Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Togo

Le rapport de la mission des Nations unies

Le rapport publié le 26 septembre 2005 par le Haut-Commissariat des droits de l’Homme.

LA MISSION D’ETABLISSEMENT DES FAITS CHARGEE DE FAIRE LA LUMIERE SUR LES VIOLENCES ET LES ALLEGATIONS DE VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME SURVENUES AU TOGO AVANT, PENDANT ET APRES L’ELECTION PRESIDENTIELLE DU 24 AVRIL 2005

 

29 AOÛT 2005


 

PLAN DU RAPPORT

 

1.            INTRODUCTION

      Genèse de la Mission

1.2            Mandat de la Mission

1.3            Méthodologie

1.4      Autres missions et commissions d’enquête mises en place avant la mission d’établissement des faits

Commission nationale spéciale d’enquête indépendante

1.4.2   Haut Commissariat aux Rapatriés et à l’Action humanitaire

1.4.3            Enquêtes menées par la Commission nationale des droits de l’homme

Mission d’établissement des faits de l’Union africaine

 

 

2.            CONTEXTE DE LA CRISE

2.1      Rôle du Togo dans le cadre des règlements des différends et des conflits

2.2.                 Aperçu de la gestion ethnique et clanique du pouvoir et des violences politiques

2.3.                 Situation des droits de l’homme pendant les 38 ans de pouvoir du Président Eyadema

 

3.            CHRONOLOGIE SIGNIFICATIVE DES EVENEMENTS AU REGARD DES DROITS DE L’HOMME

 

4.            NATURE DES ALLEGATIONS DE VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME ET RESPONSABILITES

 

4.1.1            Allégation de crime contre la Nation et d’atteintes à la constitution et aux lois et règlements de la République togolaise (articles 148 et 150 de la constitution)

4.1.2            Allégations de violations du droit à la vie

4.1.3            Allégations de torture et de traitements inhumains ou dégradants

4.1.4   Les allégations d’arrestation, de détention arbitraire et disparition forcée

4.1.4.1            Arrestation et conditions de détention

4.1.4.2            Arrestation et détention des mineurs

4.1.4.3            Détention arbitraire et disparition forcée

4.1.5            Allégations de violences sexuelles

4.1.6            Liberté de réunion et liberté de participer à la vie publique

4.1.7            Allégations de violations des droits à la liberté d’expression, d’opinion et d’information

4.1.8            Atteintes aux biens privés et publics

4.1.8.1            Atteintes aux biens publics

4.1.8.2            Atteintes aux biens privés

4.1.8.3            Atteintes aux biens des représentations diplomatiques

4.1.8-4            Cas de la localité de Sokodé et de ses environs

4.1.9     Aperçu des violences et des allégations de violations flagrantes des droits

de l’homme dans la Préfecture de l’Ogou et particulièrement à Atakpamé

 

4.2            ECLAIRAGE GENERAL SUR LES RESPONSABILITES

4.2.1   La responsabilité des forces de sécurité et l’existence d’une stratégie de la répression

4.2.2     La responsabilité des partis politiques de la coalition de l’opposition et de  leurs militants

4.2.3     La responsabilité des dirigeants politiques, des militants et des milices du RPT

 

5.            DIMENSION ETHNIQUE ET XENOPHOBIQUE DE LA CRISE POLITIQUE TOGOLAISE

 

6.            IMPACTS DE LA CRISE TOGOLAISE AU NIVEAU INTERNE ET SOUS-REGIONAL

 

 

6.1            Impacts internes de la crise

6.1.1            Augmentation du nombre des personnes déplacées internes

6.1.2            Détérioration de la situation au niveau de la sécurité et allégations de circulation des armes et tous autres trafics

6.2      Impact sous -régional de la crise

6.2.1   Afflux des réfugiés au Ghana

6.2.2   Afflux des réfugiés au Bénin

6.3        Positions et actions du Gouvernement face aux déplacements des populations

 

7.            CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

7.1            CONCLUSIONS

7.2            RECOMMANDATIONS

7.2.1            Observation préliminaire

7.2.2            Recommandations principales

7.2.3     Propositions de recommandations à l’attention du Gouvernement togolais

7.2.4     Propositions de recommandations à l’attention de l’Organisation

des Nations Unies et de la Communauté internationale

 

 

ANNEXES PUBLIQUES

 

Annexe 1.            Termes de références de la Mission

 

Annexe 2.             Annonces du décès du Président Eyadema par le Premier ministre et les Forces ArméesTogolaises (FAT)

 

Annexe 3.             Projet de présentation des faits du 5 février au 4 mai 2005 sur la situation avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005- Présenté , par S.E.M. Abass Bonfoh, Président de l’Assemblée nationale (ex-Président de la République par intérim

 

 


 

 

1.                     INTRODUCTION

 

                         Genèse de la Mission

Le décès du Général Gnassingbé Eyadéma, Président de la République togolaise a plongé le pays dans une crise constitutionnelle sans précédent. La vacance de la Présidence de la République a été gérée dans un climat tendu, caractérisée par d’importantes irrégularités dans les modifications de la constitution. Dans ce contexte troublé, des manifestations de rue ont été organisées pour demander le retour à l’ordre constitutionnel et le respect strict des règles de vacance de la Présidence de la République. Certaines manifestations ont été réprimées avec violence. Le retour bricolé et contesté à la légalité constitutionnelle et le consensus fragile sur l’organisation d’une élection présidentielle le 24 avril 2005, ont crée les conditions d’une détérioration de la situation des droits de l’homme, avant, pendant et après l’élection présidentielle. Mon Bureau a reçu des informations faisant état de violences et d’allégations de violations massives des droits de l’homme au Togo.

 

Face à cette situation alarmante et à la suite de consultations avec le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, j’ai décidé de créer une Mission d’établissement des faits pour faire la lumière sur les violences et les allégations de violations des droits de l’homme survenues au Togo avant, pendant et après l’élection présidentielle, du 24 avril 2005. Les autorités nationales ont exprimé leur volonté de coopérer avec la Mission. 

 

Le 10 juin 2005, j’ai nommé M. Doudou Diène comme mon Envoyé spécial pour le Togo. M. Doudou Diene est par ailleurs Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée. Dans le cadre de sa mission, l’Envoyé spécial a été assisté par une équipe de soutien technique composée de quatre experts en droits de l’homme, d’un médecin légiste et de deux agents de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

 

La Mission s’est déployée au Togo du 13 au 24 juin 2005. Pendant cette période, elle s’est aussi rendue dans les pays voisins notamment au Bénin et au Ghana pour recueillir les témoignages de nombreux réfugiés togolais. A la fin de sa mission, l’ Envoyé spécial, m’a remis ce rapport qui comprend des faits relatifs à ses travaux au Togo, au Ghana et au Bénin et des recommandations visant à combattre l’impunité vis-à-vis des violences et des violations des droits de l’homme et à suggérer des actions pour prévenir toute nouvelle violence et violation des droits de l’homme et pour promouvoir les droits de l’homme au Togo.

 

Toutes politiques et actions de suivi relatives à la situation des droits de l’homme au Togo et à la mise en oeuvre des recommandations contenues dans ce rapport seront menées par mon Bureau en concertation avec les principales organisations régionales et sous-régionales africaines notamment l’Union africaine et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

 

 

1.2                  Mandat de la Mission

Les termes de référence de la mission ont été communiqués aux autorités togolaises. Dans une lettre datée du 11 juin 2005, les autorités togolaises m’ont confirmé leur accord pour l’envoi d’une Mission d’établissement des faits. Pour ne pas retarder le déploiement de la Mission, les autorités togolaises ont demandé à rediscuter des termes de référence, au cours d’une séance

 

 

de travail à Lomé. Pendant cette séance de travail, un consensus s’est dégagé entre l’Envoyé spécial et une délégation du Gouvernement Togolais, sur les objectifs suivants de la Mission :

Etablir les circonstances qui ont mené aux violations alléguées des droits de l’homme au Togo entre le 5 Février et le 5 Mai 2005.

 

Vérifier les rapports faisant état de ces allégations et compiler des informations sur la nature, les causes et les auteurs des violations commises principalement à Lomé, à Atakpamé, à Aného, à Kpalimé, à Sokodé et à Mango.

 

Evaluer les questions de droits de l’homme en relation avec la tenue de l’élection présidentielle d’avril 2005.

 

Evaluer les causes et les conséquences des violations selon une approche sous-régionale en mettant tout particulièrement l’accent sur les potentiels facteurs aggravant pour la situation des Droits de l’homme au Togo.

 

1.3                  Méthodologie

Pendant ses travaux, la Mission a eu le souci de recueillir toutes les informations pouvant l’aider à établir les faits, à vérifier et à déterminer le rôle joué par les auteurs présumés des violences et des violations des droits de l’homme.

 

Pour ce faire, elle a rencontré et interrogé les victimes, les témoins, et les autres personnes impliquées dans les violences et les allégations de violations des droits de l’homme. Elle a aussi rencontré des interlocuteurs pouvant apporter un éclairage et une analyse sur la crise. Ainsi, elle a pu s’entretenir avec une gamme aussi vaste que possible d’interlocuteurs notamment le nouveau Président de la République, le Premier ministre, des membres de l’ancien et du nouveau gouvernement, des représentants de l’Assemblée nationale, dont son Président M. Abass Bonfoh, de la Cour Constitutionnelle (en l’absence de son Président, en déplacement), de la Police, de la Gendarmerie, des Forces Armées Togolaises (FAT), les autorités administratives locales, les responsables des principales formations politiques, les représentants des organisations de défense des droits de l’homme, les hauts responsables religieux et les représentants des communautés étrangères vivant au Togo. Des entretiens ont également eu lieu avec les organisations internationales et régionales dont l’Envoyé spécial de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ainsi que les représentants du corps diplomatique au Togo (l’Allemagne, les Etats-Unis d’Amérique, la France, le Ghana, le Niger, le Nigeria et  l’Union Européenne).

