L'Invité de la semaine
Kofi Annan s'explique sur RFI
Pierre Ganz : Bonjour, et merci d’être fidèle cette année encore à l’Invité de
Kofi Annan : Je crois qu’il y a des propositions très importantes sur la table. D’abord, il y a la suggestion concernant les droits de l’homme, où on doit transformer
Xavier Lambrecht : Ca, c’est une réforme importante pour vous...
Kofi Annan : Ca, c’est une réforme importante.
Xavier Lambrecht : Et vous pensez l’obtenir ?
Kofi Annan : Oui, il y a du travail à faire mais je crois qu’on peut l’obtenir. Il y a aussi la question du Développement qui est très importante pour les pays du Tiers Monde, très importante dans notre lutte contre la pauvreté. Je crois que là aussi on est très près d’un accord. Je crois que les pays donateurs de l’Union Européenne nous ont donné une vraie impulsion en adoptant la décision d’établir un « time table » pour les 0,7 % pour aider les pays en voie de développement… Il y a aussi la question des Dettes, l’allègement des Dettes qui a aidé énormément. Evidemment il y a la question du Commerce. Et j’espère qu’en arrivant à Hongkong en décembre pour négocier ça, ils vont faire le maximum pour aider les pays en voie de développement. Donc je crois que dans ce domaine, nous sommes sur la bonne voie.
Alain Louyot : Oui, mais alors justement, je voudrais revenir sur ce problème de l’élargissement du Conseil de Sécurité. Quand l’ONU s’est créée, il y avait une cinquantaine de pays, maintenant il y a en a près de 200, donc il y a de nouveaux rapports de force, des pays émergeants, enfin notamment, qui sont présents… Alors comment vous comptez vous y prendre, et surtout est-ce qu’il n’y a pas des dangers à élargir ce Conseil de Sécurité ?
Kofi Annan : Je crois qu’il y a des gens qui estiment qu’il y a un danger. Mais je crois qu’il y a aussi un danger si on garde le statu quo, car vraiment le Conseil tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas démocratique, n’est pas représentatif. Donc il faut corriger ce manque ou bien déficit de démocratie, si vous voulez, mais il ne faut pas s’arrêter là… Il faut que les membres du Conseil revoient les méthodes de travail et essaient de devenir beaucoup plus efficaces et beaucoup plus, disons, organisés, parce qu’un Conseil disons à 25 ou bien à 24 ne peut pas continuer à agir comme un conseil à 15. Donc, ce n’est pas seulement la question d’expansion, mais il faut aussi revoir les méthodes de travail. Je suis convaincu que la plupart des Etats membres sont prêts, sont convaincus comme moi qu’il faut réformer le Conseil de Sécurité. Mais la question, c’est quel genre de réforme ? Il y a les gens qui insistent sur un siège permanent et les autres qui sont prêts pour tout sauf ça. Donc, la négociation est entamée et j’espère que d’ici la fin de l’année, on aura des résultats. Ce n’est pas très facile.
Pierre Ganz : Cela veut dire, Monsieur le Secrétaire général, que vous excluez qu’il y ait un accord sur ce point la semaine prochaine à l’occasion du sommet ?
Kofi Annan : Malheureusement, oui. Je crois que les Etats membres ne sont pas prêts. Ils sont en pleines négociations. Il y a des régions qui n’ont pas encore établi de position, l’Afrique par exemple. Donc je ne crois pas qu’ils vont pouvoir décider ça la semaine prochaine. Mais j’espère que les Etats membres vont utiliser la semaine prochaine pour continuer la consultation à un haut niveau et encourager les ambassadeurs à continuer les tâches après le sommet.
Pierre Ganz : Alors vous avez fixé l’échéance de la fin de cette année… Qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire que s’il n’y a pas d’accord sur cette réforme et sur quelques autres d’ici la fin de l’année, il n’y a plus de chance pour l’ONU, c’est la dernière chance de l’ONU ?
Kofi Annan : Non, on ne peut pas dire que c’est la dernière chance pour l’ONU, mais je crois que là on a une chance unique. Si on n’arrive pas à réformer l’ONU cette année, je crois qu’il faudra attendre beaucoup d’années pour vraiment reprendre les questions qui sont sur les tables. En ce qui concerne le Conseil de Sécurité, on a discuté de ça pendant douze ans. Nous sommes tous humains. Si on nous donne un mois comme délai, on le fera. Si on nous donne un an, on va le prendre.
