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France

Les déracinés de la Réunion contre l’Etat

Marie-Chantal a retrouvé son frère 38 ans après leur séparation forcée ; Roland Payet avait été arraché de son île natale, comme des centaines d’autres enfants réunionnais.(Photo : AFP)
Marie-Chantal a retrouvé son frère 38 ans après leur séparation forcée ; Roland Payet avait été arraché de son île natale, comme des centaines d’autres enfants réunionnais.
(Photo : AFP)
Deux associations à la Réunion, Rasinn anlèr («Racines en l’air», en créole) et Génération brisée, et une en métropole, l’Association des déportés de la Creuse, mènent une bataille juridique contre l’Etat. Il y a une quarantaine d’années, plusieurs centaines de jeunes réunionnais ont été arrachés à leurs familles et à leur île pour être réinstallés dans plusieurs départements de France métropolitaine. Aujourd’hui les enfants sont devenus adultes et ils demandent réparation à l’Etat en faisant appel, lundi, devant la juridiction de Bordeaux.

L’histoire remonte à l’année 1963. Michel Debré, alors député d’Outre-mer sous la présidence du général de Gaulle, prend l’initiative de transférer des enfants, pupilles de la nation ou issus de milieux très défavorisés, vers les zones rurales qui se dépeuplent en métropole, comme la Creuse, le Cantal, le Tarn et l’Hérault. Selon un récent rapport de l’Inspection des affaires sociales, cité par le Monde, ce sont ainsi 1 600 mineurs qui seront placés soit dans des familles d’accueil payées par la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (Ddass) de la Réunion, soit dans des centres spécialisés.

Ce départ pour la France était présenté comme la chance de trouver un eldorado aux familles démunies, lesquelles ont été nombreuses à accepter de se séparer de leurs enfants promis aux études et à une vie meilleure. Les enfants partent avec l’accord des parents pour une prise en charge «temporaire», et sont transférés dans des familles certaines bienveillantes et aimantes, d’autres trouvant l’opportunité d’une main-d’œuvre à bon compte pour aider à la ferme. Certains se bâtiront une existence harmonieuse et retrouveront une vie équilibrée, tandis que d’autres développeront des syndromes suicidaires. En fait d’eldorado, ceux-là connaîtront un vrai «drame» qui «présente des similitudes avec l’esclavage, avec cette déportation qu’avaient subi certains de leurs ancêtres venus d’Afrique ou d’Inde», déclare le président de Rasinn anlèr, lui-même victime d’une «piqûre dont on se réveille longtemps après».

«Déculturés» et «déracinés»

Aujourd’hui adultes, certains de ces exilés unissent leurs voix pour dire leur colère et leur misère d’hommes et de femmes «déculturés» et «déracinés». Ils demandent «réparation» pour une tromperie «hautement politique. Une manifestation du colonialisme quelque vingt ans après la départementalisation», comme le souligne Jean-Philippe Jean-Marie dans sa conférence-débat publiée dans Témoignages le 22 août dernier. Le président de Rasinn anlèr sait de quoi il parle : lui-même séparé de sa famille à 12 ans, il n’a retrouvé la trace de ses parents qu’en 1997 lorsqu’il est retourné vivre à la Réunion. Il a pu, alors, confronter deux discours : celui tenu à ses parents -à qui on promettait le bien-être pour l’enfant-, et celui que les autorités lui tenaient à l’époque : «on m’avait dit que mes parents ne voulaient plus de moi !». Comme d’autres compatriotes ayant subi le même préjudice, il se révolte et dénonce une «violation des lois sur la famille et sur la protection de l’enfance, violation des conventions internationales, non-respect des droits de l’enfant.»

Découvrant les conditions suspectes de cet exil, une quinzaine de ces déracinés de la Réunion se sont adressé au Conseil général. Trois procédures judiciaires ont alors été lancées, une à Paris par Jean-Jacques Martial, une en juillet dernier au Tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion par Jean-Philippe Jean-Marie, et une autre auprès du Tribunal administratif par l’Association des déportés de la Creuse. Jean-Philippe Jean-Marie attend tout -ou presque- du recours que son avocate déposera lundi au tribunal administratif de Bordeaux après avoir perdu la première manche. Citée par le Figaro, son avocate Me Damayantee Goburdhun explique : «La justice a estimé que le département de la Réunion était responsable, pas l’Etat. Parallèlement à l’Etat, nous préparons donc une nouvelle plainte contre le département.»


par Dominique  Raizon

Article publié le 19/09/2005 Dernière mise à jour le 19/09/2005 à 07:58 TU