Tchad
Le pouvoir intact des hommes de Habré
Human Rights Watch dénonce qu'une quarantaine de hauts postes de l'administration tchadienne est occupée par d'anciens fonctionnaires du régime Habré (1982-1990).
(Photo: AFP)
«Les ex-tortionnaires ont des postes de responsabilités tandis que les victimes et leurs familles n’ont jamais reçu une quelconque réparation ou reconnaissance», déclare Reed Brody de Human Rrights Watch (HRW). L’organisation de défense des droits de l’Homme a recensé quarante et un responsables à différents niveaux de la police politique, la fameuse Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) sous le règne de Hissène Habré (1982-1990), qui seraient toujours en activité dans l’administration tchadienne. Après une enquête sur le terrain HRW dresse une liste des personnes mises en cause et les fonctions qu’elles occupent aujourd’hui.
«Des trois anciens directeurs de la DDS toujours au Tchad, l’un est actuellement Délégué régional de la Police Nationale, le second est Préfet et le troisième travaille pour le Ministère de la Communication. Un ancien chef de service de la DDS, accusé de torture devant les tribunaux, est aujourd’hui Directeur des Services de Police. Un homme identifié dès 1992 par la Commission d’enquête du ministère tchadien de la Justice sur les crimes de Hissène Habré comme l’un des « tortionnaires les plus redoutés » de la DDS est maintenant Commandant du Corps urbain du 6e arrondissement de Ndjaména, la capitale du Tchad. Un ancien chef de service de la DDS, contre lequel plusieurs plaintes ont été déposées pour tortures, est l’actuel chef de la Sécurité à l’Aéroport international de Ndjaména. Un directeur de la Sûreté nationale sous Hissène Habré occupe actuellement le poste de Coordinateur national de la zone pétrolière, et un ancien directeur adjoint de DDS est maintenant le directeur de la Police judiciaire .Enfin, l’ancien gardien des « Locaux », l’un des pires centres de détention de la DDS où des crimes atroces furent commis, est maintenant le régisseur de la maison d’arrêt de Ndjaména».
Au lendemain de la prise de pouvoir par Idriss Déby, la Commission d’enquête nationale du ministère de la Justice avait recommandé en vain au gouvernement tchadien d’écarter des sphères du pouvoir toutes les personnes impliquées dans les disparitions, assassinats et autres actes de torture. Mais l’acharnement de HRW a fini par avoir raison de l’une d’elles, Mahamat Djibrine, envoyé par son pays pour servir au sein de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Son passé l’a rattrapé et l’ONUCI a préféré le renvoyer à Ndjaména où il a retrouvé un poste au sein de la hiérarchie policière du Tchad. «Que nos anciens tortionnaires occupent encore des postes de responsabilité au sein de l’administration tchadienne nous révolte déjà profondément, mais que maintenant ils représentent le Tchad dans les instances internationales, cela dépasse l’entendement», fait remarquer Ismael Hachim, président de l’Association des victimes des crimes et répressions politiques (AVCRP). «C’est une insulte faite à ses victimes, à l’ONU ainsi qu’aux Tchadiens et aux Ivoiriens dans leur ensemble», a déclaré Jacqueline Moudeina, présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (ATPDH).
Le pouvoir d’Idriss Déby qui avait donné des signes encourageants en 1992 sur la condamnation du régime Habré, en mettant en place une commission d’enquêtes sur les crimes commis s’est par la suite enfermé dans un mutisme que de nombreux Tchadiens ne s’expliquent pas. Et pourtant les faits étaient accablants. La commission d’enquête était parvenue à des conclusions dramatiques pour l’ensemble du pays : «plus de 40 000 victimes, plus de 80 000 orphelins, plus de 30 000 veuves et plus de 200 000 se trouvant, du fait de cette répression, sans soutien moral et matériel». Face à l’ampleur du traumatisme subi par le pays, la commission d’enquête avait suggéré au nouveau gouvernement tchadien d’ériger un monument à la mémoire des victimes, de décréter une journée du souvenir et de faire de l’ancien siège de la DDS, prison souterraine appelée «piscine», un musée.
Dans le même esprit d’exigence de réparation plusieurs associations de victimes ont intenté des actions en justice contre Hissène Habré et ses acolytes, mais les procédures à Ndjaména piétinent. Selon HRW, les positions influentes qu’occupent aujourd’hui les ex-tortionnaires dans l’administration du Tchad seraient un frein à la conduite normale des dossiers. Par ailleurs, Hissène Habré est toujours sous le coup d’une poursuite judiciaire en Belgique, en revanche la justice sénégalaise s’était déclarée incompétente pour le juger, après l’avoir inculpé de complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de tortures et de barbarie.
par Didier Samson
Article publié le 12/07/2005 Dernière mise à jour le 12/07/2005 à 17:21 TU