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Soudan

Le Sud entre dépendance et indépendance

Confrontés à la famine, les habitants en sont réduits à manger des racines et à cueillir les feuilles des arbres pour se nourrir.(Photo : Laurent Correau/RFI)
Confrontés à la famine, les habitants en sont réduits à manger des racines et à cueillir les feuilles des arbres pour se nourrir.
(Photo : Laurent Correau/RFI)
L’accord de paix signé au début de l’année entre le gouvernement du Nord-Soudan et les rebelles du Sud prévoit que dans un peu plus de six ans les sudistes voteront pour choisir entre un Soudan uni et leur propre indépendance. En attendant, le Sud sera «autonome». Derrière cette victoire politique des sudistes se cache la réalité d’une région extrêmement sous-développée, et qui, de fait, reste complètement dépendante de l’aide internationale.

De notre envoyé spécial au Soudan

Warawar est une ville symbole du retour à la paix au Sud-Soudan. La ville se trouve dans le nord de la région du Bahr el-Ghazal, sur l’ancienne ligne de front entre le Nord et le Sud-Soudan. Installé sous l’ombre d’un toit de paille, Ibrahim Marek Satur porte un turban aux plis soignés et une ample djellaba blanche. En signe d’autorité, il a posé la main sur le pommeau d’une canne enfoncée dans le sable. Ibrahim Marek Satur est arabe. Il se dit sudiste. Il dirige le «marché de la paix» de Warawar, l’un des marchés du Bahr el-Ghazal où populations arabes et Dinkas peuvent faire du commerce et renouer des liens.

A Warawar, la paix a pris une forme concrète : le camion. «Jusqu’ici nous utilisions les ânes et les chameaux», raconte Marek Sathur, «maintenant, nous utilisons les camions. Nous pouvons travailler jour et nuit. Nous n’avons pas peur pour nos biens, alors que pendant la guerre, des gens pouvaient venir et prendre vos marchandises. Les habitants de la région peuvent venir vendre leurs vaches et leurs chèvres, et ils achètent en échange les biens dont ils ont besoin.»

(Carte : SB/RFI)
La paix et sa traduction en marchandises. L’image pourtant, vient en cacher une autre. La population du Bahr el-Ghazal n’a pas actuellement les moyens de s’offrir ce que les marchands lui présentent. La dernière saison agricole a été très mauvaise. Il n’y a pas d’argent. Assis sous un arbre, à l’entrée de Warawar, Moses Garang dit les choses sans fausse pudeur. C’est l’un des agents du SRRC, la branche humanitaire du mouvement rebelle : «Ici, c’est une ville de commerce. Et dans une ville de commerce, si vous n’avez pas d’argent, vous ne pouvez pas acheter de nourriture… Les gens n’ont pas d’argent. Ceux qui ont fui la région pour aller travailler avec les Arabes, au Nord, ils n’ont pas été payés correctement. Maintenant que la paix est signée, ils ne reviennent avec rien. Et les fermiers, eux, ils n’ont rien. La pluie a fait défaut l’année dernière. Tout le monde dépend des feuilles… des racines… je veux dire, c’est ça la nourriture qu’ils mangent».

Ceux qui avaient fui la guerre, pour trouver, au Nord-Soudan, de l’argent ou un peu plus de sécurité reviennent. Ils sont des milliers à avoir déjà fait le chemin en sens inverse. Voici justement un camion, qui après plusieurs jours de route arrive à Warawar. Il est chargé de passagers. Une jeune femme tend un bidon à un parent déjà descendu. Un homme qui porte une écharpe grise en guise de turban réceptionne sa valise. Et de Warawar, ils partent, vers leur village, retrouver des proches qu’ils n’ont pas vus depuis des années. On les croise, marchant sur les chemins ou assis, dans un village, reprenant des forces avant de poursuivre la marche.

Aliel Achiem Apat a fait halte à Wanjok avec plusieurs membres de sa famille. Elle se souvient de son départ, à la suite de l’attaque des milices pro-gouvernementales, les Muraheleen. «Je suis allée dans le Nord parce que mes vaches avaient été confisquées par les Muraheleen, ils ont brûlé ma maison. C’est pour cela que je suis allé chercher du travail pour sauver mes enfants. J’ai passé quasiment douze ans dans le Nord. Je suis revenue parce que j’ai entendu que la paix était rétablie. Et je sais qu’elle est effectivement rétablie, parce que les Muraheleen ont cessé d’enlever les enfants, de voler le bétail, de brûler les maisons… Il m’a fallu trois jours de route pour revenir.»

