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Nations unies

Conseil de sécurité : l’impossible réforme

Les dissensions apparues au sein des pays membres pourraient compromettre la réforme annoncée du Conseil de sécurité de l'ONU
Les dissensions apparues au sein des pays membres pourraient compromettre la réforme annoncée du Conseil de sécurité de l'ONU
Si beaucoup s’accordent aujourd’hui pour reconnaître que le Conseil de sécurité des Nations unies, dans sa forme actuelle, a de moins en moins de légitimité et pèche notamment par son manque de représentativité, la problématique de son élargissement –point d’orgue de l’ambitieuse réforme proposée par Kofi Annan– reste des plus aléatoires. Les rivalités régionales sont en effet telles qu’un compromis sur cette épineuse question semble plus que jamais difficile à obtenir. Et tout indique que l’organisation internationale risque fort, à la mi-septembre, de fêter son soixantième anniversaire sans être parvenue à réformer la plus importante de ses instances.

Lors de sa création, en 1945, sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale et de l'ancienne Société des Nations (SDN), l'Organisation des Nations unies ne regroupait que 51 pays, et les cinq grandes puissances du moment, à savoir les Etats-Unis, l'Union soviétique, la Chine, la France et la Grande-Bretagne y avaient la part belle puisque chacune disposait d'un siège permanent au Conseil de sécurité. Mais le monde a depuis fondamentalement changé et si les «cinq grands» pouvaient à la rigueur prétendre, à l'époque, représenter à eux seuls, l'essentiel des forces mondiales, ce n'est désormais plus le cas puisque la décolonisation est en effet achevée depuis près de trente ans et que l'ONU compte aujourd'hui 191 Etats membres. Or ce-sont toujours les mêmes mécanismes décisionnels –de moins en moins adaptés au monde moderne– qui la régissent.

La grave crise qui a secoué en 2003 le Conseil de sécurité, lors de l'entrée en guerre de la coalition contre l'Irak de Saddam Hussein, n'aura finalement fait que mettre en lumière les limites du système et la nécessité d'une réflexion non seulement sur le fonctionnement de cette instance –dont des puissances régionales comme l'Inde, le Brésil, le Japon ou l'Afrique du sud sont soient absentes ou sans pouvoir décisionnel– mais aussi sur celui de l'ONU dans son ensemble. Pour ne prendre que l’exemple de l’Irak, ces pays, dont le poids démographique mais aussi économique n’est plus à démontrer, n’ont en effet guère eu leur mot à dire lorsqu’en votant la résolution 1511, le Conseil de sécurité a légitimé a posteriori l’offensive américano-britannique en reconnaissant l’occupation de ce pays.

Les six propositions de Conseil de sécurité

Parfaitement au fait de cette problématique, Kofi Annan, le secrétaire général de l'Organisation, a pris le dossier à bras le corps et présenté, en mars dernier, un projet de réforme en exhortant «les Etats membres à rendre le Conseil de sécurité plus largement représentatif de la communauté internationale dans son ensemble et des réalités géopolitiques d'aujourd'hui. Et, conscient de la difficulté de la tâche, il a pris le parti de soumettre deux propositions pour l'élargissement de cette instance, après avoir fini par rallier à cette idée de réforme les pays les plus réticents, dont les Etats-Unis. Dans le premier cas de figure, le Conseil de sécurité serait élargi à 24 avec six nouveaux membres permanents ne disposant pas du droit de veto et trois membres non-permanents avec un mandat de deux ans non renouvelables. Le deuxième scénario n’envisage par la création de nouveaux sièges permanents mais propose une nouvelle catégorie de sièges, huit au total, avec un mandat de quatre ans renouvelable et la création d’un siège non-permanent version classique. 

L’Afrique divisée

Le 13 mai, soit trois semaines après l’appel de Kofi Annan, quatre pays –l'Allemagne, le Brésil, l'Inde et le Japon– se sont regroupés au sein d'un G4 pour défendre l'idée d'un Conseil de sécurité élargi à 25, comprenant six sièges permanents supplémentaires, les leurs bien sûr, et deux autres attribués au continent africain. Et après avoir, dans un premier temps, réclamé les mêmes responsabilités et les mêmes obligations que celles des «cinq grands», ils se sont finalement résignés à provisoirement y renoncer, pour les quinze ans à venir.

