Proche-Orient
Le drapeau israélien ne flotte plus sur la bande de Gaza
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Gaza
Dimanche, 14 heures, au terminal d'Erez, le point de passage entre Israël et la bande de Gaza. Des préparatifs sont en cours pour la cérémonie de passation des pouvoirs qui doit se dérouler entre officiers israéliens et palestiniens. Face à une camera, un journaliste d'une télévision arabe répète son intervention. Quelques heures plus tôt, le gouvernement d'Ariel Sharon a officiellement voté la fin de l'administration militaire sur la bande de Gaza. L'armée israélienne s'apprête à mettre fin à trente-huit années de présence dans le confetti de terre palestinien.
Assis à l'ombre d'un hangar, juste a l'entrée du long corridor jalonne de portes et de tourniquets électroniques qui mène au point de contrôle israélien du terminal, un homme pousse un long soupir. Taha, age de 24 ans, doit se rendre dans un hopital de Tel Aviv pour subir un traitement consécutif à une opération du foie. Il est arrive à 7 heures du matin à Erez. Depuis ce moment, il attend que l'armée israélienne donne aux policiers palestiniens le feu vert pour le laisser rentrer dans le corridor. Sans cet accord transmis par talkie-walkie, impossible de franchir Erez. «Je suis exaspéré, dit-il, en secouant le dossier médical qu'il tient à la main. Si le retrait n'améliore pas notre capacité de sortir et de rentrer de la bande de Gaza, alors il ne rime à rien».
Quelques mètres plus loin, des policiers palestiniens consignent sur un vieux registre l'identité des personnes qui sortent de Gaza. À l'évocation de la cérémonie censée se dérouler d'ici une heure, l'un d'eux esquisse une grimace de dépit. «Ca n'a pas de sens. Ce n'est pas la fin de l'occupation, c'est juste la fin du redéploiement. Les Israéliens vont conserver le contrôle de toutes nos frontières. À quoi bon célébrer cela».
Quelques minutes plus tard, l'information tombe. L'Autorité palestinienne boycotte la cérémonie d'Erez. La justification est donnée par Mohammed Dahlan, le ministre des Affaires civiles, en charge du retrait, dans une conférence de presse organisée à la va-vite à Gaza-ville. «Les dirigeants israéliens persistent à vouloir déplacer le point de passage de Rafah, entre la bande de Gaza et l'Égypte, à Kerem Shalom, en territoire israélien, dit-il. C'est inacceptable. Israël n'a pas le droit de contrôler les mouvements de notre population».
Le piège des synagogues
Après le départ de Mohammed Dahlan, Diana Buttu, sa porte-parole, explicite les conséquences du possible déplacement du point de passage. «Passer par Kerem Shalom obligera les Palestiniens qui rentrent d'Égypte, non seulement a soumettre leurs déplacements au bon vouloir de l'armée mais aussi à faire un détour de près de cent kilomètres en territoire israélien. Les Israéliens affirment qu'il s'agit d'une décision temporaire, le temps de rénover le terminal de Rafah. Mais je n'y crois pas. Il s'agit d'un stratagème pour nous imposer un fait accompli». À défaut d'accord, le gouvernement israélien avait menacé l'Autorité palestinienne de rompre l'union douanière en vigueur depuis le processus d'Oslo. «Maintenant, ils disent que si nous n'acceptons pas Kerem Shalom, ils ne laisseront pas passer vers l'Égypte les camions qui doivent déblayer les gravats des colonies», dit Diana Buttu. Et elle ajoute, sur un ton péremptoire : «Notre position est claire. Nous n'acceptons pas que Kerem Shalom serve de point de passage entre Gaza et l'Égypte. Point à la ligne».
Pour Adnan Abu Hasna, un analyste gazawi, la soudaine fermeté de l'Autorité palestinienne sur ce dossier alors qu'un compromis semblait en bonne voie a tout l'air d'un baroud d'honneur à destination des médias. «Les Égyptiens ont donné leur accord pour Kerem Shalom, dit-il. L'Autorité tape du poing sur la table pour soigner son image à la veille du retrait. Mais c'est trop tard.»
Les dirigeants palestiniens sont d'autant plus agacés que le gouvernement israélien a refusé dimanche matin de détruire la vingtaine de synagogues encore présentes dans les colonies. Une décision en forme de piège, qui oblige le président Mahmoud Abbas, a subir soit les foudres de son propre peuple s'il tente de protéger ces lieux de culte, soit l'opprobre des juifs religieux et d'une partie de la communauté internationale s'il les détruit. Questionné sur l'intention de l'Autorité palestinienne à cet égard, Mohammed Dahlan est resté elliptique. «Nous agirons avec les synagogues comme avec n'importe quel bâtiment dans les colonies», a-t-il dit. Sa porte-parole a été plus éloquente. «Les seuls legs des colons qui seront protégés sont les serres, dit-elle. Les synagogues sont des symboles de l'occupation. Je ne serai pas surprise si elles sont détruites par la population dans les prochains jours».
De fait, l'Autorité palestinienne semble avoir renoncé à réguler l'accès aux colonies après le départ du dernier soldat israélien. «Dès demain lundi, les habitants de Gaza pourront pénétrer librement dans ce périmètre, dit Diana Buttu. Il sera peut-être fermé pendant une poignée d'heures, le temps que nos forces de sécurité vérifient qu'aucune mine ne s'y trouve. Mais il a été fermé pendant trop d'années pour que nous ne l'ouvrions pas le plus rapidement possible». Les consignes du ministère de l'Intérieur qui pressait jusque là la population d'éviter de pénétrer dans les colonies semblent avoir été jugées irréalistes. Mardi, Mahmoud Abbas pourrait se rendre sur place. Et prononcer à cette occasion le premier discours d'un leader palestinien depuis un territoire évacué par des colons.
par Benjamin Barthe
Article publié le 12/09/2005 Dernière mise à jour le 12/09/2005 à 08:57 TU