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Syrie

Le Baas promet des réformes, l'opposition doute

Bachar el-Assad pourrait renforcer son emprise sur le parti Baas en y intégrant son frère Maher el-Assad, un des chefs de la Garde républicaine et son beau-frère Assef Chawkat, actuellement à la tête des renseignements militaires.(Photo : AFP)
Bachar el-Assad pourrait renforcer son emprise sur le parti Baas en y intégrant son frère Maher el-Assad, un des chefs de la Garde républicaine et son beau-frère Assef Chawkat, actuellement à la tête des renseignements militaires.
(Photo : AFP)
Le Parti Baas, au pouvoir en Syrie depuis 1963, tient du 6 au 9 juin son VIIIe congrès alors que le pays subit de fortes pressions externes. Le régime promet des réformes «historiques» mais l'opposition, sceptique, parle de «simple opération esthétique». Entre-temps, la répression continue et les menaces américaines s'intensifient.

De notre correspondant à Beyrouth

Pris en tenaille entre à l'est les Etats-Unis, qui maintiennent 150 000 soldats en Irak, et au Sud Israël, qui occupe les hauteurs stratégiques du Golan, de plus en plus contesté à l'intérieur, et plus que jamais affaibli après le retrait de ses troupes du Liban, la Syrie est dans une situation peu enviable. C'est dans ces conditions particulièrement délicates que le régime organise un congrès national du «Parti Baas arabe socialiste», qui contrôle la société et l'Etat depuis plus de 40 ans.

A grand renfort de propagande, le régime promet de «profondes réformes» politiques et économiques, susceptibles de placer la Syrie sur la voie de la modernité. Certains parlent d'un «coup d'Etat blanc» mené par le président Bachar el-Assad contre la vieille garde pour initier un véritable changement. D'autres évoquent une «Révolution des jasmins» (une fleur largement répandue à Damas), qui inaugurerait une ère de prospérité et de liberté. Mais l'opposition, qui vient encore d'être victime d'une nouvelle vague de répression, ne croit pas à la volonté de changement du pouvoir baasiste.

Il y a une dizaine de jours, neuf membres du «salon» de discussion politique Atassi (du nom de son fondateur Jamal Atassi), ont été arrêtés et incarcérés, avant d'être libérés en début de semaine. Ils ont été accusés d'avoir demandé à l'un de leurs invités, le militant de gauche Ali Abdallah, de lire une lettre que leur avait adressée Ali Sadreddine Bayanouni, le chef des Frères musulmans, en exil depuis plus de vingt ans entre la Jordanie et Londres. Presque en même temps, le corps d'un cheikh kurde de 46 ans, militant des droits de l'homme, a été découvert étranglé dans un cimetière à Deir el-Zor. Selon Amnesty International, cheikh Mohammad Khaznaoui est mort le 30 mai dans une prison, sous la torture. Les autorités, elles, ont affirmé que l'uléma avait été tué par une «bande criminelle» dont les cinq membres auraient été arrêtés. Ces incidents, couplés aux menaces de Condoleezza Rice qui a déclaré que la Syrie «n'est pas l'abri de changements» (de régime?), montrent dans quel climat de tension se tient le congrès du Baas.

Le modèle chinois copié

Les délégués du parti discuteront lors de leur congrès de sujets qui étaient considérés comme des questions tabous il y a peu. Ils devraient voter l'instauration du multipartisme, l'allègement de l'état d'urgence et de la loi martiale en vigueur depuis des décennies, l'abolition du référendum présidentiel au profit d'élections présidentielles ouvertes à plusieurs candidats, la tenue d'élections législatives et municipales libres ainsi qu'une modification de la loi 49 qui stipule la peine de mort contre les membres de la Confrérie des Frères musulmans qui avait pris les armes contre le régime, dans les années 80 du siècle dernier. La tutelle exercée par le Baas sur les syndicats et les ordres professionnels serait abolie, et tous les prisonniers politiques seraient libérés d'ici au 1er juillet. De plus, la loi sur l'information sera libéralisée et la nationalité syrienne sera rendue à des dizaines de milliers de kurdes qui en avaient été privés dans les années 60.

Mais les réformes les plus importantes auront lieu dans le domaine de l'économie. Ainsi, les organes directeurs du parti recommanderont une rupture avec le dirigisme économique en vigueur depuis 40 ans au profit d'un «socialisme de marché» calqué sur le modèle chinois de développement : privatisation des entreprises publiques et création d'une Bourse des valeurs. Par ailleurs, le Commandement régional du Baas, composé de 21 cadres, sera réduit à 15 membres et rebaptisé «Direction du Parti». Des représentants de la vieille garde, comme les vice-présidents Abdel Halim Khaddam et Zouhair Macharka, et l'ancien ministre de la Défense Moustapha Tlass, seront remplacés par des cadres plus jeunes. Bachar el-Assad pourrait renforcer son emprise sur cet organe en y intégrant son frère Maher el-Assad, un des chefs de la Garde républicaine (unité d'élite du régime) et son beau-frère Assef Chawkat, nommé il y a trois mois à la tête des renseignements militaires.

Mais la rigidité idéologique n'est pas prête de disparaître. La proposition de changer le nom du parti a été abandonnée, le slogan du Baas (Unité, Liberté, Socialisme) sera maintenu, et l'armée restera une «armée idéologique». Enfin, le fameux article 8 de la Constitution qui stipule que le Baas a un rôle «prééminent dans la société et l'Etat» ne sera pas aboli et encore moins amendé. Comme pour prouver ses bonnes intentions, le régime a fait des gestes d'ouverture en direction de l'opposition. Dans une démarche sans précédent, la presse a ouvert ses colonnes aux critiques. Dans Techrine (quotidien gouvernemental), l'opposant Michel Kilo émet des doutes sur la capacité du Baas à réformer le système. «Seul l'émergence de l'Etat de droit et la participation de toutes les composantes politiques et sociales au pouvoir évitera l'effondrement du pays ou des conflits intérieurs qui nous dépassent», écrit-il. Hassan Abdel Azim, président du Rassemblement National Démocratique (RND, coalition de quatre partis d'opposition) doute de l'efficacité du congrès dans un article publié dans le même journal.

Et comme pour enfoncer le clou dans le cercueil du Baas, M. Abdel Azim a annoncé la prochaine tenue d'un congrès de l'opposition rassemblant toutes les forces politiques du pays, y compris les islamistes. Le Parti de l'action communiste fondé par Riad Turk, surnommé le «Mandela syrien» pour avoir passé vingt ans en prison, a également tenu des assises générales. Il a changé de nom pour prendre celui de Parti démocratique populaire de Syrie. Si, après les débats, les recommandations avancées par le congrès sont approuvées par le gouvernement puis par le Parlement (l'Assemblée du peuple), les réformes n'entreront en vigueur qu'à partir de 2007.Au rythme des petits pas de tortue, le changement n'est pas pour demain en Syrie.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 05/06/2005 Dernière mise à jour le 06/06/2005 à 15:49 TU

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Burhan Ghalioun

Directeur du centre d'études de l'Orient contemporain à l'Université de la Sorbonne à Paris

«Les Syriens veulent aujourd'hui montrer qu'ils sont encore puissants et qu'ils sont capables de résister aux pressions et qu'ils ne sont pas prêts à changer ni à transformer le système même qui est l'origine de tout ces problèmes.»

Frédéric Domont

Correspondant de RFI à Beyrouth

«La libération de tous les prisonniers politiques est officiellement prévu pour le premier juillet prochain.»

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