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Eau

Euphrate : la Syrie ouvre les vannes

Depuis la mi-juin, la Syrie a augmenté le débit de l’Euphrate vers l’Irak, offrant à son voisin des quotas d’eau plus importants. Les autorités syriennes ont décidé d’augmenter le débit du grand fleuve du Proche-Orient pour aider l’Irak en guerre à passer la saison sèche.

La Syrie et l’Irak se disputent depuis longtemps les eaux de l’Euphrate. Et en été, le partage de la ressource est plus aigu puisque cette région proche-orientale est désertique. Comme l’Irak est en guerre, les autorités syriennes ont décidé de l’aider en augmentant le débit du fleuve au-delà des quotas instaurés pour le partage des eaux du fleuve entre la Syrie, l’Irak, mais aussi la Turquie. « La Syrie a laissé s’écouler depuis la mi-juin quelque 670 millions de mètres cube d’eau vers l’Irak, a déclaré Nader Bounni, ministre syrien de l’Irrigation, il s’agit d’un soutien de la Syrie pour un retour à la vie normale en Irak et d’une marque de solidarité avec le peuple irakien qui traverse une situation difficile. L’augmentation du débit vers l’Irak durera pendant les trois mois d’été ».

Le ministre syrien a par ailleurs annoncé que « la Syrie et l’Irak sont déterminés à poursuivre l’édification d’une station de pompage syrienne sur le Tigre », l’autre grand fleuve de la région, qui lui aussi prend sa source en Turquie et qui marque sur une quarantaine de kilomètres la frontière entre la Turquie et la Syrie, avant d’entrer en Irak.

Ankara peut fermer le robinet

Le partage des eaux du Tigre et de l’Euphrate entre la Turquie, la Syrie, et l’Irak, les trois pays traversés par ces deux fleuves, a toujours été une source de conflit. L’Euphrate prend sa source dans les montagnes du sud-est de la Turquie. Elles sont le château d’eau du fleuve et d’une certaine manière, quels que soient les accords signés entre les trois pays, c’est Ankara qui a le pouvoir d’ouvrir et de fermer le robinet du fleuve. En vertu d’un accord signé en 1987, la Turquie laisse passer en moyenne 500 mètres cubes d’eau par seconde vers la Syrie. La Syrie à son tour garantit le passage de 58% des eaux de l’Euphrate vers l’Irak. Après avoir franchi la frontière syrienne, le fleuve prend la direction de l’Est pour entrer en Mésopotamie, région agricole irakienne très fertile. Au sud de Bagdad, l’Euphrate rejoint le Tigre, zone marécageuse en cours d’assèchement qui forme le Chatt el Arab, frontière naturelle entre l’Irak et l’Iran.

Le projet tentaculaire du GAP

Vue du chantier du GAP.
(Photo: FORSNET)
Lorsqu’il a annoncé ce cadeau à l’Irak, ces mètres cube d’eau supplémentaires pour passer la saison la plus difficile, le ministre syrien de l’Irrigation a, une nouvelle fois, demandé à la Turquie un partage «plus équitable» de l’eau. Damas accuse Ankara de rationner l’eau, surtout en été, en raison du remplissage de plusieurs barrages qui vont servir au développement du sud-est anatolien. C’est le GAP, le Güneydogu Anadolu Projesi, un projet sur le Tigre et l’Euphrate.  Cet immense chantier a été lancé à la fin des années 1970. Il est aujourd'hui largement réalisé. Plusieurs dizaines de barrages ont été construits pour irriguer le sud-est anatolien, région kurde et arabophone. Un périmètre d’irrigation de 1 800 000 hectares est en cours de création. Les principaux barrages (Keban, Karakaya, Atatürk) doivent également produire de l’électricité, permettant dans le même temps d’industrialiser cette région déshéritée.

Avec ce gigantesque projet, les relations Turquie-Syrie et Turquie-Irak se sont fortement dégradées, à un moment où la région était déjà sous tension : conflit Israël-Palestine, guérilla indépendantiste au Kurdistan turc, conflit irako-iranien, guerre du Golfe puis guerre en Irak. Sans parler des enjeux pétroliers. La Turquie n’ayant quasiment pas d’hydrocarbures, la ressource en eau est pour elle stratégique.

L’Irak grand perdant

Quand tous les projets turcs seront réalisés, 22 barrages pouvant stocker 110 milliards de mètres cube (101 sur l'Euphrate et 9 sur le Tigre)  et que les 19 centrales hydroélectriques seront en fonctionnement, les spécialistes estiment qu’entre 17 et 34% du débit de l’Euphrate sera absorbé par ces ouvrages. En Syrie, le débit de l'Euphrate sera réduit de 11 milliards de m3 et celui du Tigre de 6 milliards. D’où les inquiétudes actuelles de Damas, même si la Syrie a elle aussi, dans les années 60-70, lancé un programme d’exploitation des eaux de l’Euphrate avec un succès mitigé. Dans les années 80, la construction d’un barrage à Tabqa a permis d’étendre les surfaces irriguées mais elles sont essentiellement utilisées pour la culture du coton. Pour les produits agricoles, la Syrie a fait le choix d’exploiter des nappes phréatiques à grande profondeur.

Dans une dizaine d’années, quand les projets turcs seront aboutis, les spécialistes estiment que l’aménagement des deux fleuves sera terminé. A ce moment-là, l’Irak perdra peut-être 80% des eaux de l’Euphrate et elles seront polluées par les produits chimiques utilisés en Turquie, seul pays de la région à avoir déjà un solde positif de sa balance agricole. Autre problème généré par l’irrigation, la salinisation des sols. Lorsqu’on irrigue en climat sec, beaucoup d’eau s’évapore  et le sel qu’elle contient reste dans les terres. Près de 90% des eaux mobilisées dans la région sont destinées à l’agriculture. Car dans ce dossier, il faut également prendre en compte le facteur démographique. La population de la Turquie, de la Syrie et de l’Irak a triplé en 50 ans.


par Colette  Thomas

Article publié le 29/06/2005 Dernière mise à jour le 29/06/2005 à 16:03 TU