Cette vague de retour fragilise un peu plus les communautés locales. Dans le nord du Bahr el-Ghazal, Il faut partager le peu qui est disponible. «Le problème avec ces personnes qui reviennent, c’est que nous les accueillons sans avoir  tout ce qu’il faudrait pour les réinstaller», explique Santino Ngor Agok, président du comité d’accueil du «payam» de yargoth (l’une des unités de l’administration rebelle). «C’est un vrai défi, quand vos propres frères sont partis en raison de la guerre et de la faim, qu’ils reviennent, et que vous n’avez pas de nourriture pour leur permettre de se réinstaller. Même pour la population, ici, la nourriture est limitée. Nous en avons parlé aux organisations humanitaires pour qu’elles nous aident. Le PAM (Programme alimentaire mondial de l’ONU) nous a donné de la nourriture, mais de très petites rations. Notre peur, c’est uniquement ce manque de nourriture.» Après une très mauvaise saison agricole, les populations du nord du Bahr el-Ghazal vivent sous perfusion de l’aide alimentaire du PAM.

Le retour de milliers de déplacés fragilise un peu plus les communautés locales.
(Photo : Laurent Correau/RFI)
Dans la localité d’Akuem, des sacs de nourriture ont été largués il y a quelques jours. La distribution a lieu sous surveillance étroite des représentants des rebelles. Les femmes sont mises en rang par des matrones du SRRC, puis repartent en longues files blanches avec sur la tête un sac frappé de l’insigne du PAM. Aker Khuot est venue comme les autres chercher de la nourriture. «Je reviens tout juste du Nord, je n’ai pas de grenier. Quand nous avons entendu qu’il y avait la paix, nous sommes revenus, nous pensions que cela allait nous apporter de la nourriture. J’ai commencé à préparer un terrain, mais je ne pourrai le cultiver que quand la pluie arrivera. Je me suis installée chez des proches. Ils m’aident comme ils peuvent. Ils m’ont envoyé ici à la distribution des sacs du programme alimentaire mondial. Ils ont cultivé leurs terres, mais cette année leurs terres n’ont pas produit. Ils n’ont pas de nourriture.»

La fin de la guerre n’a pas fait cesser l’urgence humanitaire dans le Bahr el-Ghazal. Elle l’a même temporairement aggravée. En attendant les fruits de la paix, il faut survivre alors que le peu de céréales récoltées a été épuisé. Le grenier d’Anei Manuel Ayuel ressemble à tant d’autres. La lumière qui entre par l’étroite porte dévoile un lieu vide : «Vous voyez mon grenier, il n’y a rien que la famille puisse manger. C’est ce qui nous a fait souffrir. Vous voyez les restes des arachides que mes enfants ont mangé mais vous ne voyez plus les enfants : ils ont dû partir ailleurs pour chercher de la nourriture».

Le manque de nourriture est un phénomène récurrent dans le Bahr el-Ghazal. La guerre a accentué le problème, et les habitants du Bahr el-Ghazal ont dû apprendre à survivre. Ils ont appris à reconnaître les plantes, les racines et les feuilles qui permettent de se nourrir quand la terre semble ne plus rien offrir. Sous le pilon, Ayen Majok Ngong mêle aux céréales des feuilles et des graines. «Certaines années, nous n’avons pas eu beaucoup de nourriture, et il n’y avait pas moyen d’aller ailleurs. C’est là que nous avons appris à manger les arbres, la nourriture sauvage. Quand vous mourrez de faim, vous ne pouvez pas accepter de rester assis à un endroit. C’est pour cela que nous avons appris. Les habitants du Sud-Soudan ont dû s’habituer à la faim à cause de la guerre.» Quand les champs ont été improductifs, il faut aussi trouver l’argent là où il est. Peter Garang est venu à Akuem : «Moi pour trouver de l’argent je prépare des briques. Si quelqu’un en a besoin, il peut me les acheter. Il y a beaucoup d’ONG qui achètent des briques. Tout le temps. J’espère qu’une de ces ONG viendra et m’en achètera.»

Les greniers vides sont une image familière dans le Behr-el-Ghazal mais la pénurie alimentaire est encore plus importante cette année avec le retour des déplacé qui regagnent la province depuis la signature de l'accord de paix.
(Photo : Laurent Correau/RFI)
Les techniques de survie, les filets de protection fonctionnent. Mais pour combien de temps encore ? Et tiendront-ils jusque la prochaine récolte, attendue pour septembre ? A l’heure où l’on parle de l’autonomie du Sud-Soudan, et même d’une possible indépendance dans plus de six ans, le Sud-Soudan se révèle d’une dépendance extrême vis-à-vis de la communauté internationale. Selon la commission chargé d’établir les besoins du Sud pour les présenter aux donateurs, à Oslo, les trois quarts de la population n’a toujours pas accès à l’eau potable. Les deux tiers des 6 500 points d’eau qui existent dans le monde rural sont certainement en panne ou déficients. Pas de routes. Pas d’électricité. Pas de système de santé. Mais beaucoup d’attentes pour le futur.

