Granville, la station balnéaire située sur la côte normande (Manche) où grandit Christian Dior, rend hommage à l’enfant du pays, le célèbre couturier qui a traversé le siècle comme une comète. Christian Dior aurait aujourd’hui cent ans. Décédé brutalement à l’âge de 52 ans, il a laissé une griffe mondialement connue, et son style a été interprété avec maestria par ceux qui ont pris en main la destinée de la maison Dior au lendemain de sa mort. En exposant pour la première fois des pièces provenant des plus belles collections du musée de Kyoto (Japon) ou du Metropolitan museum of art de New York (Etats-Unis), le musée rend hommage à Christian Dior, un homme du siècle, à la vocation tardive et au parcours aussi flamboyant qu’il fut fulgurant.
La célébration du centenaire de ce nom, rentré dans la légende, commence dans le parc qui entoure la maison. Avant de gravir les quelques marches du perron de la villa Les Rhumbs, on entre au musée Dior comme on entrerait en poésie, en traversant un jardin planté de grands pins maritimes, un jardin des parfums tout en fleurs en couleurs et en senteurs. « Tout y est luxe, calme et volupté », comme eut dit Baudelaire (poète français XIXesiècle). Ici des parterres bien dessinés, là des allées de fleurs simples et sauvages et, en bordure du jardin côtier perché sur une crête de falaise qui domine la mer turquoise et indigo, deux roseraies -où s’épanouissent des roses Pierre de Ronsard et des roses anciennes- conduisent à un petit plan d’eau ombragé. De discrets panneaux décrivent les essences qui composent les parfums distribués aujourd’hui dans le monde entier.
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Flacon de parfum en cristal de Baccarat © Musée Christian Dior |
Des effluves de muguet du parfum
Diorissimo aux fragrances de rose ancienne et de jasmin de
Miss Dior, un parfum intimement lié au
New Look (« nouvelle allure ») qui distingue le style né avec le couturier, «
le parfum, disait Christian Dior
, c’est le finishing touch (« touche finale ») d’une robe, c’est la rose dont Lancret signait ses toiles. Un parfum est une porte ouverte sur un univers retrouvé. Voilà pourquoi je suis devenu parfumeur, pour qu’il suffise de déboucher un flacon pour voir surgir toutes mes robes et pour que chaque femme que j’habille laisse derrière elle un sillage de désir ». Au cœur du catalogue (éditions Artlys) édité pour célébrer ce centenaire, sont rapportés les écrits de Christian Dior, comme une invitation à le suivre pour mieux rentrer dans l’univers du créateur, et comprendre ses inspirations -dont les jardins furent la première source: «
Ayant hérité de ma mère la passion des fleurs, je me plaisais surtout dans la compagnie des plantes et des jardiniers.(…) j’aimais par-dessus tout apprendre par coaur le nom des fleurs dans les catalogues en couleurs de la Maison Villemorin-Andrieux ».
Christian Dior, enfant de son temps
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Robe «May», collection printemps-été 1953. © The Metropolitan Museum of Art New York |
«
La maison d’enfance était crépie d’un rose très doux, mélangé avec des graviers gris, et ces deux couleurs sont demeurées en couture mes teintes de prédilection », nous confie encore Christian Dior. Du rose, du gris, des fleurs et l’on pénètre dans l’univers diapré et chatoyant des soieries et des taffetas. Brodées, gaufrées, agrémentées de pampilles, de strass, de perles, de rubans et de dentelles, les plus belles robes exposées dans des vitrines semblent se mettre en mouvement sous l’effet d’un jeu de lumière ondulatoire. Passé le jardin d'hiver où sont exposés les plus beaux flacons de parfum en cristal de Baccarat avec bouchon doré à l’or fin (1956) ou en cristal clair coiffé d’un bouchon en cœur de rose (1963), on entre dans l’évocation poétique des modèles de robe aux noms évocateurs : modèle
Cygne noir, modèle
May, modèle
Aladin, modèle
Junon, modèle
Muguet, modèle
1er Mai, modèle
Goémon, modèle
Cigale. Plus évocatrices encore les descriptions des modèles : «
robe brodée mille fleurs », «
robe à danser en plumage taffetas noir plissé », «
organza de soie ivoire brodée de pâquerettes », ou «
de framboises et de trèfles » ou «
organdi blanc brodé de clochettes », «
taffetas changeant tourterelle traité en rocaille », qui fait écho à l'ombrelle
« couleur gorge de pigeon » de Madame Bovary (personnage du romancier français Gustave Flaubert)!
