Nations unies
L’âge critique: 60 ans d'histoire
C’était le 31 janvier 1992, dans le sillage de la guerre du Golfe. Un jour de gloire pour l’ONU. Pour la première fois dans l’histoire de l’institution, le Conseil de sécurité se réunissait au niveau des chefs d’Etats. François Mitterrand, John Major, George Bush père, Boris Eltsine et Li Peng, entre autres, firent le déplacement. Comme l’ONU est très attachée aux symboles et au protocole, bon nombre de ses responsables estimèrent que ce jour béni était, en quelque sorte, le véritable jour de la naissance de l’Organisation.
«Le monde a maintenant les meilleures chances de voir la paix, la sécurité et le développement s’instaurer depuis la fondation des Nations unies», dit le Premier ministre britannique tandis que le président américain lança, dans la salle du Conseil qui ne voit jamais le jour : «Démocratie, droits de l’Homme, primauté du droit, c’est avec cela que l’on bâtit la paix et la liberté.» Le chef de l’Etat français proposa, lui, de mettre à la disposition de l’ONU un : «contingent de 1 000 hommes à tout moment et dans un délai de quarante-huit heures pour les opérations de maintien de la paix.»
A l’issue de cette réunion historique les quinze représentants des Etats membres du Conseil de sécurité publièrent une déclaration commune dans laquelle on pouvait lire que «la nouvelle situation internationale» permettait à cet organe de «s’acquitter plus efficacement de sa responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales.» En 1992, l’euphorie de la fin de la guerre froide faisait encore sentir ses effets. Aujourd’hui, la parenthèse ouverte lors de ce sommet se referme. En 2005, 60 ans après la création de l’ONU, il y a comme un sentiment de fin de partie aux Nations unies.
111 articles pour pacifier le monde
La Charte de l’ONU a été signée par 55 Etats, à San Francisco le 26 juin 1945. Elle entra en vigueur le 24 octobre. Elle est composée de cent onze articles répartis en dix-neuf chapitres. Selon ce texte, l’Organisation des Nations unies doit : maintenir la paix et la sécurité internationales, développer entre les nations des relations amicales fondées sur le principe de l’égalité des droits des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes, réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel, humanitaire, être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes.
Le bâtiment de l'Onu. New York, 5 octobre 1949. © 2005 Developed by the Multimedia Resources Unit/DPI |
Sept Secrétaires généraux
Le premier d’entre eux fut un Norvégien : Trygve Lie. En poste de 1946 à 1952, il vit l’ONU accorder un blanc-seing aux Etats-Unis pour une intervention en Corée. Des soldats de dix-sept pays partirent en Asie sous la bannière onusienne. Les opérations furent menées par Washington. Peut-être est-ce pour cette raison qu’en 1951, il se crut obligé d’élever la voix : «Je crois important de rappeler, dit-il, que l’institution des Nations unies a été inspirée par une conception mondiale beaucoup plus fondamentale et durable qu’une alliance éphémère de grandes puissances en temps de guerre.»
Un intellectuel suédois, Dag Hammarskjöld, lui succéda en 1953. Il fit sortir l’ONU de l’ombre en envoyant au Congo une force de Casques bleus qui préserva à la fois l’indépendance et l’unité du pays qui accéda à la souveraineté en 1960. Le 17 septembre 1961, le Secrétaire général était au Congo pour négocier. Il avait rendez-vous avec les chefs de la province du Katanga. Son avion s’écrasa dans la brousse. Aujourd’hui encore, cette disparition demeure une énigme. Sous le règne de Dag Hammarskjöld, l’ONU a également organisé une opération de maintien de la paix en 1956 et a commencé à accueillir en son sein les nouveaux Etats africains indépendants.
Le Birman U Thant succéda au Suédois en 1961 et demeura dix ans à la tête de l’organisation à une époque où celle-ci était totalement paralysée par l’antagonisme Est-Ouest. On l’a accusé de ne pas avoir su faire entendre la voix onusienne lors du conflit vietnamien et lors de la guerre des Six jours.