Xavier Lambrecht : Ca peut attendre encore quelques semaines…
Kofi Annan : C’est ça.
Pierre Ganz : Monsieur le Secrétaire général, parlons justement du Développement et des fameux objectifs du millénaire qui doivent être rappelés en principe à l’occasion de cette réunion des chefs d’Etat et de gouvernement… Ces objectifs chiffrés visent à réduire de moitié, dans une quinzaine d’année, l’extrême pauvreté. Cela dit, on constate en même temps que la machine ONU, à côté de ces objectifs, est incapable de s’alerter assez tôt quand une famine menace, comme ces derniers mois au Niger. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas, là ?
Kofi Annan : Evidemment, l’ONU n’a pas de gros moyens.
Pierre Ganz : En moyens d’alerte, il ne faut pas forcément beaucoup de choses…
Kofi Annan : Alors, non non, là, attention, en moyens d’alerte, oui. Mais après l’alerte, il faut avoir les moyens d’aider les gens concernés. Il y a eu une alerte, l’année dernière : on a demandé de l’argent aux pays donateurs , en novembre. Peut-être que c’était un peu tard en novembre mais on n’a pas eu d’ argent. Donc, l’ONU, comme elle n’a pas d’argent, son propre argent, elle est obligée de demander aux pays donateurs d’aider après la crise. Donc, c’est comme disons « fire fighter » , comment on dit « fire fighter »…
Pierre Ganz : Les pompiers…
Kofi Annan : Les pompiers… C’est comme les...
Pierre Ganz : Il faut que l’incendie soit déclaré pour que l’ONU intervienne.
Kofi Annan : C’est ça. Mais les pompiers, au moins, ils ont des équipements et tout…
Pierre Ganz : Vous ne les avez pas. …
Kofi Annan : Nous, on n’en avait pas… tu vois.. on commence à mettre tout ça ensemble après la crise… C’est pour ça qu’on a demandé dans les réformes que j’avais proposées un fond de 500.000 millions de dollars ou bien un milliard de dollars pour nous permettre d’engager l’assistance tout de suite en attendant que les pays donateurs d’agissent.
Pierre Ganz : Et vous pensez l’obtenir, ce fond, là ?
Kofi Annan : En tous cas, il y a certains pays qui ont décidé de contribuer.
Pierre Ganz : Est-ce que c’est pas ça, l’échec principal de l’ONU ? C’est à côté d’un discours très généreux pour aider les pays du sud, une réalité quotidienne qui n’est pas à la hauteur de ces propos ?
Kofi Annan : Il y a ça aussi, mais si l’ONU n’était pas là, si l’ONU n’agissait pas, est-ce que la situation serait mieux ou bien ce serait pire… au moins on arrive à sonner l’alerte, on arrive à pousser les gens à agir. Parfois, un peu tard, mais au moins il y a quelqu’un qui est là pour aider et pousser la communauté internationale à agir.
Xavier Lambrecht : Monsieur le Secrétaire général, restons en Afrique pour parler, si vous le voulez bien, de
Kofi Annan : Non, ça ne va pas être possible, parce que les leaders politiques et les partis n’ont pas coopéré. Il y a certaines choses qu’on doit faire avant des élections en octobre. On n’a même pas pu constituer
Xavier Lambrecht : Vous êtes pessimiste. Est-ce que vous pensez qu’il est encore temps d’éviter la guerre en Côte d’Ivoire. Est-ce qu’il faut imposer des sanctions par exemple pour l’éviter ?
Kofi Annan : Le Conseil de Sécurité est saisi. La question des sanctions n’est pas exclue. Je crois que tôt ou tard, le Conseil va être obligé d’agir dans ce sens.
Xavier Lambrecht : Vous n’avez pas peur que ces sanctions, si elles arrivent, arrivent trop tard malheureusement ?
Kofi Annan : J’avais proposé il y a quelques mois aux membres du Conseil d’agir. Le médiateur leur avait demandé d’attendre un petit peu. Le médiateur c’était l’Afrique du sud… Mais je crois que même eux commencent à réaliser qu’il faut être plus ferme, qu’il faut faire quelque chose. Quand j’étais au Niger, effectivement la question m’était posée. Franchement, je ne comprends pas ces leaders ivoiriens : ces hommes qui estiment qu’ils sont capables de diriger un pays, qui cherchent à devenir Président, Président d’un pays qu’ils sont en train de détruire. Comment peut-on expliquer ça à la population ?
