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François Pinault

Adieu l’île Seguin, bonjour Venise

Le Palais Grassi à Venise.(Photo : AFP)
Le Palais Grassi à Venise.
(Photo : AFP)
L’enthousiasme et la patience de François Pinault se sont émoussés face aux lenteurs administratives françaises et aux indécisions des élus, alors que Venise a su accueillir son projet à bras ouverts : François Pinault vient d'y reprendre -pour 29 millions d'euros- le Palais Grassi, une propriété à vocation culturelle de la famille Agnelli (Fiat). La France se retrouve du même coup privée de l’ambitieux projet de Fondation culturelle sur le site des anciennes usines Renault de l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt (92), aux portes de Paris, et doit dire adieu à une prestigieuse collection d’art contemporain.

«Enlisement administratif de l’opération», «plan d’urbanisation approximatif», et surtout, incertitude quant à la date d’ouverture du musée : «Je dois constater que je n'ai plus la patience de persévérer dans le projet de doter la France du musée conçu par Tadao Ando», a annoncé lundi François Pinault dans une tribune publiée en première page du quotidien Le Monde daté de mardi. L’homme d’affaires est très virulent à l’égard de la municipalité de Boulogne. Il fustige «le temps de l’administration», celui des «procédures», «qui s’accommode des inerties, des remises en cause politiques ou budgétaires», soulignant que par ailleurs «le temps d’un projet culturel privé ne peut pas être celui d’un projet public»,et que «le temps d’un entrepreneur, c’est celui de son existence, de son âge, de son impatience à concrétiser son rêve».

Le projet ne sortait pas de terre

La France va se séparer d’une prodigieuse collection de quelque 2 000 oeuvres couvrant tous les champs des arts plastiques, de la peinture à la sculpture, en passant par la photographie et la vidéo : adieu les Mondrian, Rebeyrolle, Warhol, Rauschenberg ; adieu aussi les Rothko, Twombly, Murakami, Hirst, Serra, Koons, Sherman ou Cattelan. Une perte dommageable pour la France car cette Fondation d’art contemporain aurait été la plus importante en Europe avec la Fondation Maeght. Ancien conseiller de François Pinault, Jean-Jacques Aillagon a exprimé son amertume : «Je regrette cependant qu'une nouvelle fois que la lourdeur des 'machines' ait eu raison de l'enthousiasme d'un homme.  On a manqué de réactivité à Boulogne. Il aurait fallu que, de façon plus volontaire, l'ensemble de ceux qui ont la responsabilité de ce projet se rendent compte que c'était pour la France une très grande chance», une inertie que l’ancien ministre de la Culture attribue à «l'aveuglement» face à «un monde qui bouge et la compétition entre les projets culturels» en Europe.

L'ïle Seguin à Boulogne-Billancourt.
(Photo : AFP)
Lancé en 2000, ce projet sur lequel le Japonais Tadao Ando, véritable «star» de l’architecture internationale, travaillait depuis plus de trois ans, était estimé à 150 millions d’euros. L’immense bâtiment de verre était censé, une fois terminé, s’étendre sur 33 000 m2 (dont 16 000 d’exposition) et 330 mètres de longueur à la pointe de l’île Seguin. Initialement prévue cette année, l’inauguration de la Fondation Pinault a été tour à tour repoussée à 2007, puis à 2010 : «Une échéance, hélas, encore très incertaine et en tout cas bien trop lointaine pour moi», selon François Pinault qui, au bout de cinq ans après le démarrage de l'opération, l'obtention d'un permis de construire, le recrutement aux Etats-Unis d'un directeur du musée, et déjà quelque 20 millions d’euros investis en études et honoraires, s’est impatienté de voir seulement «quelques milliers de mètres carrés» programmés. «C'est bien parce qu'il est découragé qu'il préfère clore le chapitre Boulogne», a martelé Jean-Jacques Aillagon  .

«Un tien vaut mieux que deux tu l’auras»

Se souvenant peut-être du vieil adage selon lequel : «Un tien vaut mieux que deux tu l’auras», François Pinault, lassé de promesses non honorées, a conclu avec Venise en reprenant pour 29 millions d’euros (soit 9 de plus que la somme investie à fonds perdus) le palais Grassi, une propriété à vocation culturelle de la famille Agnelli (Fiat), et une première exposition se tiendra d'ici la fin de l'année sur le Grand Canal. Certes la surface de ce palais est plus modeste que ce qui était envisagé à l’île Seguin ; mais la surface d'exposition actuelle de 2 500 m², pourra probablement être doublée par la construction d'une annexe sur le domaine foncier du palais. Toutefois la dimension ne sera pas suffisante pour accueillir toute la collection de François Pinault qui envisage donc déjà d'associer «d'autres villes en Europe» et même en France «pour constituer un réseau international dans lequel circuleront les œuvres» au gré d’expositions itinérantes. Jean-Jacques Aillagon a démarché d'autres villes, telles Lille (France) ou Berlin (Allemagne).

François Pinault est aujourd’hui âgé de 69 ans et ne veut plus attendre pour mener à bien sa dernière entreprise. C’est à son fils, François-Henri, que l’homme d’affaires vient de passer les rênes du groupe qu’il a bâti, le groupe Pinault-Printemps-Redoute (PPR) qui comprend également Gucci, la maison d'enchères internationale Christie's et la FNAC. L’homme d’affaire, collectionneur d’œuvres d’art depuis 30 ans, est aussi mécène. Dans un entretien accordé au journal Libération, Marc Blondeau, consultant en art moderne, regrette d’autant ce revers de fortune qu’en France : «Quatre-vingt-cinq pour cent du chiffre d’affaires des galeries françaises d’art contemporain se font avec l’étranger, aux Etats-Unis bien sûr, mais aussi en Allemagne. Là-bas, nombre de villes comptent des fondations crées par des hommes d’affaires». Il souligne par ailleurs qu’en dépit d’une loi qui a bien été présentée en mars 2003 pour relancer le mécénat et les fondations (en leur ouvrant une fiscalité plus favorable), le cadre reste cependant terriblement étatiste : «En France, déplore-t-il, on ne voit pas les initiatives privées dans l’art comme complémentaires de musées, mais comme concurrentes. La culture est prise dans un étau».

par Dominique  Raizon

Article publié le 10/05/2005 Dernière mise à jour le 10/05/2005 à 16:35 TU

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Jean-Pierre Fourcade

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