Balkans
Perspectives européennes
Pour Miroljub Labus, le vice-Premier ministre serbe (photo), l’objectif d’une adhésion européenne de la Serbie en 2012 est réalisable.
(Photo : AFP)
Rien n’altère l’optimisme de Miroljub Labus, le vice-Premier ministre de Serbie. Pour lui, l’objectif d’une adhésion européenne de la Serbie en 2012 est réalisable. Ces derniers mois, la Serbie a en effet réalisé des progrès marqués et reconnus sur le dossier particulièrement sensible de la coopération avec le Tribunal pénal international de La Haye (TPIY), une condition indispensable pour prétendre à l’intégration européenne. Hormis le cas des deux dirigeants serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, qui pourraient toujours se cacher en Serbie, le gouvernement de Belgrade a rempli presque toutes ses obligations envers le tribunal, ce que la procureure générale du TPIY, Carla del Ponte, a elle-même reconnu. En conséquence, la Commission européenne a accordé début avril une étude de faisabilité positive pour une éventuelle intégration de la Serbie.
Il ne s’agit cependant encore que de la toute première étape sur le long chemin européen, une étape par laquelle sont déjà passés tous les pays des Balkans, même ceux, comme l’Albanie, dont les espoirs européens demeurent encore bien lointains. La décision de Bruxelles avait une signification avant tout politique, et ne préjuge en rien de la rapidité des négociations d’adhésion.
La «vocation européenne» des Balkans occidentaux
Depuis plusieurs années déjà, l’Europe a reconnu la «vocation européenne» des pays des Balkans occidentaux – c’est-à-dire les anciennes républiques yougoslaves, sauf la Slovénie déjà membre de l’UE, et l’Albanie – mais elle a écarté le principe d’une adhésion groupée, en privilégiant au contraire des négociations au cas par cas. Après l’adhésion attendue en 2007 de la Bulgarie et de la Roumanie, aucun calendrier n’est encore défini. Dans le cas de la Serbie, la principale question à régler sera celle de la forme et de la nature de l’État. Le pays fait en effet partie d’une Union avec le Monténégro, dont la survie est plus qu’aléatoire. De surcroît, le Kosovo, placé sous protectorat international des Nations unies, fait toujours théoriquement partie de cette Union.
Il y a quelques années, l’Union européenne voulait à tout prix éviter une partition du Monténégro, qui aurait entraîné la disparition de la République fédérale de Yougoslavie, dont dépendait, théoriquement le Kosovo. En lieu et place de l’ancienne Fédération, la nouvelle Union de Serbie et Monténégro a été proclamée le 5 février 2003, mais il s’agit d’un «État à durée déterminée», puisque les deux républiques ont le droit de décider de la poursuite de leurs relations au bout de trois ans. Aujourd’hui, l’équipe dirigeante monténégrine, conduite par le Premier ministre Milo Djukanovic, semble plus décidée que jamais à organiser un référendum d’autodétermination en 2006. Dans le même temps, de nombreux milieux diplomatiques semblent s’être ralliés à la perspective d’une indépendance du Kosovo, éventuellement «conditionnée» à un meilleur respect des droits des minorités non-albanaises.
La semaine dernière, le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Anan, a plaidé pour un examen rapide des «standards» de bonne gouvernance définis par la Mission des Nations unies au Kosovo. Si le Kosovo passe cet examen crucial cet été, les négociations autour du statut final du territoire devraient s’ouvrir pour l’automne. Du point de vue international, l’enjeu essentiel est d’éviter de réveiller le mécontentement et les impatiences de l’opinion albanaise, qui réclame l’indépendance, de crainte de voir se renouveler les émeutes sanglantes de mars 2004.
Une feuille de route pour la Serbie
Pour engager le Kosovo dans la voie de l’indépendance, il faut néanmoins acheter, à tout le moins, la neutralité de Belgrade, qui continue de proclamer que le Kosovo fait partie de la Serbie, et ne veut pas passer aux pertes et profits les 200 000 Serbes chassés de la province depuis 1999 et les 100 000 qui y vivent toujours. Pour cela, la carotte semble toute trouvée: offrir une feuille de route européenne crédible et relativement rapide à la Serbie. Certains politiciens serbes sont bien conscients de l’enjeu.
Anciens poids lourds du gouvernement de Zoran Djindjic, le Premier ministre assassiné en mars 2003, les démocrates Cedomir Jovanovic et Goran Svilanovic militent quasi-ouvertement pour l’indépendance du Kosovo, en estimant que la Serbie aurait tout intérêt à se débarrasser pour de bon de ce «fardeau». Quant au vice-Premier ministre Labus, il explique depuis des années que l’Union de Serbie-Monténégro n’est pas fonctionnelle, et que les deux républiques auraient tout intérêt à rompre leurs liens et à chercher, chacune de son côté, une voie vers l’Europe.
Peut-on donc imaginer une poursuite dans les prochains mois de la recomposition territoriale et étatique issue de l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie, avec l’émergence de trois républiques indépendantes, la Serbie, le Monténégro et le Kosovo ? Certains cercles d’opinion américains défendent clairement cette option, tandis que les pays européens sont beaucoup plus partagés, car ils redoutent les risques régionaux qu’un tel scénario impliquerait: la Macédoine pourrait-elle, par exemple, résister à une relance de la question albanaise, après la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo voisin ?
Cependant, alors que les échéances se rapprochent, notamment au Kosovo, il ne semble pas que Javier Solana - ni les pays européens les plus rétifs aux changements de frontières, comme la France - n’ait de scénario alternatif à proposer.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 29/05/2005 Dernière mise à jour le 29/05/2005 à 10:26 TU