une équipe d’agents secrets français de la Direction générale de la sécurité extérieures (DGSE) sont au Togo pour «récupérer tout document compromettant sur les trente-huit ans d’excellentes relations des politiques et des militaires français avec le général Eyadéma et son clan». Paris dément, la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie déclarant : «Je connais la DGSE et ce que je peux vous dire c'est qu'en aucun cas cet ordre n'est venu de chez moi». Pour le reste, se défendant de toute volonté d’ingérence, Michèle Alliot-Marie ajoute que «cette période est terminée». Selon Paris, «l'Union africaine a très bien joué son rôle» en amenant les Togolais au scrutin et il est souhaitable «que cela continue comme ça».


par Monique  Mas

Article publié le 04/05/2005 Dernière mise à jour le 04/05/2005 à 18:25 TU

Audio

Komi Klassou

Directeur de campagne de Faure Gnassingbé

«Le président de la République tend la main au peuple togolais.»

Bob Akitani

Candidat de la cohalition de l'opposant togolaise

«Que Faure Gnassingbé fasse son gouvernement, nous ne participerons pas.»

Martin Assogba

Observateur béninois de la Cedeao

«Nous ne pouvons pas accepter que ces élections soient crédibles.»