 

De nombreux interlocuteurs ont également fourni à la Mission des rapports contenant leurs analyses sur les évènements survenus au Togo. Des personnes en détention ont été interrogées uniquement en présence des membres de la mission. La mission a porté tout au long de ses travaux une attention particulière à la protection des témoins, des victimes et de toutes personnes rencontrées. En acceptant les termes de référence de la mission, les autorités togolaises se sont engagées non seulement à apporter leur pleine collaboration à la Mission mais surtout à octroyer des garanties de sécurité et de protection aux victimes, aux témoins ainsi qu’aux membres de leurs familles coopérant avec elle ou associés à son travail. Les autorités se sont notamment engagées à ce que toute personne qui contactera ou rencontrera la mission ou qui sera interrogée par elle ou qui lui fournira des informations ne fera pas l’objet de harcèlements, de menaces, d’actes d’intimidation, de représailles ou de poursuites pénales.

 

Toutes les informations et les témoignages reçus ont permis à la Mission de comparer et de recouper les faits et d’apporter l’éclairage le plus objectif possible sur les évènements.

 

Par ailleurs, la Mission a bénéficié de la liberté de mouvement sur tout le territoire national ainsi que du libre accès à tous les lieux et à toutes personnes qu’elle a jugé indispensable de rencontrer pour la bonne exécution de son mandat. Pendant son séjour dans le pays, la mission s’est rendue dans différentes localités, principalement à Lomé, à Aného, à Kpalimé, à Atakpamé et à Sokodé. Pour des raisons de calendrier, elle n’a pu se déplacer à Mango. Elle a visité des centres hospitaliers, des morgues et essayé de se rendre dans les prisons et d’autres lieux de détention. L’expert légiste de la mission a procédé à l’examen matériel du site de la fosse commune du quartier Adakpamé, à Lomé. L’expert a également examiné les victimes et étudié des registres d’hôpitaux, divers documents et photos communiqués à la mission.

 

La Mission tient à exprimer ses remerciements au gouvernement  togolais pour l’esprit de coopération, d’ouverture et de transparence manifesté pendant sa visite au Togo. Ces remerciements s’étendent également aux victimes, aux témoins et aux autres interlocuteurs rencontrés. Enfin, la mission tient à saluer le travail remarquable effectué par le Coordonnateur Résident du Système des Nations Unies au Togo ainsi que son équipe qui a apporté un appui administratif et logistique permettant à la mission de mener ses travaux dans de bonnes conditions. L’assistance remarquable prodiguée aux réfugiés togolais par le Système des Nations Unies au Bénin et au Ghana, doit être également soulignée. Ces Equipes ont également permis à la Mission de recueillir dans le respect et la dignité les témoignages des réfugiés togolais.

 

 

1.4            Autres missions et commissions d’enquête mises en place avant la mission d’établissement des faits

Antérieurement à la création de la Mission d’établissement des faits du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, l’Union africaine (UA) ainsi que les autorités nationales togolaises avaient déjà décidé de mettre en place des mécanismes pour faire la lumière sur les violences et les allégations de violations des droits de l’homme survenues avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005. Toutes ces initiatives témoignent de la volonté d’accompagner le Togo vers un processus de prévention des violations des droits de l’homme et de lutte contre l’impunité. Face à la multiplication des mécanismes se sont posées des questions de duplication et de crédibilité des actions. Il s’avère que ces mécanismes pourraient être plutôt complémentaires. Des synergies pourraient également être envisagées si les structures instituées remplissent toutes les garanties d’indépendance, d’équité et de protection des témoins permettant une coopération constructive et efficace.

 

1.4.1               Commission nationale  spéciale d’enquête indépendante

Le 25 mai 2005, le Président de la République du Togo a créé par décret une Commission nationale spéciale d’enquête indépendante sur les actes de violence et de vandalisme survenus avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005. La Commission est chargée de diligenter des investigations en vue de déterminer les circonstances des actes de violence et de vandalisme, d’évaluer les préjudices subis par l’Etat et toutes autres victimes et de faire entreprendre des poursuites judiciaires contre les auteurs et les commanditaires présumés de ces actes. A plusieurs reprises des interlocuteurs tant au niveau international que national ont soulevé la question de l’opportunité ou non de déployer dans le pays une Mission d’établissement des faits alors qu’une commission nationale d’enquête a été établie. Pendant

 

ses entretiens, la mission a précisé que son mandat demeure différent de celui de la Commission. Contrairement à la Mission, la commission nationale est un mécanisme d’enquête  qui peut faire entreprendre des poursuites judiciaires contre les auteurs et les commanditaires présumés des violences et les violations des droits de l’homme. Par ailleurs, la Commission a un mandat pour évaluer les préjudices subis par l’Etat et toutes autres victimes. Cela suppose que la Commission va évaluer l’ampleur des préjudices subis et les voies de réparation. Ces derniers éléments ne rentrent pas dans le mandat de la mission. La mise en place d’une telle structure nationale au lendemain des violences ayant touché le pays montre la volonté des autorités togolaises d’accepter qu’un travail soit fait en profondeur par ses propres concitoyens provenant de divers milieux professionnels pour s’interroger sur les événements ayant récemment marqué le pays et y apporter des réponses afin de prévenir de nouvelles violences et de lutter contre l’impunité. Au cours de l’entretien avec les membres nouvellement élus de la Commission, la mission a pu obtenir des informations sur cette structure et les actions envisagées. La Commission a fait  part à la Mission d’établissement des faits, de sa prise de conscience  du doute qui subsiste sur son indépendance et sa crédibilité du fait qu’elle a été mise en place par les autorités nationales. La Mission a effectivement recueilli de divers acteurs de la société Togolaise, tant politiques que civils, un sentiment affiché d’absence de crédibilité de la Commission découlant du fait que sa création, son mandat  et sa composition ne sont pas le résultat d’un accord formel avec les principaux partis politiques et les principales organisations de la société civile. Par ailleurs, la Mission a noté à cet égard que bien que M. Koffigoh ai été un membre fondateur et son premier Président, la Ligue Togolaise des Droits de l’homme a refusé  d’être membre de la Commission.

 

Ainsi, la Mission estime que si la création de la Commission nationale spéciale d’enquête indépendante constitue en son principe une initiative positive, elle aura plusieurs défis à relever notamment gagner la confiance de la population togolaise et apporter toutes les garanties concernant son indépendance, son objectivité et sa capacité à établir la vérité sur les actes de violences et des violations des droits de l’homme ainsi que traduire en justice les responsables et allouer une réparation adéquate aux victimes.

 

Au moment de cette rencontre, la Commission n’était pas encore opérationnelle. Elle envisageait de faire sa première conférence de presse le 20 juin 2005, d’installer sa ligne téléphonique et de se doter d’une adresse électronique. Son Président a demandé au Coordonnateur Résident du Système des Nations Unies au Togo de dispenser une formation générale aux membres de la Commission sur les techniques d’enquête.

 

1.4.2               Haut Commissariat aux Rapatriés et à l’Action humanitaire

Le 8 juin 2005, le gouvernement togolais a crée par décret un Haut Commissariat aux Rapatriés et à l’Action humanitaire avec pour mission de veiller à la protection et à l’assistance aux rapatriés, de collecter tous éléments d’information sur les réfugiés togolais, les rapatriés et les personnes déplacées, de mobiliser les ressources nécessaires pour leur venir en aide, d’aider à trouver des solutions durables aux problèmes à l’origine de leur situation notamment en facilitant leur rapatriement, leur retour volontaire ou leur réinsertion sociale, de proposer toutes mesures d’ordre législatif ou réglementaire sur les problèmes des réfugiés et des personnes déplacées, d’assurer la liaison avec les institutions de l’Etat et les autres organismes concernés, d’assurer la coordination et la coopération avec les institutions et organismes en vue du respect des principes humanitaires et des droits fondamentaux des personnes visées et de faciliter les actions et les activités des organisations humanitaires. La Mission a eu l’occasion de s’entretenir

 

 

brièvement avec le Haut Commissaire aux Rapatriés et à l’Action humanitaire qui venait de prendre ses fonctions.

 

La mise en place d’une telle structure est présentée comme l’expression de la volonté du gouvernement de mener une politique en direction des réfugiés et des personnes déplacées. Par cette action, les autorités togolaises reconnaissent en tout état de cause l’ampleur des déplacements internes et externes et la nécessité de trouver des solutions pour faciliter le retour des personnes déplacées de chez eux par la crise. Cette donnée est à prendre en considération dans tout règlement de la crise togolaise et dans toute assistance technique à apporter au pays.

 

1.4.3               Enquêtes menées par la Commission nationale des droits de l’homme

La Commission nationale des droits de l’homme a entrepris une tournée de vérification des allégations des droits de l’homme survenues lors du processus électoral d’avril 2005. La Commission a informé la mission que son rapport relatif aux tournées est en cours de finalisation. La Commission a ensuite transmis à la Mission un document intitulé « Synthèse du rapport de la tournée de vérification des allégations de violations des droits de l’homme survenues lors du processus électoral d’avril 2005, au Togo. » La Commission fait état de «  dérapages » lors des différentes manifestations et considère que  le gouvernement et les auteurs de ces manifestations  se rejettent mutuellement  les responsabilités. Selon le tableau  récapitulatif remis à la Mission, la Commission fait état  de 64 décès, de 503 blessés et de 85 interpellations. Dans ses conclusions et ses  recommandations, la Commission estime que «  la période allant du 5 février au 5 mai 2005 a été marquée par des manifestations violentes  provoquant  parfois la riposte des forces de l’ordre et de sécurité. Ces évènements  ont entraîné de graves violations des droits  à la vie, à l’intégrité physique, à la propriété, à la liberté d’expression et de circulation. »  Par ailleurs, la Commission a adressé dans son rapport de synthèse des recommandations au gouvernement, aux partis politiques et à la société civile.

 

 

1.4.4               Mission d’établissement des faits de l’Union africaine

Au cours de sa 37ème session ordinaire, tenue du 27 avril au 11 mai 2005 à Banjul, Gambie, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a adopté le 11 mai 2005, une résolution sur la situation des droits de l’homme au Togo. Préoccupée par les incidents qui se sont déroulés dans le pays, elle a décidé d’envoyer une mission d’établissement des faits pour enquêter sur les violations des droits de l’homme commises avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005. La Mission a régulièrement contacté la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour recevoir des informations sur sa mission d’établissement des faits. Au moment de la visite de l’Envoyé spécial du Haut Commissaire aux droits de l’homme au Togo et dans les pays limitrophes, la mission de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ne s’était pas encore rendue dans le pays.