L’homme n’était dénué ni d’humour, ni de fantaisie, et avouait un goût pour le charme discret des boudoirs début de siècle. Dans la première salle de l’exposition, organisée sur trois étages Jean-Luc Dufresne, commissaire de l’exposition, rappelle que : « Avant de devenir le couturier que l’on sait, Christian Dior aura longtemps parcouru des chemins buissonniers au fil desquels, à la manière d’un promeneur contemplatif, il s’imprègne du paysage alentour, de la vie de l’époque et surtout des arts ». Quelques modèles exposés de robes du Second Empire ou de la Belle Epoque, inscrivent l’œuvre de Christian Dior dans un prolongement de son goût pour les formes cintrées et permettent d’apprécier, en contre-point, « la révolution » apportée dans la couture par son fameux tailleur Bar qui le révéla en 1947 et dont le succès assuré outre-Atlantique signait l’avènement du New Look.
Pas de créativité sans audace
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Accessoires de chez Dior © Musée Christian Dior |
Quelques œuvres d’artistes amis sont également exposées, rappelant par là que Christian Dior était aussi « Enfant de l’art du temps ». En guise de toile de fond de ce qui constituait son univers culturel, quelques pièces de mobilier et quelques tableaux permettent un rapide tour d’horizon :
Lutte antique, un tableau de Giorgio di Chirico (1928),
Toute nue, une encre sur papier de Salvador Dali (1931),
la Bottine, une huile sur toile de Leonore Fini(1933), ou
Femmes à la colombe (1919), une huile sur toile de Marie Laurencin, sont autant de clins d’œil à la passion de Christian Dior pour les arts. Ils rappellent qu’il fut galeriste d’art avant d’être couturier et qu’il fréquentait de si près le milieu artistique qu’il créa même des costumes pour le théâtre et le cinéma.
Entièrement dédié à l’évolution des œuvres, la deuxième partie de l’exposition propose en raccourci le parcours de Christian Dior, des robes épanouies sous le signe de la Corolle (1947-1950) où il développe le thème de la femme fleur aux « épaules douces, à la taille fine, aux hanches arrondies », aux robes répondant à une ligne Fuseau (1957-1958) qui poursuivent le souci d’une silhouette allongée et élégante, mais délivrée de toute contrainte, en passant par la ligne Profilée (en 1952) qui exalte la construction et passe de la courbe à l’angle. En marge des robes réunies comme en une salle de bal, les accessoires rappellent que le maître de l’élégance n’oubliait pas non plus d’être attentif aux accessoires : les strass des parures complètent les toilettes -accompagnées ici de petits tambourins ou autres bicornes en paille, en feutre, ou en satin, et là de souliers en velours brodé et monogrammé, ou en satin orné de clochettes de muguet et de feuilles de rosier sur l’empeigne.
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Soulier orné de muguet, la fleur fétiche de Christian Dior. © Musée Christian Dior |
Dior s’éteint brutalement en 1957, et sa mort précoce a certes nourri le mythe du grand couturier devenu symbole de la France à l’étranger. Il n’en demeure pas moins que Bernard Arnault le patron du groupe Dior (holding de contrôle de la maison Christian Dior Couture et du groupe LVMH souligne : «
Grâce à lui, nous avons pu bâtir un empire du luxe et devenir n°1 dans le monde ». Il eut été injuste de ne pas saluer le génie créatif de ses dignes héritiers Yves Saint-Laurent, Marc Bohan, Gianfranco Ferré et aujourd’hui John Galliano qui, depuis dix ans, continue chaque saison à révolutionner la mode. Le dernier étage de la villa expose
Passage 7, John Galliano pour Christian Dior (2003), une robe rouge à imprimé japonisant en lamé doré aux côtés du modèle
Absinthe, un long fourreau de dîner en satin pistache rebrodé de chinoiseries aux fils bleus et ivoires, du même auteur, ... histoire de souligner qu’imagination débridée et élégance ne sont pas antinomiques ; histoire de rappeler aussi qu’il n’y a pas créativité sans audace.