Xavier Lambrecht : C’est une critique sévère que vous leur adressez…
Kofi Annan : Mais c’est vrai !
Pierre Ganz : C’est le point de blocage principal… ?
Kofi Annan : Il y a un blocage, c’est-à-dire que chaque parti attend l’autre. Ils ont signé plusieurs accords. Ils ont signé les accords de Marcoussis, les accords d’Akra, les accords de Pretoria… Ils signent facilement, mais les mettre en application, c’est autre chose.
Pierre Ganz : Vous plaidez pour des sanctions les concernant, là, Monsieur le Secrétaire général…
Kofi Annan : Si c’est nécessaire. Je crois que si c’est ça qu’il faut pour les faire bouger, le Conseil doit l’appliquer.
Alain Louyot : Alors autre région préoccupante évidemment, le Proche Orient… Est-ce qu’au lendemain de l’évacuation de
Kofi Annan : Pas vraiment. L’ONU travaille, comme vous savez, nous sommes membre du Quartette qui travaille sur ce dossier. Je suis en contact assez étroit avec Madame Condoleezza Rice, avec le ministre des Affaires étrangères russes , avec Javier Solana pour l’Union européenne. On espère qu’avec le retrait de Gaza, on peut vraiment commencer à accélérer la mise en application
Xavier Lambrecht : … une reprise du dialogue ?
Kofi Annan : Non pas seulement une reprise du dialogue… mais aussi pour améliorer la situation économique et sociale. Parce que vraiment c’est difficile pour les Palestiniens, donc il faut essayer de stabiliser l’économie. Mais la reprise du dialogue, on va avoir une réunion dans deux semaines, avec les membres du Quartette et peut-être avec certains pays de la région pour discuter de qu’est-ce qu’il faut faire maintenant que le retrait est acquis.
Alain Louyot : Est-ce qu’on peut imaginer qu’un jour il y ait des casques bleus dans la région ….. Il y a un mur qui a été construit par Ariel Sharon pour séparer Israéliens et Palestiniens . Est-ce qu’on peut imaginer qu’il y ait un jour un cordon de casques bleus à la place de ce mur ?
Kofi Annan : C’est… A vrai dire, je ne crois pas que ce sera pour demain. Je ne crois pas que ce sera pour demain parce qu’il faut avoir la coopération des deux parties, les deux parties doivent accepter ça. Pour le moment, je ne crois pas que le gouvernement israélien soit prêt d’accepter ce genre de présence internationale. Peut-être il va accepter une présence internationale, des Américains ou d’autres, mais s’il s’agissait de casques bleus, je crois qu’il serait un peu méfiant.
Xavier Lambrecht : Monsieur le Secrétaire général, donc une question aussi sur ce fameux scandale du programme « Pétrole contre Nourriture » en Irak. Le rapport Volcker –c’est l’ancien président de
Kofi Annan : Oui… Je crois qu’il y a deux choses. Le rapport Volcker est très clair, que la division des responsabilités entre le Conseil de Sécurité et le secrétariat n’était pas très clair. Pas seulement ça… Le programme était construit d’une manière où Saddam Hussein avait beaucoup de pouvoir de décision et de responsabilité pour décider qui va vendre son pétrole, qui va acheter de la nourriture ou d’autres choses. Et c’est lui qui négociait avec toutes ces sociétés. Mais peut-être que comme secrétariat, on devait pousser le Conseil d’agir, on devait discuter de toutes ces accusations de fraudes, de commissions. Mais on n’avait pas vraiment les éléments réels. Il y avait des rumeurs. Aujourd’hui, on me dit que le directeur du programme avait beaucoup d’informations que je ne savais pas… Il a dit qu’il n’avait pas communiqué ça aux membres du Conseil.
Xavier Lambrecht : Peut-être qu’une des leçons à retirer de cette affaire, c’est aussi de faire des réformes dans le fonctionnement de l’administration à terme de l’ONU…
Kofi Annan : J’avais proposé ça. Il y avait des propositions sur la table qui étaient été fortement inspirées par les résultats de cette enquête. Volcker lui-même a soutenu cette approche. Dans les déclarations des états membres hier (NDLR mercredi 7 septembre) au Conseil de Sécurité plusieurs membres ont indiqué qu’il faut aller de l’avant et faire une réforme des Nations Unies. C’est un problème systémique, ce n’est pas un problème d’individus. Donc on doit vraiment réformer l’ONU pour pouvoir attaquer ce genre de problème.