 

 

2.                     CONTEXTE POLITIQUE ET IDEOLOGIQUE DE LA CRISE

 

Un rappel succinct du contexte politique et idéologique est de nature à apporter un éclairage sur la crise togolaise et  sur les violences et les violations des droits de l’homme. Toutefois, une analyse de la situation du Togo ne peut être faite sans aussi souligner le rôle important joué par ce pays dans le cadre du règlement des différends et des conflits en Afrique.

 

 

 

 

2.1                  Rôle du Togo dans le cadre des règlements des différends et des conflits

Le Togo situé en Afrique de l’Ouest a une superficie de 56 785 km2 et des frontières avec le Burkina Faso au nord, le Bénin à l’est et le Ghana à l’ouest. Sa population est estimée à 5 millions d’habitants. Les villes principales sont Lomé, sa capitale (750.000 habitants), Sokodé (50.000 habitants), Kara (30.000 habitants), Kpalimé (30.000) et Atakpame (26.000 habitants). Le pays est composé d’une quarantaine d’ethnies dont les principaux sont les Ewe au sud et les Kabyes, au nord. Les principales religions sont le christianisme et l’islam. L’animisme demeure une pratique vivace au sein de la société togolaise. Le Togo est un membre de l’ONU, de l’Union africaine et d’autres organisations sous régionales notamment la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le Président Eyadema s’est positionné comme médiateur aux règlements des différends et des conflits en Afrique notamment en Côte d’Ivoire, au Libéria, en Guinée-Bissau, au Tchad, en République Démocratique du Congo et en Sierra Leone.  A la demande des instances internationales, les forces armées togolaises et la police ont été déployées sur le terrain au sein des opérations de surveillance des accords de paix signé entre les belligérants ou au sein des opérations de maintien de la paix notamment au Shaba (Zaïre,1978-1979), en Centrafrique (MINURCA), en Guinée-Bissau (1998), en Namibie (1989-1993), au Rwanda (MINUAR-1993), en Haïti (MINUHA-1994) et actuellement en Côte d’Ivoire (ONUCI) ainsi qu’au Libéria (MINUL). Le Togo a aussi déployé des troupes au sein de la Force de paix de la CEDEAO. Enfin, le pays a aussi participé au sein de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) au projet de mise en place d’une force africaine de la paix qui devait pouvoir être déployée en urgence, s’interposer entre les belligérants, protéger les populations civiles, et prévenir et régler les conflits.

 

A la suite du décès du Général Gnassingbe Eyadema, ancien Président de la République du Togo survenu, le 5 février 2005, le pays a été plongé dans une nouvelle crise politique sans précédent caractérisée par d’importantes irrégularités dans la gestion de la vacance de la Présidence de la République et de graves tensions et violences avant, pendant et après l’organisation de l’élection présidentielle d’avril 2005. Le processus de l’élection présidentielle du 24 avril 2004 est caractérisé par une grave crise constitutionnelle et des actes de violations massives des droits fondamentaux des individus et des citoyens. Cette crise a aussi engendré un flux important de personnes déplacées à l’intérieur du pays et de nombreux réfugiés dans les pays voisins notamment au Ghana et au Bénin. Le pays a régulièrement connu des cycles de violence pendant le déroulement des différents processus électoraux. Mais l’élection du 24 avril 2005, semble avoir atteint un degré jamais enregistré de violence .Comment le Togo a-t-il-pu arriver à une telle crise politique? Quelles sont les causes et les conséquences des violences et des violations des droits de l’homme commises au Togo? Pouvaient-elles être évitées? Pourquoi de nombreux togolais ont quitté leur domicile et pays ? Comment le Togo peut-il être aidé afin d’éviter et de prévenir de nouvelles violences et des violations des droits de l’homme en général et tout particulièrement au cours des prochains processus électoraux? La Mission a, dans le contexte de son mandat essayé de répondre à ces questions pour éclairer la communauté internationale sur la situation des droits de l’homme ainsi que sur les évènements survenus dans le pays avant, pendant et après l’élection présidentielles du 24 avril 2005 et pour permettre aux Nations Unies de contribuer en toute connaissance de cause aux solutions durables qui doivent émaner en dernière analyse du  peuple togolais lui-même pour une réconciliation nationale, un respect des droits de l’homme ainsi que les voies et moyens de l’instauration de la démocratie.

 

 

 

 

2.2.            Aperçu de la gestion ethnique et clanique du pouvoir et des violences politiques

Le Togo a connu dès le début de son existence, un climat politique controversé et jalonné de violences politiques. Le pays a été une colonie Allemande de 1889 à 1919. A la suite de la défaite de l’Allemagne, à la fin de la première guerre mondiale, le territoire a été partagé entre la France et l’Angleterre. La partie confiée à la Grande-Bretagne a été intégrée au  Ghana. Ce lourd héritage colonial a influencé l’évolution de la société Togolaise et provoqué des clivages entre les populations du nord et du sud. Sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, un référendum a été organisé permettant au Togo d’accéder progressivement à l’autonomie en tant que République intégrée à la France. En 1960, le Togo accède à l’indépendance. Son premier Président, Sylvanius Olympio est assassiné en 1963 au cours d’un coup d’Etat auquel des militaires originaires du nord du pays notamment  de l’ethnie kabyé ont joué un rôle décisif qui a placé au pouvoir M. Nicolas Grunitzky. En 1967, le deuxième Président  du Togo est renversé par des militaires mettant au pouvoir le Général Gnassingbé Eyadema, militaire originaire du nord qui selon les observateurs de ce pays, serait à l’origine du premier coup d’Etat. En 1969, M. Gnassingbe Eyadéma fonde le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), l’unique parti autorisé jusqu’en 1991.

 

Le Général Gnassingbe Eyadema a dirigé le Togo pendant 38 ans, avec fermeté et dans le non respect de la bonne gouvernance, des droits de l'homme et des pratiques démocratiques. Selon de nombreux observateurs nationaux et internationaux, son règne est marqué par une  gestion ethnique et clanique  du pouvoir et le recours systématique à la violence politique contre toute forme ou velléité d’opposition. Ce climat a généré des contestations politiques et sociales permanentes et une détérioration continue de la situation des droits de l’homme dans le pays.

 

Selon les informations recueillies, l’ethnie Kabyé et les partisans du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) auraient été systématiquement favorisés par le Président Eyadema pour occuper les postes de responsabilité au niveau de l’armée, de l’administration et les hautes institutions de l’Etat togolais. L’armée togolaise grâce à laquelle l’ancien Président a pu asseoir son  autorité serait malgré sa composition multi-ethnique au niveau de ses structures et de sa hiérarchie particulièrement favorable aux officiers originaires du nord.

 

La violence a constitué un facteur permanent de l’histoire politique togolaise  pendant le règne du Président Eyadema. Cette violence s’est notamment manifestée par  plusieurs formes allant de pratiques répressives contre les partis de l’opposition et de tout adversaire réel ou potentiel jusqu’aux manipulations de la constitution et des lois électorales pour pérenniser un pouvoir et un système. Une illustration récente en a été la modification, le 30 décembre 2002, par l’Assemblée nationale majoritairement composée de partisans du Rassemblement du Peuple Togolais, de l’article 59 de la constitution qui limitait à deux le nombre des mandats présidentiels. Le nouvel article 59 supprime la limite des mandats et permet ainsi au Président de la République de se représenter indéfiniment. Dans le même sens, le code électoral a été modifié le  6 février 2003. Il prévoyait au départ que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) était chargée d’organiser et de superviser les consultations électorales et référendaires en liaison avec le Ministre de l’Intérieur. Le nouveau code électoral confie directement l’organisation des consultations électorales et référendaires  au Ministère de l’Intérieur. La CENI est réduite à veiller à la régularité du déroulement des opérations référendaires et électorales. Les élections présidentielles de 1986, de 1993, de 1998 et de 2003 reconduisant systématiquement le Général Eyadema au pouvoir ont été vivement contestées. Par ailleurs les élections législatives, régionales et locales ont été régulièrement boycottées par les partis de l’opposition. Dès le début des années 1990, la communauté internationale particulièrement alarmées par la situation politique au Togo a commencé à prendre des sanctions économiques contre ce pays en raison du blocage systématique du processus démocratique, de l’absence de réelles élections libres, justes et transparentes, des répressions sanglantes, des manifestations et des violations massives des droits de l’homme entachant les processus électoraux.

 

 

Situation des droits de l’homme pendant les 38 ans de pouvoir du Président Eyadema

Le Togo a ratifié les principales conventions relatives aux droits de l’homme, à savoir le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (en 1984), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (en 1984), la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (en 1972), la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (en 1983), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (en 1987) et la Convention relative aux droits de l’enfant (en 1990). Ces conventions font partie intégrante de la Constitution révisée du 31 décembre 2002. En effet, l’article 50 de ladite Constitution stipule que  «  les droits et devoirs énoncés dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, ratifiés par le Togo font partie intégrante de la présente Constitution ». Le Togo a présenté quelques rapports au titre de ces instruments mais plusieurs  rapports sont toujours attendus. Ces retards quelques fois dus au manque de moyens financiers et à l’insuffisance de la formation du personnel chargé de procéder à leur élaboration, découlent également  de l’avis des organisations de défense des droits de l’homme d’une volonté politique d’échapper à toute investigation sérieuse des violations des droits de l’homme.

 

Le Togo a été le premier pays africain à se doter d’une Commission nationale des droits de

l’homme en 1987. Depuis l’adoption de la Constitution de 1992, des institutions de promotion et de protection des droits de l’homme ont été mises en place, notamment, un Ministère chargé de la Démocratie et de l’Etat de droit, et une Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC). Mais ces structures manquent d’indépendance, de financements et de personnes suffisamment formées pour assurer leur bon fonctionnement.

 

Dans les années 1990, les autorités togolaises ont aussi bénéficié d’une assistance  technique du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, axée sur la sensibilisation et la formation pour le développement d’une culture démocratique et sur la formation d’un Etat de droit. Ce projet comportait deux composantes. La première se rapportait aux droits de l’homme dans l’administration de la justice, aux formations de groupes professionnels, à l’assistance à la commission nationale des droits de l’homme ainsi qu’aux organes législatifs et à la fourniture de documents relatifs aux droits de l’homme. La deuxième composante était relative aux besoins en matière d’éducation aux droits de l’homme, la formation du corps enseignant, et l’assistance à la commission nationale de révision des programmes scolaires des écoles primaires et secondaires en vue de l’intégration de l’enseignement des droits de l’homme. Ce projet a contribué au renforcement des institutions nationales dont la commission nationale de révision des programmes scolaires pour l’enseignement des droits de l’homme et à la création de nouvelles structures notamment, une commission d’harmonisation de la législation nationale, une commission de rédaction des rapports périodiques et un centre d’information et de documentation sur les droits de l’homme. Par ailleurs, le projet a également contribué au renforcement des capacités opérationnelles des organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits de l’homme.

