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Nucléaire

Le bilan de Tchernobyl revu à la baisse

Photo de l'explosion du réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986. Un rapport intitulé le <EM>Legs de Tchernobyl</EM>, discuté mardi et mercredi à Vienne, relativise l’ampleur de la catastrophe.DR
Photo de l'explosion du réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986. Un rapport intitulé le Legs de Tchernobyl, discuté mardi et mercredi à Vienne, relativise l’ampleur de la catastrophe.
DR
Le Forum Tchernobyl, qui réunit huit agences des Nations unies, affirme dans un rapport de quelque 600 pages que le bilan des victimes et les dommages environnementaux doivent être revus à la baisse. L'organisation écologiste Greenpeace International a dénoncé là une honteuse opération d'étouffement d’une réalité beaucoup plus sombre. Ce rapport sur Tchernobyl sera discuté mardi et mercredi lors d'une conférence au siège de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à Vienne (Autriche) par des experts du nucléaire, de la santé et du développement de huit agences spécialisées onusiennes. Seront représentés : l'AIEA, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Banque mondiale et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), ainsi que les gouvernements biélorusse, russe et ukrainien.

On se souvient du 26 avril 1986. L'explosion du réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire ukrainienne de Tchernobyl entraîne le décès de 56 personnes (soit 47 secouristes et neuf enfants qui succomberont peu après à un cancer de la thyroïde). L’explosion provoque également un énorme nuage radioactif au-dessus de l'Europe et de l'URSS, affectant particulièrement l'Ukraine, la Biélorussie et la Russie. Ainsi, plus de 600 000  personnes ont été largement exposées à la radioactivité, à savoir 200 000 militaires et civils envoyés en urgence, des employés de la centrale, et les habitants des zones voisines. On avait alors prédit, à l’époque, que «des dizaines de milliers de morts, et d'innombrables cancers» surviendraient à la suite de la catastrophe nucléaire.

Kalman Mizsei, du PNUD, a dénoncé «une véritable industrie» née de la catastrophe signalant que, en 1991, 22% du budget national du Belarus voisin (contre 6% seulement aujourd’hui, d’après les chiffres des Nations unies) était consacré à l'après-Tchernobyl. La désinformation a eu un effet négatif en faisant croire aux habitants qu'ils allaient avoir des cancers en masse, ce qui ne s'est pas produit dans la région. Tout en reconnaissant que les chiffres ne pouvaient être très précis, le président de la conférence Burton Bennett a déclaré que les autorités des républiques concernées ont eu à l’époque -mais aussi depuis- tendance à «exagérer l'ampleur des conséquences sur la santé» et sur l’environnement.

«L'impact psychologique de Tchernobyl»

Mardi, près de 20 ans après la catastrophe nucléaire, Melissa Fleming, une porte-parole de l'AIEA à Vienne, a souligné que la rencontre était « d'autant plus intéressante qu'on arrive à un consensus sur les conséquences» de cette explosion. En se fondant sur les recherches scientifiques sur la radioactivité depuis Hiroshima et Nagasaki, Michael Repacholi, de l'OMS, a déclaré : «il est probable que 4 000 personnes environ mourront du cancer» à cause de Tchernobyl.

Toutefois, si depuis l'accident quelque 4 000 cas de cancers de la thyroïde ont été enregistrés, surtout chez des enfants ou des jeunes, «les chances de survie pour ces patients est de près de 99% si l'on en juge par l'expérience au Belarus», précise l’OMS qui relativise l’ampleur de la catastrophe : «Les effets de l'accident sur la santé ont été horribles mais au total (...) les effets en termes de santé publique n'ont de loin pas été aussi graves qu'on avait pu le craindre initialement».

Le rapport, intitulé le Legs de Tchernobyl, qui regroupe les travaux de centaines de scientifiques, d’économistes et de spécialistes de la santé de conclure : «L'impact psychologique de Tchernobyl est le plus important problème de santé publique causé par l'accident jusqu'ici» car Le Forum n'a pas constaté de recrudescence de cancer, de leucémie ou de malformations congénitales dans les zones affectées, ni de baisse de la fertilité. En revanche, des troubles psychologiques concernent principalement les 350 000 personnes évacuées des zones contaminées, dont le relogement a été pour beaucoup «une expérience profondément traumatisante». Ces victimes, qui ont souvent perdu leur emploi, se sont soudain vécues comme «désarmées, faibles et sans emprise sur leur futur.».

