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Zimbabwe

Des bulldozers dans les quartiers chics

Le 17 juin 2005, un maison dans le quartier de <EM>Chitungwiza </EM>est détruite.(Photo : AFP)
Le 17 juin 2005, un maison dans le quartier de Chitungwiza est détruite.
(Photo : AFP)
Les autorités ont annoncé dimanche qu’après les bidonvilles, ce sont les baraques des domestiques et les garages des banlieues chics de la capitale, Harare, qui seront rasés. Sous couvert de nettoyage, l’opération «murambatsvina» (se débarrasser des ordures) lancée par le pouvoir le 19 mai dernier, a déjà mis à la rue quelque 200 000 habitants des cités dortoirs satellites des grandes villes. Derrière les exigences d’hygiène affichées par les autorités se profile un second volet autrement essentiel : «restore order» (rétablir l'ordre). Le régime Mugabe entend reprendre le contrôle d’un secteur informel proliférant et en même temps celui d’un habitat spontané impénétrable aux alentours des métropoles. Il a promis de construire des logements neufs pour réinstaller les «déguerpis». En attendant, il leur suggère un improbable retour à la terre.

La police a commencé aujourd’hui à procéder à la vérification des permis de construire dans les banlieues résidentielles d’Harare. Les propriétaire qui ne seraient pas en état de grâce avec le pouvoir n’ont qu’à bien se tenir. Ils devront détruire à leurs frais toute dépendance illégalement bâtie pour loger leur personnel ou leurs voitures. Les agents de propreté du régime Mugabe exigent la disparition de toute extension non conforme à un plan d’occupation des sols inédit en un quart de siècle d’indépendance. Dans les quartiers cossus peu densément peuplés, l’opération «murambatsvina» va bouleverser le maigre salariat des employés de maison, après avoir ruiné les gagne-petit des townships. Déjà, depuis fin mai, 200 000 personnes, selon l’Onu (1,5 million selon l’opposition), se préparent à attendre longtemps le «confort futur» promis par le président Robert Mugabe.

Robert Mugabe a aussi beaucoup insisté sur la répression de la criminalité pour justifier son nettoyage des faubourgs. La chasse aux «ordures» s’est déjà soldée par 46 000 interpellations et plusieurs personnes seraient mortes au cours des démolitions. La police zimbabwéenne dément. Les forces de l’ordre accusent les journalistes d’avoir «sciemment trompé les gens», en annonçant quatre morts, la semaine dernière, dans le bidonville de Porta Farm, près de Harare. Dans une autre cité satellite de la capitale, l’immense township de Hatcliffe, le quartier des petites échoppes informelles témoigne de la cible principale du pouvoir. Il a été complètement rasé. Certains habitants se sont réfugiés de maison en maison, de destruction en destruction, finissant leur parcours dans des camps de transit. L’Onu s’est ému de cette campagne de démolition et une envoyée spéciale du secrétaire général, Anna Kujumulo Tibaijuka, a été dépêchée sur place le 26 juin.

Anna Kujumulo Tibaijuka s’est rendue dans la ville de Mutare, à l'est du pays, en particulier au camp de Caledonian Farm, où plus de 4 000 expulsés campent sous des abris de toile, et à Porta Farm, près d’Harare, le «site de la plus vaste opération d'expulsion menée par le gouvernement», un champ de ruines où vivaient quelque 10 000 personnes. Après une visite à Bulawayo, la deuxième ville du pays, au Sud-Ouest, Anna Kujumulo Tibaijuka est rentrée samedi à New York pour rédiger le rapport que Kofi Annan devait transmettre au G8. Mais l’indignation soulevée par les attentats de Londres ont pris le pas sur l’opprobre internationale visant Mugabe.

«Ils reviendront de toute façon»

«Dans une démocratie, les gens ne peuvent pas être forcés de rester à l'écart d'une ville, ils ne peuvent pas non plus être expulsés d'une ville. La liberté de mouvement est fondamentale. Les gens viennent dans les villes pour des raisons économiques. Si on essaie de les renvoyer, cela ne marche pas. Ils reviendront de toute façon», relève Anna Kajumulo Tibaijuka. Reste que l’habitat spontané n’est pas massif au Zimbabwe où les bidonvilles représentent 3,4% des logements. Il n’est pas sûr pour autant que les autorités aient la volonté réelle de mettre des moyens suffisants dans la reconstruction. L’envoyée spéciale de Kofi Annan a donc annoncé vendredi la création «immédiate» d'un bureau Habitat des Nations unies au Zimbabwe, «avec un directeur de programme qui va travailler avec le gouvernement, la société civile et les donateurs, pour répondre une fois pour toutes à ces défis de manière durable». Les autorités zimbabwéennes sont d’accord pour toute «assistance technique ou financière», mais veulent garder l’exclusivité du programme de relogement, indique Ignatius Chombo, le ministre zimbabwéen des Travaux publics et du développement urbain.

«Les pauvres ne sont pas des criminels. Ils travaillent dur pour obtenir le peu qu'ils ont et ils ne devraient donc pas être traités comme des criminels», déplore Anna Kajumulo Tibaijuka. Elle explique que «le rapatriement rural ne marche pas», surtout pour des populations urbanisées de longue date et dans un pays où la réforme agraire fait long feu. Robert Mugabe n’a en effet pas résolu le problème de la pression foncière en expropriant les fermiers blancs. Le manque de terres arables reste entier, les infrastructures rurales et les intrants font cruellement défaut et les chômeurs aspirent à un mode de vie plus urbain. En réponse à ces problèmes, Robert Mugabe continue d’appliquer la même recette, le nettoyage par le vide.


par Monique  Mas

Article publié le 11/07/2005 Dernière mise à jour le 11/07/2005 à 14:18 TU