 

Ce projet de coopération technique établi en 1996 s’est achevé en 1998 et a fait l’objet d’une évaluation technique en juin 1999. La mission d’évaluation a conclu à sa bonne exécution.

 

Malgré cet important dispositif de protection et de promotion des droits de l’homme, les violations des droits de l’homme et des libertés publiques ont  continué à être commises.

 

La situation des droits de l’homme au Togo était caractérisée par une absence persistante de respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales, et un constant déficit démocratique. Les organes chargés de la supervision des traités internationaux des droits de l’homme ont régulièrement fait part de leurs préoccupations face à la détérioration continuelle de la situation des droits de l’homme. Cette situation se traduit par des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires, des actes de torture, des menaces et des actes d’intimidation perpétrés par les forces de sécurité togolaises contre la population civile notamment les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes, les représentants syndicaux et les militants et les dirigeants des partis d’opposition. C’est dans ce contexte que, la diligence des autorités togolaises à répondre positivement aux demandes de visites du Rapporteur Spécial sur la Torture, de la Représentante Spéciale du Secrétaire général sur les défenseurs des droits de l’homme et du Groupe de travail sur les disparitions forcées, sera particulièrement indicative de l’évolution de cette situation.

 

En 2000, une Commission d’enquête internationale conjointe ONU et OUA a été constituée pour « vérifier la véracité des allégations des centaines d’exécutions extrajudiciaires qui auraient lieu au Togo courant de 1998, contenues dans le rapport d’Amnesty International (AI) publié le 5 mai 1999 », et de faire rapport aux deux Secrétaires généraux. Dans son rapport publié le 22 février 2001, la Commission exprimait  dans ses conclusions générales sa « conviction que les allégations  concernant les exécutions extrajudiciaires perpétrées au Togo devraient être prises en considération. Ces exécutions ont visé spécialement  les militants des partis politiques de l’opposition mais certaines ont été également  commises à l’occasion d’arrestations opérées à la suite  de délits de droit commun. Concernant l’imputation de ces violations, plusieurs éléments apparents semblent  indiquer qu’elles seraient  le fait de personnes appartenant à des forces  de sécurité, à la gendarmerie et à des milices travaillant de concert avec celles-ci. Leurs actes comporteraient, en plus d’exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, des tortures et mauvais traitements infligés à des personnes détenues, ainsi que de viols et d’enlèvements des femmes effectués dans certaines régions. »

 

Conscients de l’image négative véhiculée dans le domaine des droits de l’homme par le pays et de l’impact néfaste des sanctions économiques sur le développement du pays, les autorités togolaises ont multiplié les efforts pour montrer leur volonté d’améliorer progressivement la situation des droits de l’homme et de la démocratie. En 2004, le Togo semblait être disposé à collaborer avec les pays et les organisations de financement du développement et tout autre partenaire pour œuvrer à la consolidation de l’Etat de droit, de la culture des droits de l’homme et de la paix. L’année 2004 est notamment marquée par la reprise des discussions entre le Togo et l’Union Européenne. Au titre de l’article 96 de l’Accord de Cotonou signé avec les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique), l’Union Européenne a décidé d’ouvrir, dès le 14 avril 2004, des consultations avec le Togo afin de décider d’une éventuelle reprise de sa coopération économique suspendue depuis 1993, pour des raisons de déficit démocratique, de violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 

Le 14 avril 2004, l’Union Européenne n’a pas reconduit sa décision de suspension de l’aide économique mais a décidé de poursuivre le dialogue avec le Togo. Elle a également noté avec satisfaction que le Togo « a pris certains engagements et a donné des éléments positifs pour un renforcement du climat démocratique et de l’Etat de droit dans le pays ». En effet, à Bruxelles, le Togo a souscrit à vingt deux (22) engagements ayant pour objectifs de garantir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales dont la participation à la vie publique, le respect du processus électoral, la protection des défenseurs des droits de l’homme et de la société civile, l’absence d’exécutions extrajudiciaires, de torture et d’autres traitements inhumains et dégradants, la libération de l’ensemble des prisonniers politiques, et l’amélioration des conditions d’arrestations et de détention. Le respect de ces engagements devait conditionner la suite des négociations avec l’Union européenne. Ainsi l’aide de l’Union Européenne sera octroyée au Togo s’il satisfait pendant une période déterminée aux engagements pris.

 

Mais les évènements survenus du 5 février au 5 mai 2005 ont témoigné de l’aggravation de la situation des droits de l’homme, avec notamment un paroxysme de violences politiques et de violations particulièrement graves des droits de l’homme mettant en cause la responsabilité de nombreux acteurs notamment l’appareil sécuritaire de l’Etat et le parti politique au pouvoir ainsi que des militants de l’opposition.

 

 

3.            CHRONOLOGIE SIGNIFICATIVE DES EVENEMENTS AU REGARD DES DROITS DE L’HOMME

 

C’est dans ce contexte de crise politique et humanitaire grave que, la mission d’établissement des faits a été dépêchée au Togo pour faire la lumière sur les violences et les allégations de violations des droits de l’homme qui auraient été commises au Togo du 5 février (décès du Président Eyadema) au 5 mai 2005 (prise de fonctions du Président élu, Faure Gnassingbé ). La mission a essayé de retracer avec objectivité et impartialité les faits et les responsabilités notamment par une chronologie significative au regard des droits de l’homme. Ce rapport porte en conséquence sur les faits les plus significatifs de violence politique et de violations massives des droits de l’homme. La chronologie  suivante est de nature à éclairer ces faits.

 

Le 5 février 2005, le décès  du Président du Togo, M. Gnassingbé Eyadéma est annoncé par le Premier ministre, M. Koffi Sama qui a également annoncé la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes. En début de soirée, par un communiqué, les Forces Armées Togolaises (FAT) constatent « la vacance totale du pouvoir », le Président de l’Assemblée nationale étant absent du territoire nationale. Pour ne pas laisser perdurer cette situation, les FAT ont décidé de confier le pouvoir à M. Faure Gnassingbé à partir de ce jour.

 

 Cette décision a été prise au moment où M. Fambaré Natchaba Ouattara, Président de l’Assemblée nationale, successeur provisoire selon la constitution en cas de vacance de la Présidence de la République, était en route de retour vers le Togo d’une visite officielle à l’étranger. Le vol régulier  qui le transportait au même moment est détourné sur Cotonou, capitale du Bénin, du fait de la fermeture des frontières.

 

La décision de l’Armée Togolaise de désigner M. Faure Gnassingbé pour succéder à son père a été vivement et immédiatement condamnée sur le plan international par l’Union africaine (UA), la Commission de l’Union africaine, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), ainsi que l’Union Européenne (UE). Toutes ces organisations ainsi que le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies ont  demandé le strict respect de la constitution. Au niveau national, les partis de l’opposition ont demandé le retour à la légalité constitutionnelle avec la mise en place « d’une transition consensuelle », devant déboucher sur des élections présidentielles et législatives sous l’égide de la Communauté internationale. Le 9 février 2005, le Conseil permanent de la Francophonie a décidé de suspendre la participation des représentants du Togo aux instances de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et la suspension de la coopération multilatérale francophone. Dès le 19 février 2005, la CEDEAO a suspendu le Togo de l’organisation, a rappelé ses représentants en poste à Lomé et a imposé une interdiction de voyage contre les dirigeants togolais.

 

Le 6 février 2005, l’opposition critiquant les  arrangements constitutionnels légitimant la décision de l’Armée de désigner Faure Gnassingbé comme Président par intérim  annonce sa volonté de contester cette décision par des manifestations pacifiques. Le Ministre de l’Intérieur interdit toutes les manifestations publiques sur la base du deuil national de deux mois décrété par le gouvernement pour « honorer la mémoire du Président défunt ».

 

Malgré un grand nombre d’appels au retour à l’ordre constitutionnel, M. Faure Gnassingbé a été officiellement investi comme nouveau Président du Togo, le 7 février 2005.

 

Dès le 7 février 2005, des manifestations pacifiques et des journées villes mortes ont eu  lieu de manière improvisée à Lomé et dans les autres grandes villes du pays. Ces manifestations ont fait l’objet de répressions par les forces de sécurité.

 

Le 9 février 2005, le nouveau Président a prononcé son premier message à la nation en soulignant son attachement à l’exécution des vingt deux (22) engagements pris le 14 avril 2004 avec l’Union européenne, et sa volonté d’organiser des élections. Il a également décidé de libérer près de 412 détenus de droit commun.

 

Le 12 février 2005, les six partis de l’opposition dite radicale ont organisé leur première manifestation pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel. Près de quatre personnes  auraient été tuées au cours des manifestations du 12 et du 13 février 2005.

 

Préoccupée par la crise au Togo et son impact sur la démocratie dans la sous région, la CEDEAO a multiplié des actions pour un retour à la légalité constitutionnelle. Une délégation de la CEDEAO conduite par Mme Aïchatou Mindaoudou, Ministre des Affaires étrangères du Niger a été reçue par M. Faure Gnassingbé et le Premier ministre Koffi Sama, avant le début de la cérémonie d’investiture. Un sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la stabilité et la paix au Togo  a été convoqué dés le 19 février 2005, à Niamey.

 

Grâce aux médiations de la CEDEAO et de l’Union africaine, l’Assemblée nationale togolaise a révisé la Constitution le 21 février 2005, pour revenir à l’ancien texte prévoyant l’organisation d’une élection présidentielle dans les 60 jours. Un nouveau contentieux s’est alors ouvert sur la date de l’élection présidentielle.

 

 

Le 27 février 2005, une marche organisée par des organisations de femmes réclamant le retour à l’ordre constitutionnel s’est terminée par des affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants. Le lendemain, cinq corps, dont celui d’un enfant âgé d’une dizaine d’années, ont été retrouvés dans la Lagune de Bè, quartier de Lomé réputé hostile au régime en place.

 

A la suite de la pression de la communauté internationale, Monsieur Faure Gnassingbé démissionne le 25 février 2005. Monsieur Abass Bonfoh, Premier vice-Président de l’Assemblée nationale est désigné Président de la République par intérim du Togo.