De leur côté, les pays africains, qui s’estiment victimes d’une injustice historique –leur continent est le seul à ne pas être représenté au Conseil de sécurité– ont choisi de faire monter les enchères. Certes sensibles aux propositions du G4, mais également forts de leurs 53 voix sur 191 à l'Assemblée générale des Nations unies, ils ont exigé que leurs futurs représentants permanents puissent disposer, eux aussi, du droit de veto jusque-là réservé aux Etats-Unis, à la Chine, à la Russie, à la France et au Royaume-Uni. Ces pays ont cependant été incapables, en juillet dernier, lors d'une réunion à Syrte, en Libye, de surmonter leurs divergences sur le nom de leurs deux candidats à un siège permanent au Conseil de sécurité. Et si le choix de l'Afrique du Sud a semblé pouvoir s'imposer, rien en revanche ne semble pouvoir départager l'Egypte, du Nigeria, voire du Sénégal ou encore du Gabon en ce qui concerne le deuxième siège permanent africain qui pourrait, in fine, être à pourvoir. Certes le vote de l’Afrique pèse lourd à l’Assemblée générale où toute réforme doit être entérinée à la majorité des deux tiers des Etats membres. Mais quid d’un aggiornamento qui mettrait en avant des pays, qui sont très souvent loin d’être des modèles de démocratie, pour décider de questions aussi essentielles que celle de la guerre ou de ma paix.

Des rancœurs historiques toujours vivaces

Cette incapacité à se mettre d’accord au nom de l’intérêt commun n’est pas propre à l’Afrique. La discorde règne en effet dans tous les coins du globe. Des pays comme le Pakistan, le Mexique, l’Italie ou encore la Corée du Sud, qui n’ont a priori rien en commun, se sont ainsi regroupés uniquement pour faire barrage à leurs rivaux régionaux. Alliés au sein du groupe «Unis pour le consensus», ces Etats rejettent toute idée de création de nouveaux sièges permanents au Conseil de sécurité. Mais dans la mesure où une réforme de cette instance a été reconnue nécessaire, ils sont prêts à concéder la mise en place de dix sièges non-permanents avec un mandat de deux ans non renouvelables, comme c’est le cas actuellement.

Ces rivalités régionales, souvent pour des raisons historiques, sont des freins puissants à toute véritable réforme du Conseil de sécurité. Ainsi le Pakistan refuse que son voisin et ennemi héréditaire indien accède à un nouveau statut au sein de l’ONU. Les ambitions du Brésil se heurtent à celles de l’Argentine et du Mexique mais aussi du Canada qui s’estiment tout aussi représentatifs du continent américain. En Europe, la candidature allemande –pourtant troisième pays contributeur des Nations unies après les Etats-Unis et le Japon– attise les jalousies de l’Italie et de l’Espagne. Quant au Japon, il a un ennemi de taille en la personne de la Chine qui, encore une fois pour des raisons historiques –Pékin accuse Tokyo de ne pas s’être assez repenti des atrocités de la Seconde Guerre mondiale–, est capable d’user de son droit de veto pour bloquer toute réforme avantageant le pays du Soleil levant.

En apparence longtemps indifférents aux débats sur la réforme du Conseil de sécurité, les Etats-Unis ont été les derniers à abattre leurs cartes. Oui pour un élargissement. Mais «limité», avec pas plus de vingt pays, dont deux seulement auraient le privilège d’être admis dans le club très fermé des membres permanents, sans toutefois bien sûr obtenir le droit de veto. L’administration Bush impose de plus ces choix. Le Japon est ainsi à ses yeux prioritaire. Quant au deuxième siège, elle accepte de le voir attribué à un pays en voie de développement mais à condition que ce dernier respecte des critères de démocratie et de droits de l’Homme, auxquels certains membres permanents du Conseil de sécurité –comme la Chine et la Russie– sont pourtant loin d’adhérer. Si les Etats-Unis justifient leur position en faisant valoir qu’un Conseil trop large perdrait en efficacité, ils se gardent de dire, qu’en réalité, c’est bien la crainte de voir se restreindre leur influence au sein de cette instance qui les guide.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 08/09/2005 Dernière mise à jour le 08/09/2005 à 17:56 TU

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