Nations unies
Occasion manquée
(Photo : AFP)
Le document final fait une quarantaine de pages. Et, de l’avis quasi général, pour ce symbolique 60e anniversaire porteur d’espoirs et de projets, l’Organisation des Nations unies aurait pu faire beaucoup mieux pour répondre aux attentes, souvent divergentes, de la très grande majorité de ses 191 Etats membres. Bien que le projet de réforme initial proposé par le secrétaire général Kofi Annan ait été singulièrement comprimé, largement amendé et différé à une date ultérieure, beaucoup estime néanmoins qu’à 191 ce document est le meilleur compromis possible.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le secrétaire général a estimé que c’était toutefois un bon début : «Nous aurions tous aimé obtenir davantage, mais c’est un pas en avant important», a déclaré M. Annan. Comme on pouvait s’y attendre depuis plusieurs semaines, aucune solution n’a pu être dégagée quant à la question essentielle de l’élargissement du Conseil de sécurité et sa réforme a été renvoyée à d’ultérieures négociations.
Le texte final, adopté par acclamation et non à l’issue d’un vote, s’attache donc à formuler, ou reformuler, des déclarations de principes qui restent à formaliser pour les rendre opérationnelles. C’est le cas notamment pour le Conseil des droits de l’Homme, créé en remplacement de l’actuelle Commission des droits de l’Homme, largement inefficace et discréditée en raison de la présence en son sein de pays peu respectueux des droits en question. Si la fonction est créée, l’assemblée générale n’a pas été en mesure de lui fournir la feuille de route et les organes qui lui permettront de fonctionner et a demandé au Conseil de sécurité d’y pourvoir en définissant son mandat, ses fonctions, sa taille, sa composition et ses méthodes de travail.
Le traditionnel clivage entre «terrorisme» et «résistance»
L’ONU a rappelé sa «volonté d’éliminer la pauvreté et de promouvoir la croissance économique», mais l’engagement en faveur du développement des plus pauvres est renvoyé à la mise en œuvre des objectifs fixés lors des réunions précédentes, en particulier lors du sommet du Millénaire en 2000, et qui préconisent la réduction de moitié de l’extrême pauvreté dans le monde, d’ici à 2015.
La lutte contre le terrorisme est aussi une occasion ratée. Elle fait l’objet d’une belle unanimité sur le principe. Mais le texte ne dépasse le rejet rituel et butte sur la définition universelle du terrorisme, néanmoins condamné dans le document final «sous toutes ses formes et manifestations». Le traditionnel clivage entre «terrorisme» et «résistance» a resurgi et il n’a pas été possible de trouver un compromis entre «tuer des civils pour atteindre des buts politiques», formulation défendue par les pays occidentaux, et «légitimité de la lutte des peuples contre l’occupation et pour l’indépendance», expression soutenue par les pays arabes. La résolution du problème a été renvoyée à des négociateurs chargés de rédiger une Convention internationale sur le terrorisme, d’ici un an.
Le volet traitant de la sécurité internationale apparaît plus consistant, par contraste avec le reste du texte. Le document fait référence aux obligations et responsabilités de la communauté internationale dans la prévention des génocides et nettoyages ethniques. «Vous serez obligés d’agir si un autre Rwanda menace», a ainsi lancé Kofi Annan à l’assemblée. Selon l’ONG britannique Oxfam, citée par l’agence Reuters, «il y a eu deux sommets. L’accord historique visant à stopper des génocides futurs contraste fortement avec le manque de progrès dans la lutte contre la pauvreté».
Le secrétaire général fragilisé
Au terme de ces trois jours de débats au sommet, la satisfaction est dans le camp des tenants d’un immobilisme qui conforte le statu quo. Or, comme chaque pays a de bonnes raisons de souhaiter ardemment la progression d’au moins un des dossiers pendants, à l’issue de la réunion on compte davantage de mécontents que de satisfaits bien que, rôdés à l’exercice, la plupart des diplomates dissimulent mal leur «profonde déception» (Paul Martin, Premier ministre du Canada) tandis que d’autre laisse ouvertement éclater leur colère. Selon le ministre vénézuelien des Affaires étrangères, Ali Rodriguez, la procédure de rédaction du document final a été «anti-démocratique» en raison du fait qu’une trentaine de pays seulement ont participé à son élaboration. «Ceci a été le sommet de l’égoïsme, de l’arrogance et du mensonge», a également estimé son homologue cubain, Felipe Perez Roque.
Cet échec de la communauté internationale à réformer sa plus haute instance de règlement des conflits est également un revers pour son secrétaire général, déjà fragilisé par les attaques des néo-conservateurs américains dont il est la cible et les «affaires» qui ont éclaboussé son entourage, et notamment son fils dans le dossier «Pétrole contre nourriture». Son second mandat s’achève fin 2006 et, même s’il affirme son intention de mener à bien la réforme de l’organisation d’ici là, beaucoup estime que l’élan est brisé et semble douter de sa capacité à poursuivre son œuvre rénovatrice. La fin de son mandat pourrait ainsi être réduite à un simple rôle de gestionnaire, spectateur des grandes manœuvres internationales sur sa succession qui ne manqueront d’alimenter la chronique new-yorkaise de ces prochains mois.
Reste qu’une assemblée générale de l’ONU demeure un moment privilégié dans les relations bilatérales. Si la question de la sécurité nucléaire n’a pas pu être collectivement tranchée, en revanche des signes encourageants permettent d’entrevoir de nouvelles propositions sur le dossier atomique iranien. Le rendez-vous new-yorkais a été d’autre part l’occasion de nouer, ou raviver, des contacts diplomatiques entre Israël et des pays arabes et/ou musulmans (Qatar, Indonésie). En marge, le porte-parole du Premier ministre israélien a annoncé une rencontre entre messieurs Sharon et Abbas, début octobre.
par Georges Abou
Article publié le 17/09/2005 Dernière mise à jour le 20/09/2005 à 10:53 TU