 

Dans le cadre du processus électoral, Monsieur Faure Gnassingbé a été choisi comme candidat du Rassemblement du Peuple Togolais. Monsieur Emmanuel Akitani Bob a été désigné comme candidat de l’opposition dite radicale. Cette coalition regroupe six partis notamment le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), l’Union des Forces de Changement (UFC), la Convention Démocratique des Peuples Africains (CDPA), l’Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral (ADDI), le Pacte Socialiste  pour le Renouveau (PSR) et l’Union des Démocrates Socialistes du Togo (UDS-Togo). Deux autres candidats se sont présentés à l’élection, notamment Monsieur Harry Olympio, Président du Rassemblement pour le soutien de la démocratie et du développement et Monsieur Nicolas Lawson, leader du Parti du renouveau et de la rédemption. Le 31 mars 2005, le Président de la CENI a transmis à la Cour Constitutionnelle les dossiers des candidats à l’élection présidentielle. Le 4 avril 2005, la Cour Constitutionnelle a examiné ces dossiers et validé toutes les candidatures.

 

Le 28 février 2005, une délégation de haut niveau de la CEDEAO composé du Président en exercice de la CEDEAO, M. Mamadou Tandja, Président du Niger, M. Amadou Toumani Touré, Président du Mali, et le Sénateur Lawan Gana Guba, Ministre de l’Intégration et de la Coopération en Afrique de la République Fédérale du Nigeria, représentant le Président Olusegun Obasanjo a effectué une visite de travail au Togo. La délégation s’est entretenue avec M. Abass Bonfoh, Président de la République par intérim du Togo, le Ministre de l’Intérieur ainsi que le Chef d’Etat-Major des Forces Armées du Togo (FAT). Elle a « réaffirmé à tous les acteurs politiques togolais, les objectifs de la CEDEAO, principalement, le respect de la légalité constitutionnelle, la nécessité d’organiser des élections transparentes, libres, et justes dans les soixante

 

jours, comme prescrit par la Constitution du Togo et la nécessité du respect des libertés civiles, le maintien de la paix et de la sécurité pour tous les togolais au cours de la période intérimaire ». Cette rencontre a abouti à un accord entre le gouvernement et l’opposition sur les points de divergence concernant l’élection, et a permis de jeter des bases pour créer les conditions de la tenue d’une élection crédible. Sous l’angle des droits de l’homme, les conditions suivantes ont été soulignées : « la nécessité de garantir à tous les acteurs politiques, leur liberté de circulation sur l’ensemble du territoire national; la nécessité de garantir et de renforcer les libertés civiles fondamentales ; la nécessité pour tous le acteurs politiques et leurs sympathisants, de s’abstenir de tout discours de haine, et d’éviter de commettre des violences, la nécessité pour l’Administration, les Forces de Sécurité publique et de toutes les Institutions de la République d’être impartiales et d’observer une stricte neutralité ; l’accès équitable aux médias de service public pour tous les partis politiques … ». Au cours de cette  rencontre, la CEDEAO a nommé Monsieur Mai Manga Boukar comme envoyé Spécial de la CEDEAO auprès du Togo pour suivre les préparatifs de l’élection présidentielle. Par ailleurs, la CEDEAO a également décidé de fournir au Ministère de l’Intérieur du Togo, trois experts électoraux du Bénin, du Niger et du Mali pour apporter une assistance au processus électoral. Près de 150 observateurs régionaux ont été ultérieurement déployés au Togo dans le cadre du processus électoral.

 

La coalition de l’opposition  a par voie de communiqué de presse en date du 5 avril 2005, appelé « les populations togolaises à défendre leur droit à la liberté et à la démocratie en manifestant massivement sur toute l’étendue du territoire pour exiger la reprise du processus de révision des listes électorales et le report de la date du scrutin présidentiel, à compter du 6 avril 2005 jusqu’à l’obtention de leurs exigences ». La coalition a aussi demandé « aux populations togolaises de rester plus que jamais mobilisées et vigilantes jusqu’à la victoire finale ».

 

Les radios lumières, Nana FM, Kanal FM, Nostalgie, Carré Jeunes, la RTZ (radio télévision Zion) et TV7 ont été fermées par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC). Il leur aurait été reproché de ne pas avoir acquitté le paiement de leur redevance annuelle, et d’inciter à la haine et au tribalisme. Le 15 avril 2005, la HAAC a interdit aux radios privées de couvrir la campagne électorale.

 

De violents affrontements ont eu lieu  le 16 avril 2005, dans les rues de Lomé entre les militants du RPT et ceux de la coalition. Près d’une cinquantaine de blessés ont été  officiellement recensés par les services de l’Etat.

 

Dans la nuit du 21 au 22 avril 2005, Monsieur François Boko, Ministre de l’Intérieur en charge de l’organisation de l’élection présidentielle a démissionné. Au cours d’une conférence de presse, il a demandé que l’élection soit reportée en raison du climat politique délétère dans lequel s’est déroulée la campagne électorale émaillée de violences et de la menace d’une guerre civile. Il a notamment souligné les faits suivants justifiant sa décision: les discours violents et acerbes de certains leaders politiques relayés par des militants, les arrestations d’hommes politiques, les menaces sur les dirigeants et les responsables des Eglises, les pressions et les menaces qu’il aurait personnellement reçues ainsi que ses proches, la campagne prise en otage par les militants des deux principales formations politiques, affirmant leur ferme volonté d’en découdre avec des moyens illégaux, les menaces exercées par les militants des partis sur les militants des partis adverses, le phénomène de milices armées de fusils de chasse faisant des descentes dans les quartiers ou accompagnant des cortèges et tirant sur les militants adverses, et le regain du discours tribal, régionaliste et xénophobe. Lors de sa conférence de presse, il a suggéré que des mécanismes soient mis en place notamment une transition d’un à deux ans pour réconcilier le pays, une commission chargée de proposer au gouvernement, un avant projet de loi fondamentale pour bâtir et consolider la démocratie et une commission chargée de réconcilier le pays avec l’armée. Enfin, il a préconisé qu’une amnistie générale soit accordée pour permettre le retour de tous les togolais vivant en exil. A la suite de cette conférence de presse, le ministre a du se réfugier à l’Ambassade d’Allemagne et s’exiler ensuite en Europe. L’action du ministre a été qualifiée d’irresponsable par le pouvoir.

 

Le 24 avril, jour des élections, les partis d’opposition ont signalé de nombreux faits de violations du droit de vote, d’obstructions à la présence des partis d’opposition dans les bureaux de vote et d’agressions physiques contre des militants de l’opposition. Les télévisions internationales ont montré des images de militaires enlevant de force des urnes de bureaux de vote.

 

Le 25 avril 2005, le Président de la République Fédérale du Nigeria, Olusegun Obasanjo a organisé à Abuja une réunion  de conciliation entre M. Faure Gnassingbé et M. Gil - Christ Olympio, à l’issue de laquelle il a présenté un projet de texte de mémorandum  relatif entre autres à la période de transition au gouvernement d’union nationale, à la réforme de l’armée, à la révision de la constitution etc…. Ce projet de texte n’a pas fait l’objet d’un accord formel.

 

Le 26 avril 2005, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) a proclamé le résultat provisoire de l’élection qui a donné Monsieur Faure Gnassingbé, candidat du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), vainqueur avec 60,2% des votes contre 38,2% au candidat de la coalition de l’opposition, Monsieur Akitani Bob. Il est à noter que le RPT et la Coalition de l’opposition se sont accusés mutuellement de fraudes. La proclamation des résultats a constitué le début du déclenchement des plus graves violences politiques et des violations systématiques des droits de l’homme. Les sympathisants et les militants de l’opposition ont contesté la validité des résultats par des manifestations  dans les rues de Lomé et d’autres régions. Les forces de l’ordre en coordination avec des militants du parti au pouvoir, le RPT, ont déclenché des actions de riposte d’une grande violence. Toutes ces manifestations ont débouché, de toute la crise sur le  plus grand nombre de victimes et de destructions de biens et de propriétés. A Lomé, les quartiers de Bé,  d’Adakpamé et de Dékon, des militaires ont été malmenés et se sont faits subtiliser des armes à feu. De violentes manifestations se sont également produites dans d’autres villes notamment à Atakpamé, à Aného, à Kpalimé, à Mango, à Sokodé et à Tsévié. Ces violences sont à l’origine des déplacements importants de personnes dans le pays ainsi qu’un afflux massif de réfugiés au Ghana et au Bénin.

 

La CEDEAO a indiqué que le « scrutin a globalement répondu aux critères et aux principes universellement admis en matière d’élection ».

 

Monsieur Faure Gnassingbé a proposé à l’opposition de former un gouvernement d’union nationale. Cette proposition n’a pas été acceptée par l’opposition divisée. Face à

ce blocage, la CEDEAO a dépêché une mission à Lomé, pour rapprocher les positions des parties en crise. L’opposition aurait déclaré être prête à étudier une participation au gouvernement d’union nationale à condition que la protection de la population civile soit assurée et qu’une structure pour faire la lumière sur les résultats du scrutin du 24 avril 2005 soit mise en place.

 

 

De nouveaux affrontements se sont déroulés du 28 au 29 avril 2005, à Lomé et à l’intérieur du pays faisant de nombreux morts et blessés. Pendant cette période, les communautés étrangères ont fait l’objet de nombreuses agressions. Des actes de pillages et de vandalisme ont aussi été perpétrés. Huit ressortissants maliens ont été brûlés vifs. Quatre ressortissants du Niger ont été tués. Dans la nuit du 28 au 29 avril 2005, le centre culturel allemand a été pillé et incendié par des individus armés et cagoulés.

 

Le 2 mai 2005, la Cour constitutionnelle a proclamé les résultats de l’élection présidentielle et a déclaré  Monsieur Faure Gnassingbé, Président de la République.

 

Le 4 mai 2005, Monsieur Faure Gnassingbé a prêté serment comme nouveau Président du Togo devant la Cour constitutionnelle.

 

Dès le 5 mai, des appels concordants soutenant les efforts de la CEDEAO ont été lancés par de nombreux pays et organisations régionales et internationales exhortant les principales formations politiques du Togo à entamer le dialogue en vue de la formation d'un gouvernement d'union nationale.