Redéfinir des programmes d’aide aux populations victimes

Quant aux conséquences environnementales, «L'évaluation scientifique démontre que les niveaux de radiation sont retombés à des niveaux normaux, exception faite de la zone interdite, toujours hautement contaminée de 30 km autour du réacteur, et plusieurs lacs et forêts à l'accès restreint», a déclaré Burton Bennett, éminent spécialiste des effets radiologiques.

Le rapport recommande de concentrer les efforts d’assistance sur les zones fortement contaminées et de redéfinir les programmes gouvernementaux pour aider ceux qui sont vraiment dans le besoin Les programmes ambitieux de réhabilitation et d’avantages sociaux entrepris par l'ex-Union soviétique et poursuivis par le Bélarus, la Russie et l'Ukraine, doivent être redéfinis car, outre le fait que la situation radiologique a changé, ils sont mal ciblés et dotés de ressources insuffisantes : «Il faut donner des informations plus complètes au public sur la présence de substances toujours radioactives dans certains produits alimentaires et sur les méthodes de préparation des aliments qui réduisent l’incorporation de radionucléides. Dans certaines régions, des restrictions à la cueillette de certains produits sauvages sont toujours nécessaires.».

Toujours en ce qui concerne la protection de l’environnement, le rapport du Forum préconise de mettre en œuvre un programme de gestion intégrée des déchets provenant du sarcophage, du site de la centrale de Tchernobyl et de la zone d’exclusion pour que des mesures de gestion cohérentes puissent être appliquées et que des capacités d’accueil pour tous les types de déchets radioactifs puissent être créées.

«C'est une honte que l'AIEA étouffe l'impact de l'accident industriel»

Greenpeace a aussitôt contesté les conclusions de ce rapport qu'elle juge fondé sur des informations contradictoires ainsi que sur des omissions. Jan Van de Putte, le responsable du nucléaire pour Greenpeace international, s’est indigné, depuis le siège de l’organisation à Amsterdam : «C'est une honte que l'AIEA étouffe l'impact de l'accident industriel le plus grave de l'histoire de l'humanité. Nier les conséquences réelles n'est pas seulement insultant pour les milliers de victimes -à qui l'on assure qu'elles sont malades de stress ou de peur irrationnelle- mais cela conduit aussi à des recommandations dangereuses, à reloger des gens dans des zones contaminées.»

Dans le même temps, l'organisation écologiste norvégienne Bellona, qui lutte pour la dénucléarisation de la Russie, a dénoncé la minimisation des conséquences de la catastrophe : «Le bilan des victimes prévisibles de l'accident nucléaire de Tchernobyl publié par des experts de l'ONU, ne représente qu'une toute petite fraction de la réalité». Nils Boehmer, physicien nucléaire militant de Bellona a fait part de son scepticisme : «Il est facile d’obtenir les chiffres que l’on veut. Je suis sceptique quant à la nature des informations qui nous sont fournies. L’AIEA a pour fonction de promouvoir l’usage du nucléaire à des fins civiles. Elle a tout intérêt à minimiser le bilan.».


par Dominique  Raizon

Article publié le 06/09/2005 Dernière mise à jour le 06/09/2005 à 17:38 TU

Audio

André Aurengo

Chef du service central de médecine nucléaire du groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière

«Le rapport qui vient d’être publié montre qu’il n’y a pas de différence dans l’incidence de malformations entre les régions contaminées et les régions qui ne le sont pas.»

Catherine Albié

Responsable de l'association «Les enfants de Tchernobyl»

«Le Cesium 137 se fixe sur le muscle cardiaque, ce qui entraîne pour ces enfants des problèmes cardiaques qu'ils ne devraient pas avoir à 8 ou 15 ans»

Roland Desbordes

Président de la CRIIRAD (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité)

«Il est important de dire que l'essentiel des retombées radioactives a eu lieu sur la Biélorussie.»