En 1971, l’autrichien Kurt Waldheim entra en scène. On su bien plus tard qu’il avait un passé trouble. Officier dans l’armée hitlérienne, il aurait contribué à la déportation de populations vers des camps d’extermination. Fâcheux pour un homme de paix.
Il laissa sa place au Péruvien, Javier Perez de Cuellar, cinquième Secrétaire général. C’est lui qui a assisté au réveil de l’ONU à la fin de la Guerre froide. Après un premier mandat sans relief (1981-1986) il a été propulsé à la Une des journaux en mettant fin à la guerre entre l’Iran et l’Irak en 1988, puis en tentant d’éviter jusqu’à la dernière minute, la guerre du Golfe en 1991.
Boutros Boutros-Ghali fut ensuite l’homme d’une ONU prise dans les soubresauts du monde après la chute du Mur de Berlin. Dès le premier jour de son mandat, le Ier janvier 1992, il fit part de ses intentions de dynamiser l’organisation en réformant sa bureaucratie (10 000 fonctionnaires) et en la rendant plus efficace notamment en matière de maintien de la paix.
Il demeure le Secrétaire général sous le règne duquel l’ONU a déployé le plus de Casques bleus dans le monde avec les Américains, notamment en Somalie lors d’une opération armée sans équivalent aujourd’hui et dont l’échec figure en bonne place dans le livre noire des actions de l’organisation. Le diplomate égyptien est aussi «le premier fonctionnaire de l’organisation», comme le dit la Charte en désignant le «SG», qui a assisté à l’impuissance onusienne dans l’ex Yougoslavie et à son inaction criminelle durant le génocide au Rwanda en 1994.
Kofi Annan
Propulsé à la tête de l’ONU en 1996 par les Américains (qui ne voulaient pas d’un second mandat pour Boutros Boutros-Ghali, jugé trop critique à l’encontre de Washington) Kofi Annan, d’origine ghanéenne – dont le mandat s’achève en 2006 - a fait toute sa carrière à l’ONU. Il est le Secrétaire général qui doit donner un second souffle aux Nations unies après plus d’une décennie d’espoirs déçus. Cela est d’autant plus vrai qu’il a lui-même proposé une réforme de l’institution. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 2001. Son nom restera associé à la crise irakienne. Grâce, d’abord, à une médiation réussie en 1998 qui a contraint Saddam Hussein à laisser visiter certains sites par les inspecteurs onusiens (dont certains étaient proches de l’administration américaine), mais à cause également de l’échec diplomatique de mars 2003 qui a conduit à la guerre américano-britannique. Sans oublier le dossier «pétrole contre nourriture» qui ternit l’image du haut fonctionnaire onusien.
Avant de partir, il aimerait rajeunir son administration. Il est grand temps. Soixante ans d’actions – et surtout d’inactions – mettent en relief bon nombre d’insuffisances. Ainsi le Conseil de sécurité, reflet du monde de l’après-guerre, déjà élargi en 1966 (de 11 à 15 Etats membres), doit accueillir de nouvelles nations afin d’être plus représentatif et donc plus fort politiquement ; les Casques bleus – dont la mission a considérablement évolué, de l’observation comme dans le Cachemire depuis 1949 à l’imposition de la paix - doivent être renforcés ; l’ONU doit pouvoir faire fi de la notion de non ingérence en cas de génocide ; elle doit confier aux démocraties le soin de défendre les Droits de l’homme en son sein, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui à la Commission de Genève.
Les successeurs de Kofi Annan devront aussi convaincre les 191 membres de la nécessité de voir l’ONU défendre l’environnement et accompagner la globalisation, par exemple. Il n’est pas sûr, cependant, que les Etats veuillent voir les Nations unies jouer le rôle que prévoit la Charte. Soixante ans que cela dure…
par Pierre-Edouard Deldique
Article publié le 06/09/2005 Dernière mise à jour le 06/09/2005 à 18:23 TU
Pierre-Edouard Deldique est l'auteur de «Fin de partie à l'ONU, les réformes de la dernière chance», aux Editions Jean-Claude Lattès.
A paraître le 15 septembre 2005.