 

Suite à l’échec d’une tentative de formation d’un gouvernement d’union nationale dirigé par une personnalité de l’opposition dite radicale,  le Président de la République a nommé le 8 juin 2005,  M.  Edem Kodjo comme Premier ministre.

 

Le 20 Juin 2005 un Gouvernement d’Union Nationale a été constitué. Il est caractérisé par une présence forte de personnalités du RPT, l’attribution à M. Kpatcha Gnassingbé du poste de ministre délégué à la Présidence de la République chargé de la défense et des anciens cambattants, l’attribution de la sécurité à une personnalité de l’armée, le Colonel Pitalounani Laokpessi, l’attribution du poste des Affaires étrangères et de l’intégration africaine à une personnalité de l’opposition dite modérée, M. Zarifou Ayeva et celui de la justice à une personnalité de l’opposition dite radicale, M. Tchessa Abi.

 

 

4.            NATURE DES ALLEGATIONS DE VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME ET RESPONSABILITES

 

4.1.            NATURE DES VIOLATIONS ET DES ALLEGATIONS DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME

 

4.1.1            Allégation de crime contre la Nation et d’atteintes à la constitution et aux lois et aux règlements de la République togolaise (articles 148 et 150 de la constitution)

La décision des FAT de confier la Présidence de la République à M. Faure Gnassingbé a été justifiée par l’absence du Président de l’Assemblée Nationale dont l’avion,  empêché à cause de la fermeture des frontières d’atterrir à Lomé, a été détourné sur Cotonou, capitale du pays voisin, le Bénin.

 

 La Constitution togolaise prévoit des règles précises en matière de vacance de la Présidence de la République. En effet, l’article 65 de la constitution stipule qu’ «  en cas de vacance de la Présidence de la République par décès, mission ou empêchement définitif, la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le Président de l’Assemblée nationale. La vacance est constatée par la Cour Constitutionnelle saisie par le Gouvernement. Le Gouvernement convoque le corps électoral dans les soixante (60) jours de l’ouverture de la vacance pour l’élection d’un nouveau Président de la République ». L’Assemblée nationale a pris deux décisions importantes entérinant cette situation. Dans un document intitulé «  Projet de présentation des faits du 5 février au 4 mai 2005 sur la situation avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005 », qu’il a remis à l’Envoyé spécial,  au cours de sa rencontre avec la mission, le  Président actuel de l’Assemblée nationale M. Abass Bonfoh, indique «  pour conférer une légalité à l’acte posé par les Forces Armées Togolaises, la représentation nationale a procédé à l’adoption d’un certain nombre de textes de loi en cette période exceptionnelle ».

 

En effet, la Mission a été  informée  à cet égard des vices de procédure et de fond qui ont entaché les modifications constitutionnelles. Le 6 février 2005, l’Assemblée nationale s’est réunie en session extraordinaire pour procéder aux révisions de la Constitution, en adoptant simultanément deux projets de lois. Dans un premier temps, l’Assemblée modifie l’article 65 de la constitution en violation de l’article 144 alinéa 5 de la  Constitution qui dispose qu’«  aucune procédure de révision  ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. »  Dans un deuxième temps, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi permettant à M. Faure Gnassingbé de redevenir député en l’espace d’une journée sans avoir été réélu dans sa circonscription. En intégrant le gouvernement, M. Faure Gnassingbé avait perdu son titre de député car l’article 203 du code électoral précise que «  le mandat de député est incompatible avec l’exercice de toute fonction publique et de tout emploi salarié. » L’Assemblée a procédé à la modification de cet article pour permettre à M. Gnassingbé de retrouver son titre de député à l’Assemblée nationale après sa démission du Gouvernement le 5 février 2005. L’Assemblée a ajouté un alinéa supplémentaire à l’article 203 soulignant que «lorsque cesse la cause d’incompatibilité, le député retrouve de plein droit ses fonctions ». Cette décision prise par l’Assemblée est entrée en vigueur immédiatement au mépris de l’article 52 alinéa 5 de la constitution  relatif au régime des incompatibilités stipulant que  le régime des incompatibilités et les conditions dans lesquelles il est pourvu aux sièges vacants des députés sont réglés par une loi organique selon les dispositions de la constitution. Il est précisé à l’article 92 de la constitution que «  les propositions ou projets de lois organiques sont soumis à la délibération et au vote de l’Assemblée nationale à l’expiration d’un délai de quinze (15) jours après leur dépôt ». Il est aussi précisé dans cet article que « les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après la déclaration par la Cour Constitutionnelle de leur conformité à la constitution ». Ainsi en l’espace de deux jours au lieu de quinze, l’Assemblée et la Cour Constitutionnelle ont pris au mépris des règles de procédures des décisions visant à cautionner la décision de l’Armée d’installer M. Faure  Gnassingbe au pouvoir. La révision de la Constitution est soumise à des règles strictes.

 

L’article 144 énonce qu’il appartient concurremment au Président de la République et à un cinquième (1/5) au moins des députés composant l’Assemblée nationale de réviser la Constitution. Il est interdit d’engager une procédure de révision en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. Ainsi, l’Assemblée nationale n’était pas habilitée à effectuer les révisions pendant la période de vacance et d’intérim. Les révisions effectuées auraient dû être déclarées nulles et non avenues par la Cour Constitutionnelle. Ces projets de lois ont été promulgués par le Président désigné par l’Armée en toute méconnaissance ou au mépris de la constitution. En effet, en vertu de l’article 67 de la constitution, « le Président de la République promulgue les lois dans les quinze (15) jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée par l’Assemblée nationale; pendant ce délai, il peut demander une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles, la demande doit être motivée. La nouvelle délibération ne peut être refusée ». Dans ce cas d’espèce, le Président désigné a promulgué des lois avant d’entrer officiellement en fonction. Il est précisé à l’article 64 de la constitution qu’avant son entrée en fonction, le Président de la République prête serment devant la Cour Constitutionnelle réunie en audience solennelle. Cette audience a eu lieu le 7 février 2005, soit un jour après la promulgation des lois par le Président. Ainsi, cette promulgation comporte aussi des vices de forme et de procédure.

 

La Cour constitutionnelle qui est la plus haute juridiction de l’Etat (article 99 de la constitution) chargée de veiller au respect des dispositions de la Constitution (article 104 de la constitution) et de garantir les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques n’a pas prononcé l’inconstitutionnalité des lois votées le 6 février 2005. Au contraire, elle les a validé ou cautionné en procédant dès le 7 février 2005 à la  prestation de serment de Monsieur Faure Gnassingbé, en tant que nouveau Président de la République.

 

Tout ce montage juridique marqué par la précipitation, la maladresse et l’improvisation est l’illustration de la prégnance d’une culture d’impunité et de violations des droits de l’homme. A cet égard, l`attention de la Mission a été attirée, à travers l’exemple du Professeur Charles Debbasch sur le rôle douteux dans ce montage d’experts étrangers compétents dans le domaine du droit constitutionnel et du droit public en général. Le recours aux services d’experts étrangers dans ce contexte pose des questions qui mériteraient un examen plu approfondi.

 

 

4.1.2               Allégations de violations du droit à la vie

Tous les interlocuteurs et témoins rencontrés ont confirmé à la mission que les violences et les troubles survenues du 5 février au 5 mai 2005 ont fait de nombreux blessés et morts. Des chiffres communiqués sont variables :

le Ministère de l’Intérieur a fourni à la Mission  les données suivants 69 décès et 461 blessés ;

dans un document remis à la mission sur les « faits connus par la Police nationale au cours des troubles socio-politiques au Togo du 5 février au 15 juin »  2005, la Police a indiqué, un total de vingt (20) cas de violences suivies de meurtres dont neuf (9) cas à Lomé constatés par la Direction Centrale de la Police Judiciaire et onze (11) cas à l’intérieur du pays notamment à Kpélé-Adéta (01), à Danyi (02), à Atakpamé (05), à Tohoun (02) et dans la sous préfecture) d’Akébou (01) ;

la Commission nationale des droits de l’homme fait état dans son rapport de synthèses de données qui ne sont pas exhaustives de 64 décès, 503 blessés, 85 interpellations ;

dans son « rapport préliminaire sur les violations des droits humains et actes de violences et de vandalismes commis avant, pendant et après le scrutin présidentiel » du 24 avril 2005 en date de mai 2005 sur les violations survenues avant, , le Mouvement togolais de défense des libertés et des droits de l’homme (MTDLDH) fait état d’un bilan provisoire de 58 morts et de 317 bléssés dont 48 parmi les forces de l’ordre ;

dans son « rapport préliminaire au 5 mai 2005 sur les violations massives des droits de l’homme par le régime RPT, avant, pendant et après le scrutin », la  Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH)  a dénombré  811 décès et 4508 blessés.

 

La Mission a reçu plusieurs listes de victimes et de blessés, ainsi que de disparitions. La Mission outre ces données, a reçu des témoignages particulièrement crédibles indiquant que le nombre de personnes décédées se situe entre 400 à 500. Selon la mission, les données concernant les exécutions sommaires n’ont pas été suffisamment prises en compte. Or, la Mission a été informé des cas d’exécutions sommaires notamment à Atakpamé et à Aného sans oublier Lomé. Par ailleurs, le médecin légiste de la Mission a constaté des incohérences et des contradictions entre les informations orales obtenues de sources officielles et les données figurant dans les  registres des morgues ou transportées dans les centres hospitaliers. La Mission a été informée par des sources crédibles de l’existence de commandos de l’armée chargés avec des véhicules préparés à cet effet non seulement d’écraser des manifestants et des militants mais également de ramasser et de faire disparaître systématiquement les cadavres, pour éviter entre autres un comptage des victimes par les services de secours. Enfin, la mission a été informée par de nombreuses sources de l’existence de fosses communes où de nombreuses personnes seraient enterrées notamment dans la Préfecture de l’Ogou. La Mission n’a pas pu procéder à la vérification. 

 

Parmi les victimes décédées sont recensés des manifestants, des militants, des policiers et des ressortissants maliens et nigériens. Les victimes auraient été tuées de part et d’autres  tant au cours des manifestations que lors d’actes de violences dans les quartiers et agglomérations surtout après la proclamation provisoire des résultats de l’élection  présidentielle. 

