Russie
Khodorkovski condamné à neuf ans de prison
(Photo : AFP)
De notre correspondante à Moscou
Dans la course aux pronostics, ce sont les observateurs les plus pessimistes qui l’ont emporté. En condamnant Mikhaïl Khodorkovski et son ancien associé Platon Lebedev à neuf ans de prison, le tribunal Mechanski de Moscou a quasiment suivi à la lettre la réquisition du procureur, qui avait réclamé dix ans de détention.
Depuis le début de la lecture du verdict, il y a plus de quinze jours, il était clair pour les avocats de l’homme d’affaires allait être reconnu coupable. A plusieurs reprises, la juge Irina Kolesnikova, soupçonnée par la défense de n’être qu’un instrument aux mains du pouvoir en place, avait déclaré être en possession de « preuves » de la culpabilité de l’ex-patron du groupe pétrolier Ioukos. La principale inconnue, celle que tout le monde attendait, résidait donc dans la sentence elle-même. Cinq, huit, ou dix années de prison ?
Un procès hautement politique
Selon Iouri Fedoutinov, le directeur de la radio Echo de Moscou, en faisant condamner lourdement l’ancien magnat du pétrole, le Kremlin a voulu « remettre au pas les oligarques ». « Ce sont des gens qui sont très influents, affirme-t-il. Ils ont cru pouvoir donner à un moment leur opinion. On leur a fait comprendre que non. » Peu avant son arrestation, Mikhaïl Khodorkovski commençait à afficher des ambitions politique. Et selon certains observateurs, le Kremlin ne souhaitait pas le trouver sur son chemin pour les élections présidentielles de 2008.
Avant son arrestation, l’homme d’affaires était considéré comme l’homme le plus riche de Russie. En pleine ascension, il s’attire les foudres du pouvoir très exactement le 19 février 2003. A cette date, l’oligarque, invité au Kremlin, s’exprime librement devant les caméras de télévision. Il évoque les « dessous douteux » d’une affaire concernant la compagnie pétrolière publique Rosneft, la soupçonnant d’avoir obtenu des réserves pétrolières d’une manière illégale. La réponse du chef du Kremlin est cinglante : « comment Ioukos a obtenu ses réserves pétrolières ? » Pour l’homme d’affaires, il est déjà trop tard. Mikhaïl Khodorkovski s’est mis à dos certains membres de l’entourage du président. Un entourage aussi influent que rancunier...
Dès lors, les autorités russes se lancent dans une bataille judiciaire acharnée contre ce qui est devenu en quelques années la plus grande entreprise pétrolière russe. Achetée pour une bouchée de pain en 1995 (350 millions de dollars), Mikhail Khodorkovski a fait de Ioukos « la meilleure compagnie du pays ». Grâce à ses talents d’homme d’affaires, la valeur de l’entreprise a été multipliée par 120 entre 1998 et 2003.
Depuis l’arrestation du milliardaire, en octobre 2003, le groupe Ioukos a peu à peu été démantelé. En décembre dernier, sa principale filière productrice est retombée dans l’escarcelle d’un groupe public, dirigé par un proche de Vladimir Poutine.
« Farce judiciaire » selon les avocats
Tout au long du procès, les avocats de l’homme d’affaire n’ont cessé de dénoncer les similitudes entre le réquisitoire du procureur et le jugement. Pour eux, cette affaire est une « farce judiciaire ». Plusieurs éléments tendent à leur donner raison.
D’abord, sans compter les multiples reports du procès, il y a la décision surprenante de la juge du tribunal Mechanski, qui a soudainement décidé de lire à voix haute l’intégralité des mille pages du verdict. Une manière, selon les observateurs, de lasser les journalistes qui se pressaient les premiers jours dans la salle d’audience… Ensuite, il y a également cette apparition soudaine de « travaux », à grands renforts de camions et de marteau-piqueurs, exactement à l’endroit où les partisans des deux hommes d’affaires avaient pris l’habitude de se réunir…
A l’énoncé du verdict, Mikhail Khodorkovski, le visage fermé, et visiblement éprouvé par ce procès-fleuve, a dit « comprendre la décision du tribunal », ajoutant toutefois que ce jugement est « un monument à la justice de Basmannyi ». Une référence au nom du principal tribunal ayant statué sur l’affaire Ioukos, devenu pour les partisans de l’oligarque synonyme d’une justice aux ordres. Quelques minutes après l’énoncé du verdict, un porte-parole du procureur général a fait savoir que de nouvelles inculpations seront bientôt signifiées à l’ancien magnat du pétrole. Cette fois, pour blanchiment d’argent…
par Virginie Pironon
Article publié le 31/05/2005 Dernière mise à jour le 31/05/2005 à 17:16 TU