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Alain Bombard, la mort d’un «naufragé»

Alain Bombard à bord de L'Hérétique, avec pour tout bagage un sextant, un filet à plancton et quelques lignes pour pêcher...(photo : AFP)
Alain Bombard à bord de L'Hérétique, avec pour tout bagage un sextant, un filet à plancton et quelques lignes pour pêcher...
(photo : AFP)
Le biologiste Alain Bombard est mort mardi à l’âge de 80 ans. Le docteur Bombard fut l’un de ces scientifiques, aventuriers du XXème siècle, dont les expériences de survie en milieu extrême ont utilement marqué l’aventure humaine.

Aujourd’hui on ne prend plus la mer sans embarquer un «bombard», facile à identifier sur le pont des navires, au cas où. Bombard est un nom commun qui désigne un canot de survie, équipement obligatoire pour qui prend la mer. C’est là que réside la principale contribution du docteur Alain Bombard, membre éminent du club très fermé, et restreint, de ces explorateurs utiles du siècle dernier. C’est une époque au cours de laquelle le terrain valide encore la connaissance et marque les limites de l’humainement possible. C’est la génération des Paul-Emile Victor, Jacques-Yves Cousteau, Haroun Tazieff, aventuriers et chercheurs qui paient de leur personne pour démontrer le bien-fondé de la théorie, qui mettent leur passion et la science à l’épreuve des faits et au service d’une cause. Ils ne le savent pas encore, mais ils contribuent à jeter les bases du mouvement écologiste. Ils inspireront la génération suivante, celle des Jean-Louis Etienne, Gérard d’Aboville, et autres aventuriers qui, confrontés à l’épreuve, puiseront leurs ressources dans les enseignements de celui qui deviendra un spécialiste incontesté de la survie en mer.

Jeune médecin, il exerce à Boulogne-sur-Mer lorsque son destin bascule à l’occasion d’un terrible naufrage au cours duquel 43 marins périssent, de façon apparemment incompréhensible, à quelques encablures du port. Il engage alors des recherches vers ce problème vital de la survie en mer. Quelques mésaventures marines, sans conséquence, le mettent sur la voie des possibilités inexploitées dans les situations jugées ordinairement désespérées. Il veut prouver qu’avec un équipement minimum, sans eau ni vivres, un naufragé peut trouver les ressources pour survivre longuement dans des conditions hostiles, à condition que le moral tienne bon. A bord de L’Hérétique, un canot pneumatique équipé d’une voile, avec pour tout bagage un sextant, un filet à plancton et quelques lignes pour pêcher, il quitte l’archipel des Canaries le 19 octobre 1952, cap à l’Ouest. Au cinquantième jour, il rédige son testament. «Je tiens à dire que mon expérience est valable pour cinquante jours. Ce n’est pas parce que j’arrive mort que les naufragés doivent désespérer», écrit-il.

«Aujourd’hui, la survie, c’est la règle»

Soixante-quatre jours plus tard, et 6 000 km plus loin, il accoste à la Barbade, dans les Caraïbes. Il est très éprouvé physiquement, il a perdu 35 kg. Dans ses prévisions, il a négligé les ravages de l’hypothermie. Mais il vient de démontrer que le plancton est un aliment riche en vitamine C, que l’eau de mer absorbée en petite quantité n’est pas un poison, que la récupération de l’eau douce, notamment dans les chairs des poissons, constituait un apport substantiel pour résister à l’épreuve, enfin que l’un des principaux obstacles à la survie était bien le désespoir.

En 1973, interrogé sur son exploit, il explique qu’en 1952 un naufragé sur 1 000 était sauvé. «Aujourd’hui, la survie, c’est la règle», dit-il. Pourtant, à son retour, son exploit ne rencontre que l’incrédulité de la communauté des savants et il lui faudra publier le récit des ses aventures (Naufragé volontaire sort en 1958) pour finalement convaincre de l’utilité de l’expérience et accéder à la popularité.

Scientifique engagé

En 1958 survient un drame. Lors d’un essai en mer de matériel réputé insubmersible, neuf personnes se noient. Lui seul en réchappe. Sa responsabilité est écartée, mais le choc est terrible. D’autant qu’il accumule les problèmes. Sous le poids des dettes, son bateau-laboratoire, le Coryphène, est saisi. En 1963, il lance un SOS et fait une tentative de suicide. L’empereur de l’anisette, Paul Ricard, lui remet alors le pied à l’étrier. Mécène, il rachète le Coryphène, lui permet de poursuivre ses travaux et de s’investir dans l’action publique, au service de l’environnement.

Car Alain Bombard est un scientifique engagé. Après avoir été un compagnon de route du Parti communiste, il rejoint le Parti socialiste en 1974 et fait un bref passage d’un mois dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy, en 1981, comme secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Environnement. Un passage très remarqué au cours duquel il se fait épingler pour ses propos contre la chasse à courre qui irritent en haut lieu. Il obtient ensuite un mandat de député européen qu’il exerce assidûment jusqu’en 1994.

Aux dernières nouvelles, L’Hérétique est entreposé dans une caisse au musée de la Marine où il attend d’être restauré. Aujourd’hui, en plus d’un «bombard», les marins et les plaisanciers embarquent une balise GPS (Global position system). Au cas où.


par Georges  Abou

Article publié le 20/07/2005 Dernière mise à jour le 20/07/2005 à 16:25 TU