 

Le 26 avril 2005, à la suite de la proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle par la CENI, annonçant la victoire du candidat du RPT, les militants de la Coalition de l’opposition politique auraient commencé à commettre  des actes de violence.  Ils auraient  érigé des barricades, creusé des tranchées dans leurs quartiers  et attaqué les membres et les sympathisants du RPT. Selon les témoins interrogés, près d’une dizaine de sympathisants et des militants du RPT auraient été tués par des militants de l’opposition armés de machettes et d’autres armes traditionnelles. Les forces de l’ordre et l’armée sont intervenues  et auraient fait usage de leurs armes et fait de nombreuses victimes.

 

Des groupes de jeunes de l’opposition mécontents de ces résultats ont continué à ériger des barricades sur les routes, à brûler des pneus, à couper des arbres, à creuser des tranchées, à saccager et à piller des commerces dans les rues de Lomé et à l’intérieur du pays. La violence à Lomé a été particulièrement atroce. Le 26 avril 2005, dans le quartier d’Adakpamé, sept (7) ressortissants maliens soupçonnés à tort selon la Gendarmerie de pratiquer des rites de sorcellerie ont été brûlés vifs par des manifestants qui selon certains seraient membres de l’opposition et selon d’autres simplement motivés par le lynchage xénophobe. Un autre malien a été brûlé vif dans le quartier  Kanyicopé. Près de quatre (4) ressortissants du Niger ont été tués lors des violences survenues à Lomé. Des enquêtes ont été diligentées par la Gendarmerie nationale. Les forces de l’ordre n’ont pas été épargnées. Le 26 avril 2005, le Maréchal des Logis, chef de détachement des gardiens de Préfecture de Kpélé-Adéta a été victime de coups et blessures volontaires ayant entraînés sa mort. Ces coups lui auraient été portés par des manifestants de l’opposition munis d’armes blanches. Le 27 avril 2005, à Lomé, un sous-brigadier en service au Cabinet du Procureur de la République a été victime de coups et blessures ayant entraîné sa mort.

 

Le gouvernement togolais a déployé des contingents importants de forces de l’ordre : , militaires, gendarmes et policiers, qui auraient commis dans ce contexte, des  actes d’une grande violence notamment dans certains quartiers de la capitale réputés comme  fiefs de  l’opposition. Les forces de sécurité auraient fait usage de leurs armes en utilisant des balles réelles et des gaz lacrymogènes. Elles auraient également procédé à des fouilles systématiques dans ces quartiers de la capitale. Des témoignages de différentes sources laissent entendre que les forces de sécurité auraient tiré à bout portant sur des personnes qui s’enfuyaient. La plupart des victimes auraient été tuées dans leurs maisons.

 

Ainsi, une série d’exécutions sommaires auraient été perpétrées par les forces armées, à Lomé et dans un certains nombre de localités dont Aného, et Atakpamé. Différents témoignages concordants font état de groupes organisés au sein des forces de l’ordre qui auraient joué un rôle particulièrement important dans ces actes de violence.

 

A Sokodé, les violences se sont déroulées aussi dès le 24 avril 2005, jour des élections. Des groupes de jeunes de la coalition de l’opposition auraient été à l’origine des premières violences commises dans cette localité. Ils ont ensuite exprimé le 26 avril 2005 leur mécontentement au sujet des résultats donnant la victoire au candidat du RPT, en  saccageant des commerces et des maisons supposés appartenir aux militants du RPT. Ces groupes auraient utilisé des machettes, des couteaux, des coupes -coupes ainsi que des massues pour exécuter leurs actes. Des actions de représailles auraient été  aussitôt été menées par les militants du RPT et les membres des forces de l’ordre. La Préfecture de Tchaoudjo a ainsi recensé deux personnes décédées et trente cinq blessées à Sokodé, lors des violents affrontements opposant les militants du RPT et ceux de la coalition. Le Centre hospitalier régional a prodigué des soins à  vingt cinq personnes provenant des autres préfectures. Elles auraient été victimes de violences des militants de l’opposition. D’après d’autres informations reçues, tous ces chiffres seraient en deçà de la réalité. Les autorités locales ont souligné que les forces de l’ordre auraient uniquement tiré en l’air pour disperser les jeunes. Deux jeunes hommes décédés à la suite de balles reçues étaient originaires du quartier de Didaure. La première victime, âgée de 25 ans aurait succombé aux balles des agents de la Force de Sécurité des Elections Présidentielles (FOSEP). La deuxième victime, âgée de 20 ans aurait été abattue par des gendarmes.

 

Dans la ville d’Aného, le Préfet a indiqué qu’une seule personne est décédée. En recoupant les informations, il ressort que près d’une vingtaine de morts ont été recensés à Aného, entre le 26 et le 27 avril 2005. Ces chiffres semblent également être en deçà de la réalité. La mission a reçu des informations faisant état de cas d’exécutions sommaires par des soldats tirant sur la population à partir d’un hélicoptère qui survolait la ville d’Aného. La mission n’a pas pu confirmer ces allégations mais a reçu de nombreux témoignages concernant les exécutions dans cette localité.

 

Certaines autorités nationales ont reconnu que la force utilisée pour contrecarrer les mouvements des jeunes dans certains quartiers était disproportionnée. Des responsables des forces de l’ordre ont affirmé qu’elles ne pouvaient pas contrôler toutes les troupes qui étaient sur le terrain au moment des évènements. Elles ont admis que certains militaires ont commis des «abus de pouvoir» mais aucune information n’a été communiquée par les autorités au sujet de l’identité de leurs auteurs, du nombre exact de leurs victimes, des mesures disciplinaires et des enquêtes relatives aux actions des soldats ou des forces de l’ordre.

 

4.1.3               Allégations de torture et de traitements inhumains ou dégradants

Les violences qui ont secoué le Togo depuis le mois de février 2005 étaient accompagnées de torture et de traitements inhumains et dégradants. Des informations de diverses sources, des photos de victimes, des cicatrices, des blessures et toute autres marques de violences constatées sur les corps des victimes montrent que des actes de torture atroces et aveugles ont été commis à une grande échelle.

 

A Lomé, les forces de sécurité et l’armée auraient commis des actes de torture et  des traitements inhumains et dégradants dans les quartiers de l’opposition où des barricades avaient été érigées par les militants de l’opposition. La majorité des victimes proviennent des quartiers sud de Lomé. Certaines personnes auraient été torturées par des agents des forces de l’ordre dans des centres de détention illégaux afin d‘extirper des aveux ou toutes autres informations. La Mission a recueilli plusieurs témoignages de viols et de sévices sexuelles.

 

Dans les quartiers de Lomé, l’une des stratégies utilisées par les forces de l’ordre aurait consisté à rentrer par effraction dans des maisons pour commettre des actes de violence notamment contre des jeunes hommes considérés comme militants ou sympathisants de l’opposition. En entrant dans les maisons, ils auraient fracassé systématiquement les portes, roué de coups les occupants  et forcé les hommes et tout particulièrement les jeunes hommes à sortir dans les rues pour enlever les barricades. Des témoins ont montré à la mission leurs cicatrices et blessures résultant des coups de machettes, de coupes-coupes et de gourdins cloutés portés sur leur corps et notamment à la tête.

 

Des milices, des militants du RPT et des militants de la coalition ont également  perpétré de graves actes de torture et des mauvais traitements sur des personnes civiles. Cette période de troubles a aussi été l’occasion pour certaines personnes de procéder à des règlements de compte. Les armes utilisées par toutes ces personnes étaient des barres de fer, des gourdins cloutés, des machettes et des coupes-coupes. Des militants de l’opposition auraient battu et blessé des militants du RPT dans certains bureaux de vote ou les forces de l’ordre étaient insuffisantes en nombre. C’est le cas de la présidente du centre de vote de l’Ecole Publique chrétienne de Basadji, qui est également fonctionnaire de l’administration locale de cette zone. Selon son témoignage, le 24 avril 2005, un groupe de jeunes est arrivé dans ce centre de vote aux environs de 17 heures, muni de pierres, de gourdins cloutés et de coupe- coupes. Le groupe a commencé à jeter des pierres sur le bâtiment du centre, accusant la Présidente d’être un membre du RPT. La victime aurait été touchée par plusieurs jets de pierres. La Mission a observé des cicatrices sur son corps.

 

La Mission a également reçu des témoignages de personnes qui auraient été victimes d’actes de torture et d’arrestations commis par les éléments du corps militaire les « bérets rouges », dans la nuit du 24 avril 2005. Ces forces armées auraient notamment fracassé plusieurs domiciles et frappé violemment des militants et d’autres personnes, avec des cordelettes.

 

D’autres cas d’atteinte à l’intégrité physique ont eu lieu avec la complicité des forces de l’ordre. C’est le cas des militants du RPT qui avaient battu des jeunes revenant des manifestations politiques organisées par les membres de l’opposition. Diverses sources ont confirmé avoir vu des militaires favorisant l’accès dans des lieux de réunions politiques et publiques aux militants du parti au pouvoir. Ces derniers auraient été munis d’armes blanches notamment des machettes, des coupes-coupes et des bâtons cloutés. Les participants à ces manifestations auraient été battus, blessés et maltraités au moment où ils regagnaient leur domicile.

           

4.1.4               Les allégations d’arrestation, de détention arbitraire et disparition forcée

 

4.1.4.1                        Arrestation et condition de détention

La mission a eu des entretiens avec le Procureur Général, le Procureur de la République de Lomé, et des responsables de la Police nationale à Lomé. Dans toutes les localités visitées, elle a essayé de s’entretenir avec les représentants de la police et de la gendarmerie et de visiter également les prisons. Le Togo dispose de près de onze prisons sur l’ensemble du territoire. La mission a pu seulement se rendre à la prison de Lomé. Elle n’a pas pu visiter les prisons d’Aného, de Kpalimé et d’Atakpamé. La prison de Sokodé n’a pu être visitée en raison de sa réhabilitation. La mission a pu constater la vétusté et la surpopulation de la prison de Lomé. Cette dernière était conçue pour accueillir près de 500 détenus, à présent le chiffre a doublé voire triplé. La mission a pu se rendre dans les quartiers des hommes et des femmes et s’entretenir en privé avec quelques détenus. Au cours de cette visite, la mission a noté que les conditions de vie des détenus vivant dans le quartier des hommes sont dégradantes, caractérisées par la misère, la surpopulation, et un manque d’hygiène et  de soins. Les jeunes détenus sont incarcérés avec les adultes. De manière générale, la mission a constaté que les détenus souffrent de malnutrition.