Dominic Attak est un habitant de la localité d’Aduthadot : «Comme vous le voyez actuellement, il n’y a pas de routes –pas de bonnes routes. Il n’y a pas de communications. Il n’y a pas non plus d’eau. Calculez un peu la distance entre ici et Malual Kon. La distance est d’environ dix kilomètres. Et les gens qui habitent ici vont aller jusque Malual Kon pour trouver de l’eau. Certains iront même jusque Warawar. Les distances sont très longues. Les gens espèrent qu’avec la paix on pourra leur trouver de l’eau. Ils attendent aussi qu’il y ait des cliniques pour leurs enfants ou pour eux-mêmes. Ils espèrent que l’agriculture, les techniques rurales, pourront être améliorées, qu’on utilise des choses nouvelles pour qu’il y ait assez de nourriture.»

La plupart des services dont bénéficie la population du Sud-Soudan sont pour l’instant délivrés par les ONG (organisations non gouvernementales). Et ici, dans le nord du Bahr el-Ghazal, c’est l’hôpital d’Akuem, l’hôpital de Médecin Sans Frontières, qui fait référence. Abuk Amet est installée sous une tente, avec son bébé. Il a fallu poser une perfusion. «Ca a commencé il y a cinq jours, raconte la maman, il avait de la diarrhée et il toussait. Je suis allé voir un guérisseur qui lui a préparé un médicament traditionnel. La situation de mon enfant s’est dégradée. J’ai donc décidé de venir, ici, à l’hôpital pour qu’il obtienne un vrai traitement. J’ai marché une journée avant d’arriver à Akuem.» Stétoscope autour du cou ou sur l’épaule Idrissa Abdurramane, l’un des médecins de MSF examine l’enfant. Il faut faire vite. Le bébé est déshydraté.

L’hôpital d’Akuem est l’un des rares établissements du Bahr el-Ghazal. On vient de loin pour se faire soigner. Les patients attendent devant l’hôpital, ils sont parfois arrivés très tôt. James Alluk est l’un des assistants médicaux chargés de les accueillir et de faire un premier diagnostic : «Certains sont déjà là à quatre heures du matin. Certains viennent dormir le reste de la nuit sous l’auvent, devant l’hôpital, parce qu’ils pensent qu’ils seront les premiers à être admis le matin. L’auvent est occupé en permanence par des gens qui viennent pour être examinés. Ces gens viennent de nombreux endroits : ils viennent du comté de Gogrial. D’autres viennent de l’Aweil-west, Nord, Sud ou de l’Aweil East, ici. Tous ces gens, nous les prenons en charge. Il y a cinq assistants médicaux. Et chaque assistant médical voit 50 à 60 patients par jour. Cela fait 300 patients par jour. Et malgré cela, nous ne réussissons pas à voir tout le monde, parce que les gens viennent de partout pour être examinés. Cela fait que l’hôpital est toujours très actif mais nous faisons de notre mieux pour voir autant de personnes que possible».

Selon l’accord de paix signé le 9 janvier dernier, les habitants du Sud-Soudan voteront dans un peu plus de six ans pour dire s’ils veulent leur indépendance ou s’ils souhaitent rester dans un Soudan uni. Dans le Bahr el-Ghazal, ils sont beaucoup à souhaiter la sécession, après les années de guerre. Ils sont surtout nombreux à avoir d’autres préoccupations en tête. «Un vote dans six ans ? Non, je ne sais pas », avoue cette femme, « ce qui est vraiment important, pour moi, pour l’instant, c’est que je nettoie mes terres, que je commence les cultures pendant la saison des pluies. Et que cela me donne la nourriture nécessaire pour nourrir mes enfants.» Dans un autre village, un homme explique : «Oh, c’est très loin six ans et demi… Si Dieu me permet de vivre jusque là, je pense que je voterai pour la séparation du Sud. Parce que, vous savez, les gens ont faim, ici. Et ceux qui sont censés être notre gouvernement ne nous envoient aucune aide. S’ils pensaient vraiment que nous étions leur peuple, ils nous feraient parvenir de l’aide dans des saisons comme celle-ci.»

Le vote, dans six ans ? Il y a aussi ceux qui y voient une possible menace sur la paix. Comment réagiront les nordistes si le Sud prend son indépendance et emporte avec lui les gisements pétroliers. Santino Ngor Akok ne fait pas qu’accueillir ceux qui reviennent, il est aussi officier dans la SPLA, la branche armée du mouvement rebelle. Et il n’est pas particulièrement optimiste sur l’avenir de la paix. «Après les 6 ans, il y aura des réactions du gouvernement, au Nord. Comme nous avons l’autodétermination, le droit de prendre notre indépendance et comme le Sud pourra être un pays parmi les autres pays d’Afrique, ils vont réagir. Il y a aussi la question du pétrole. Il n’y a pas de pétrole au Nord, et si le Sud devient indépendant, nous prendrons le contrôle de notre pétrole. Le gouvernement au Nord n’acceptera pas une telle attitude, et il réagira en redémarrant la guerre».


par Laurent  Correau

Article publié le 02/06/2005 Dernière mise à jour le 03/06/2005 à 09:11 TU

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Le Sud entre dépendance et indépendance

Par Laurent Correau

«Ceux qui avaient fui la guerre, pour trouver, au Nord-Soudan, de l’argent ou un peu plus de sécurité reviennent.»