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Togo

Bruxelles se refuse à juger le scrutin

La délégation européenne dénombre 900 000 électeurs présumés fictifs sur un total de trois millions et demi d'inscrits.(Photo: AFP)
La délégation européenne dénombre 900 000 électeurs présumés fictifs sur un total de trois millions et demi d'inscrits.
(Photo: AFP)

L’Union européenne (UE) n’avait pas de mission d’observation des élections au Togo, donc elle ne se prononcera pas sur la validité – ou sur le caractère frauduleux – du scrutin présidentiel, se défend en substance, à Bruxelles, Amedeu Altafaj, le porte-parole de la Commission européenne au Développement présidée par Louis Michel. Vendredi, ce dernier a d’ailleurs pris «note de l'annonce des résultats officiels de l'élection présidentielle faite par la Cour constitutionnelle du Togo et de l'investiture de M. Faure Gnassingbé comme nouveau président du Togo». A couvert derrière la Commission économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’UE évite ainsi de démentir ou de prendre en compte les cinq rapports confidentiels émanant de sa délégation à Lomé et faisant état de «présomptions de fraude massive».


La chronique électorale des rapporteurs de la délégation européenne ressemble à celle qu’en a fait la presse étrangère qui a couvert l’événement, caméra au poing parfois, montrant des militaires, urnes sous le bras, mais aussi des victimes touchées par des balles identifiables. Elle met en exergue des chiffres qui avaient déjà été avancé par le ministre de l’Intérieur, François Boko, avant qu’il ne jette l’éponge et soit exfiltré à Paris (jeudi soir). Il avançait alors très officiellement un nombre d’électeurs inscrits supérieur au nombre de Togolais en âge de voter. Pour remplir ces effectifs, il aurait fallu que les morts et les bébés votent. Les notes «confidentielles» de la délégation européenne parlent de «900 000 électeurs fictifs», au profit de Faure Gnassingbé. Si ces allégations n’ont aucun fondement, un démenti international valide aurait pu éviter des morts, parmi les ressortissants Maliens et Nigériens de la Cedeao. Ils ont été pris à partie par des jeunes Togolais fous de rage, persuadés de les avoir vu défiler dans des bâtiments suspectés d’abriter des urnes pleines de bulletins «pré-votés», des urnes destinées à en remplacer d’autres, selon eux.

Les jeunes réclament des armes

Pour voter, les électeurs devaient en effet imprimer leur empreinte digitale sur le bulletin électoral, dans la case du candidat de leur choix. La Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH) a dénoncé les effets sanglants de la colère des jeunes adeptes du changement. Mais aujourd’hui, avoue son président de passage à Paris, Adoté Akwei, «nous ne sommes plus crédibles devant ces jeunes désabusés qui réclament des armes». Selon la LTDH, beaucoup d’entre eux n’ont pas pu voter. Tandis que dans les fiefs du pouvoir, les urnes déversait leur pléthore de bulletins, à Lomé, selon l’une des notes de la délégation européenne, «le taux de distribution des cartes d'électeurs est de 41% et le taux de participation de 35% seulement (390 000 électeurs inscrits n'ont pas voté ou n'ont pas pu voter)». La LTDH reproche aujourd’hui à l’Europe et à la Cedeao, d’être restées sourdes à ses propres informations, tout aussi alarmantes et données à temps, selon elle.

Ulcéré, le président de la LTDH, Adoté Akwei, montre des photos d’enfants en sang et des certificats de décès par balles. Il dénonce les entorses aux 22 engagements pris de concert par le pouvoir et l’opposition devant l’Union européenne, le refus essuyé pendant la campagne électorale alors qu’il demandait à visiter le camp des Forces d’intervention rapides (FIR) où un témoin assurait avoir vu 200 jeunes détenus, le refus d’inscrire des électeurs présumés hostile au pouvoir lorsque faute de carte d’identité ils se sont présentés avec leur extrait de naissance et deux témoins, le saccage d’un centre informatique de l’opposition ou la coupure des téléphones mobiles. Il cite le délégué kabyé (la communauté du clan Eyadéma) de la LTDH à Sotouboua, localité en majorité kabyé, où le dépouillement des urnes auraient enragé des militaires. Avant de fuir, le témoin les aurait vu bastonner un représentant de l’opposition de la place avant de le traîner sur une interminable distance, attaché derrière l’un de leur camion. «D’entre tous les Togolais, les Kabye sont les plus condamnés au silence», assure Adoté Akwei.

Pour sa part, Martin Assogba, un observateur béninois de la Cedeao à l'élection togolaise, affiche ses critiques à visage découvert. Il reproche à, l’organisation régionale de ne pas avoir «suivi les constats de ses observateurs sur le terrain». Il rapporte par exemple que, «dans un bureau de vote de la commune de Pagouda, pour 583 inscrits sur les listes électorales le matin, ils étaient 607 à avoir voté à l'heure du décompte» et qu’il a «vu des enfants de 10 à 15 ans dans le rang des votants». Fraudes ou pas, visiblement, l’heure internationale n’est plus à la contestation mais aux appels à «la réconciliation nationale», comme le demande Louis Michel qui promet que la Commission européenne sera «extrêmement attentive aux prochaines mesures qui seront prises et souhaite qu'elles aillent dans le sens de l'ouverture et du dialogue», rappelant que le «respect des 22 engagements souscrits par le Togo dans le cadre des consultations au titre de l'article 96 de Cotonou sera la critère majeur sur lequel l'action des autorités togolaises sera jugée par l'Union européenne».

Outre les félicitations d’usage adressée à Faure Eyadéma par le président français ou celui de la Cedeao, c’est aussi de «consolidation du processus démocratique», et de mise en œuvre d’une «ouverture politique» qu’il est question dans les communiqués arrivés du monde entier. Celui de Washington exhorte «les deux principales forces politiques à engager un dialogue menant à un véritable partage du pouvoir au sein du gouvernement». Il déplore un «processus électoral défectueux» mais ne remet pas en question les résultats, invitant en quelque sorte l’opposition à aider le régime à replâtrer la façade après avoir hurlé à la «farce électorale». Pour sa part, le président de la LTDH entend dire à Bruxelles que «l’idée de maintenir le système Eyadéma comme gage de stabilité s’appuie sur une analyse erronée». «En restant sourdes à nos remarques, l’UE, la Cedeao et l’Onu nous ont retiré tout argument» en faveur de voies pacifiques et politiques, ajoute-t-il. Et Adoté Akwei de conclure : «Je ne crois plus à la déclaration des droits de l’Homme».


par Monique  Mas

Article publié le 06/05/2005 Dernière mise à jour le 06/05/2005 à 17:36 TU