Pierre Ganz : Est-ce que vous trouvez facilement aujourd’hui pour venir travailler avec vous des hommes de valeur qui peuvent gérer des choses aussi compliquées que exemple ce programme « Pétrole contre nourriture ». Je me souviens qu’au moment de la mort de Sergio Vieira de Mello, vous aviez dit que c’était pratiquement le meilleur de l’ONU qui était parti… Est-ce que vous trouvez des hommes de cette trempe ?
Kofi Annan : Oui, c’était une grande perte , pas seulement Sergio Vieira de Mello mais aussi les autres .Vraiment, la disparition de ces collègues et de ces amis m’a…
Xavier Lambrecht : C’est l’attentat de Bagdad il y a deux ans…
Kofi Annan : … c’est ça, ça m’a vraiment touché profondément.
Pierre Ganz : Et dans le quotidien de la gestion…
Kofi Annan : ….. C’est pas facile. C’est pas facile de trouver des gens parce que souvent on dit qu’il y a un tas de gens compétents, mais ce n’est pas facile. Souvent une femme ou un homme qui est très capable est déjà quelque part… et ce que propose l’ONU, c’est pour six mois ou un an. Parfois on demande aux gouvernements de leur « emprunter » des gens valables… Donc ce n’est pas facile.
Pierre Ganz : Mais vous, Monsieur le Secrétaire général, qu’est-ce que vous diriez à ces jeunes gens qui font des études en Europe, aux Etats-Unis, ailleurs ou en Afrique, pour leur donner envie de venir travailler ici, à l’ONU ou ailleurs sous la bannière de l’ONU, et des gens de valeur je veux dire ?
Kofi Annan : Oui oui. On a beaucoup de jeunes personnes qui sont très compétentes, qui ont fait des études brillantes, qui sont avec nous. Donc, à ce niveau, on a pas mal de gens, et évidemment on en a besoin davantage. Les idéaux des Nations unies sont toujours pertinents et très importants. Il y a du travail à faire dans le monde et dans ce monde actuel qui est interconnecté, on doit vraiment travailler ensemble et regarder les problèmes d’une manière planétaire.
Xavier Lambrecht : Monsieur le Secrétaire général, pour terminer cet entretien, je voudrais revenir au début. On a dit que l’ONU avait soixante ans. Ma question sera peut-être un peu abrupte, mais quelle est l’utilité, en fait vous y avez fait allusion tout à l’heure, l’utilité de l’ONU aujourd’hui ? Autrement dit, si l’ONU devait disparaître aujourd’hui, qu’est-ce que ça changerait ? Est-ce qu’on verrait la différence ?
Kofi Annan : Oui. Commençons avec le Sommet la semaine prochaine. L’ONU est la seule organisation qui peut convoquer ces gens à un sommet où tous les chefs d’Etat, les chefs de gouvernement peuvent se réunir pour discuter d’un problème commun. L’ONU est l’organisation qui arrive à établir les standards, soit à travers la déclaration des Droits de l’homme soit à travers ce que nous sommes en train de faire avec le « Millenium Development Goals » pour vraiment lutter contre…
Xavier Lambrecht : Le projet du Millénaire, donc c’est le projet 2015…
Kofi Annan : … 2015… pour lutter contre la pauvreté… Soit pour organiser tous les états membres…
Alain Louyot : La lutte contre le sida aussi peut-être…
Kofi Annan : … contre le sida, où on avait établi un fonds… même aujourd’hui avec le terrorisme. C’est là que le Conseil de sécurité joue un rôle très important. Nous sommes en train de négocier, nous sommes en train d’essayer de faire une déclaration politique sur le terrorisme. Et puis évidemment il y a une convention contre le terrorisme qui doit être élaborée. J’espère que d’ici quelques mois ça aussi, ça sera terminé. Sur le plan de l’Environnement, nous sommes en train de travailler avec les Etats membres et les pousser à être de plus en plus conscients et à agir dans ce domaine. Je crois que nous sommes la seule organisation qui peut vraiment agir comme ça.
Pierre Ganz . Merci Kofi Annan, merci Monsieur le secrétaire général des Nations Unies.
Article publié le 15/09/2005 Dernière mise à jour le 15/09/2005 à 08:35 TU