Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Cachemire

Les réfugiés pandits: les oubliés de la guerre du Cachemire

Khumar Jee, leader et guide spirituel, enseigne la Bhagavad Gîta dans les camps de réfugiés.(Photo: Pauline Garaude)
Khumar Jee, leader et guide spirituel, enseigne la Bhagavad Gîta dans les camps de réfugiés.
(Photo: Pauline Garaude)
Elite intellectuelle et spirituelle des hindous, les Pandits, originaires du Cachemire, ont été dès 1989 la première cible des activistes musulmans lors du soulèvement contre l’autorité de New Delhi. Victimes d’épuration ethnique, leurs maisons et temples brûlés, plus de 350 000 ont dû fuire vers le sud de la vallée, à Jammu. Depuis, une majorité vit toujours dans des camps de réfugiés, dans l’espoir du retour.

De notre envoyée spéciale

Une pièce de 20m² : aux murs, des posters de divinités hindoues, des étagères improvisées où sont empilées des valises, un placard en métal, une étagère où trône un poste de télévision et des photos de famille, un grand lit, et au sol, des nattes où s’éparpillent feutres et cahiers : voici où vit Ramesh, réfugié avec sa famille depuis son adolescence. «Nous sommes neuf : mes parents, ma femme et notre fils, mon frère et ses enfants», dit-il en balayant du regard l’unique pièce de leur maison. Et pendant dix ans, il a vécu sous une tente dans des conditions bien plus misérables.

«Il n’y a que cinq ans que le gouvernement a construit ces habitations en briques, une par famille. Et encore, j’ai amputé l’espace pour construire une petite cuisine car il n’y avait qu’une gazinière collective pour cinq familles !». Né en 1975 à Srinagar, au Cachemire, il a fui lors de l'exode de 1990. «J'étais étudiant et nous avions une très belle maison.  En 1989, les musulmans l’ont réquisitionnée, nous menaçant de nous tuer si on ne quittait pas les lieux illico ! On a eu la nuit pour prendre avec nous le nécessaire et le lendemain, on était partis. La voiture était pleine à craquer. Nous pleurions. Ce voyage était celui de l’exil».

«Nous vivons librement, mais nous sommes prisonniers»

«Au total, ce sont plus de 50 000 personnes qui vivent dans 18 camps», précise Dr Charangoo, hindou, fondateur d’une association qui milite pour la reconnaissance des droits des Pandits au Cachemire. «Les plus chanceux vivent dans les villages ou en ville, dans des maisons louées ou achetées. Ceux-là ont pu reconstruire leur vie. Mais ceux qui vivent dans les camps n’ont aucun avenir !». En atteste Suresh, 42 ans, réfugié depuis 1990. «J’ai ouvert cette boutique de vêtements en 1998», raconte-t-il. Comme quelques-uns, il a monté un petit commerce dans l’une des rues avoisinantes du camp où se mélange la population locale et réfugiée. «Je gagne 800 Roupies (16 €) par mois avec sept personnes à charge. L’aide mensuelle du gouvernement est de 2 400 roupies par foyer. Comment voulez-vous louer une maison et tenter de refaire votre vie ? C’est impossible».

Il rêve d’un meilleur salaire, mais poursuit avec résignation : «Plus de 90% des réfugiés sont sans emploi et c’est très difficile de trouver un travail décent car le gouvernement ne nous donne aucune facilité. En 1989, alors que 20 000 Pandits occupaient des fonctions dans l’administration indienne, on est moins de 4000 aujourd’hui. On se débrouille donc avec des petits boulots de subsistance. Nous vivons librement mais nos conditions de vie de réfugiés font de nous des prisonniers !». A cela, ajoutons le sentiment d’insécurité quotidienne. «Nous avons toujours peur d’être la cible d’attaques islamistes. Les camps ne sont pas protégés et ils peuvent s’infiltrer facilement», craint un père de famille. «Nous voulons regagner nos terres du Cachemire mais personne ne s’est jamais soucié de la place des Pandits dans le processus de paix. Nous sommes les oubliés de la guerre et croupissons dans des camps. Dans dix ans, quand la Vallée sera totalement islamisée, que restera-t-il des Pandits ?», s’interroge Suresh, qui comme des milliers d’autres, n’entrevoit hélas pas la perspective d’un avenir meilleur.

«La Gîta est notre ciment»

Pour cette population de réfugiés déracinés, pour ces Pandits qui ont toujours été l’élite intellectuelle et spirituelle des hindous, Shami Kumar Jee est leur «sauveur». Ce guide spirituel enseigne la Baghavad Gîta - texte sacré et fondateur de l’hindouisme - depuis dix ans auprès des réfugiés. «J’ai trois classes quotidiennes et vais chaque jour dans un camp différent pour qu’un maximum de personnes puisse venir», dit-il, assis en tailleur, le livre de la Gîta ouvert sur ses genoux. Dans cette pièce exiguë qu’est l’ashram, Kulsum est venue pour la prière et la classe matinales. «Heureusement que nous l’avons !», s’exclame-t-elle. «Il est le ciment de notre société. Grâce à lui, nous restons soudés avec nos racines».

Qu’ils soient enfants ou vieillards, tous viennent au moins une fois par semaine suivre ses enseignements et recevoir sa bénédiction. Car la Gîta est aussi un moyen d’affronter leur condition de vie. «Ici, il y a beaucoup de stress et de tension», souligne Shami. «Or, le message de la Gîta les soulage car il est basé sur la satisfaction de ce que l’on a et sur notre vie future. Cela nous permet d’être plus solide moralement et de ne pas cultiver de haine contre les Cachemiris qui nous ont chassés».

par Pauline  Garaude

Article publié le 04/07/2005 Dernière mise à jour le 04/07/2005 à 08:19 TU