 

La mission a été informée par le Procureur de la République, le Procureur général et des responsable de la Police nationale que les prisonniers ont été majoritairement interpellées pour des actes de vandalisme, de pillages et exceptionnellement des cas de meurtres commis à partir du 26 avril 2005. La Police aurait interpellé 95 personnes. 40 personnes ont été arrêtés au cours des rafles et libérées après identification. Quatre autres personnes ont été arrêtées pour diverses infractions. Elles auraient été libérées à la suite d’investigations menées par la Police judicaire. Enfin 51 personnes ont été déférées à la justice pour des infractions relatives à des recels, des destructions et des dégradations volontaires de biens, des incendies criminels, des troubles à l’ordre public, et au port illégal d’uniforme, et des « atteintes à l’honneur ». Les atteintes à l’honneur concernent les individus qui se seraient fait passer pour des réfugiés.

 

D’après les autorités togolaises, toutes les personnes interpellées en relation avec les incidents du 26 avril 2005 sont gardées dans des centres de détention officiels. Le Procureur Général a communiqué à la mission une liste des personnes arrêtées à l’occasion de l’élection présidentielles du 24 avril 2005. Ainsi, 90 personnes seraient emprisonnées à Lomé. Dans la région des lacs, quatre (4) détenus de la prison civile d’Aného ont été transférés dans différents lieux de détention. A Kpémé-Agbodrafo, 14 personnes sont en prison. Dans la région Moyen -Mono, principalement à la prison de Notsè, deux personnes seraient détenues. A Yoto, le chiffre

de cinq personnes (5) a été avancé. A Vo, six (6) personnes sont officiellement en détention. Sept (7) personnes  à Tsevié. A Kpalimé, huits (8) personnes. Enfin, vingt trois (23) personnes seraient  en prison à Atakpamé. Le Ministre de l’Intérieur a donné la garantie que toutes les personnes arrêtées au cours des violences du mois d’avril seraient remises à la justice dans les plus brefs délais.

 

Selon d’autres sources, la Police et l’Armée auraient procédé majoritairement à des arrestations ciblées visant à inquiéter principalement les militants des partis de l’opposition. La mission a reçu des informations sur de nombreux cas d’arrestations arbitraires d’opposants. La Mission a pu s’entretenir avec une responsable de l’opposition arrêtée pour ses convictions politiques. Ce cas avait été signalé à la mission par des organisations non gouvernementales. En visitant la prison de Lomé, la mission a demandé à s’entretenir avec cette personne détenue dans le quartier des femmes. Après avoir nié sa présence, les responsables de la prison ont organisé cet entretien. Elle a fait part à la mission des actes d’intimidation et des pressions exercées par les responsables du RPT sur elle depuis 1998. Aucune règle de procédure n’a été respectée au cours de son arrestation et de sa détention.

 

Dans la localité de Sokodé, la mission a recueilli des témoignages concordants  faisant état de cas d’arrestation et de détention de cinq militants de la coalition de l’opposition dite radicale. Les détenus sont  originaires de Tchawanda et de Kolina.  Dans la liste des personnes arrêtées,  transmise à la mission, figure les noms de Messieurs Djobo Gbèle (Kolina), Djobo Foudou (Kolina), Ouro- Gnaou Abdoulaye (Tchawanda), Moussilim (Tchawanda) et  Rafifou. Ces personnes auraient été agressées et arrêtées deux semaines après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle. Ensuite, elles auraient  été emprisonnées à Kara car  la prison de Sokodé n’est pas actuellement fonctionnelle.  Messieurs Djobo Gbèle et Djobo Foudou auraient été libérés depuis un mois. Les trois autres militants seraient encore  en détention. La Mission a saisi le Ministre de l’Intérieur afin de  recevoir des informations concernant  la situation et le statut de ces détenus.

 

4.1. 4.2                       Arrestation et détention des mineurs

Des cas d’arrestation de mineurs pendant les violences survenus du 26 au 28 avril 2005 ont été signalés à la Mission. Le 23 juin 2005, La Mission s’est rendue à la Brigade des mineurs pour recueillir des informations sur la situation des enfants qui auraient été arrêtés au cours des violences et des violations des droits de l’homme survenues au Togo du 5 février au 5 mai 2005. Cette visite s’est déroulée en présence de la Présidente du Tribunal pour enfants qui a souligné que treize (13) enfants avaient été arrêtés pendant cette période. Un seul enfant a été libéré. En visitant les locaux de la Brigade, la mission s’est entretenue avec quelques enfants arrêtés pendant des évènements. De nombreux enfants auraient  été interpellés pour des actes de vols, de viols, et de complicité de vol commis en avril 2005. Certains enfants ont reconnu avoir commis des vols. D’autres l’ont nié catégoriquement. Des enfants auraient été battus lors de leur détention à la gendarmerie. Certains ont été détenus de quatre (4) à huit (8) jours à la gendarmerie avant d’être transférés à la Prison de Lomé où ils seraient restés un mois ou plus longtemps dans le quartier des adultes. Ces treize (13) enfants ont été par la suite transférés à la Brigade des mineurs. Depuis leur détention et à la date la rencontre avec la Mission, ils n’ont pas eu accès au service d’un avocat. La brigade des mineurs aurait  signalé ces cas de détention à la Présidente du tribunal depuis le 13 juin 2005.  La Présidente a saisi le Parquet pour lui demander de disjoindre les dossiers des enfants de ceux des adultes et de toutes autres personnes ayant été inculpées pour des délits commis par ou avec les enfants. Cette action permettra à la Présidente du tribunal pour enfants d’instruire le dossier de chaque enfant dans les meilleurs délais.

 

La Mission conclut donc à la réalité du mauvais traitement des enfants en détention qui sont souvent détenus avec les adultes, du long délai pour instruire leur dossier, du non respect des règles de garde à vue et de la non application systématique du droit à la défense. Les adultes et les enfants interpellés ont rarement eu accès à un avocat. La mission note à cet égard la négligence, le laxisme  et la lenteur de la brigade des enfants et de la Présidente du tribunal des enfants dans le traitement des dossiers des enfants.

 

4.1.4.3                        Détention arbitraire et disparition forcée

Des cas de disparitions forcées et de détentions illégales ont été signalés à la Mission par de nombreux témoins et des organisations non gouvernementales à Lomé, dans la Préfecture de l’Ogou et principalement à Atakpamé. Ces cas concerneraient notamment plusieurs jeunes qui auraient été arrêtés à Atakpame par des militaires au cours d’affrontement et de rafles du 27 avril 2005. Les forces de l’ordre les auraient emmenés dans des centres de détentions non officiels. Plusieurs centres de détentions non officiels auraient été établis dans la préfecture de l’Ogou notamment à Agbonou. Certains de ces centres clandestins seraient placés sous la surveillance de militants et des milices du RPT. Des témoins ont indiqué à la mission des lieux de détention où des personnes ont été conduites et parfois exécutées. La mission n’a pas pu vérifier ces allégations à cause de l’absence de précisions sur ces lieux et également  pour ne pas mettre en danger la vie de certains témoins.. Depuis ces rafles et ces affrontements, les familles restent sans nouvelles de leur proches  et amis disparus. La Mission estime qu’il est de l’intérêt et du devoir du gouvernement de faire toute la lumière sur ces allégations de détentions illégales et de disparitions forcées. Des opérations de vérification pourraient être effectuées par la  commission nationale spéciale d’enquête indépendante

Des informations concordantes font état de la poursuite des arrestations à Lomé et sur l’ensemble du territoire, jusqu’à la date de départ de la Mission.

4.1.5               Allégations de violences sexuelles

La Mission a reçu des informations relatives à des actes  de violences sexuelles qui auraient été commises par des militaires et des membres de l’opposition. Selon plusieurs témoins interrogés des viols systématiques auraient été commis par des groupes de civils armés et des personnes vêtus de bottines militaires. Certains auteurs des viols seraient des militaires déguisés en civils. Les victimes auraient été systématiquement violées en présence de leurs enfants ou de leur mari. A Atakpamé, le Préfet a confirmé que les gendarmes ont enregistrés cinq (5) cas de viols de femmes au cours des évènements qui ont suivi les violences du 26 avril 2005.

 

D’autres allégations laissent entendre que les militaires auraient flagellé le sexe de certains hommes au cours des arrestations. Selon des témoins, des militaires venus du nord pour soutenir les milices et les militants du RPT auraient violé de nombreuses femmes dont des personnes âgées dans les villages situés dans la Préfecture de l’Ogou. De nombreux témoins ont affirmé que le nombre des viols et d’autres violences sexuelles est important. Les victimes auraient peur et honte de dire qu’elles ont été sexuellement agressées. La Mission a dispose des témoignages de plusieurs cas individuels de violences sexuelles.

 

4.1. 6              Liberté de réunion et liberté de participer à la vie publique

Le régime des manifestations au Togo repose sur la déclaration préalable qui permet directement l’organisation de la manifestation sauf si l’autorité publique allègue des craintes d’atteintes à l’ordre public et à la sécurité. Le 7 février 2005, le Gouvernement a interdit par décret toutes manifestations publiques pendant deux mois en vue d’observer dans la sérénité le deuil national à l’occasion du décès du Président Gnassingbé Eyadema. Des partis politiques de l’opposition notamment dite radicale, des organisations de la société civile et des organisations de défense des droits de l’homme, dans le contexte de la contestation des conditions de succession du défunt Président ont demandé avec insistance  non seulement le  retour à la légalité constitutionnelle mais également le respect du droit à manifester. Des journées villes mortes et des manifestations pacifiques ont été organisées. 

 

La manifestation du 12 février 2005 aurait  fait près de cinq morts par balles. Le gouvernement a confirmé qu’il y aurait eu des morts et des blessés même dans les rangs des forces de sécurité.

 

Le 27 février 2005, un collectif de femmes de la société civile togolaise proche de l’opposition a organisée une grande marche pacifique à Lomé pour réclamer la démission de Monsieur Faure Gnassingbé et la gestion de la vacance de pouvoir par le Président de l’Assembleé nationale, conformément à la constitution. Selon les témoignages concordants, les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes dans un premier temps afin de disperser les manifestants. Pris de panique ces derniers ont fui dans toutes les directions. Certains témoins ont déclaré avoir été victimes de mauvais traitements infligés par les militaires. Ces derniers auraient poursuivi les manifestants jusqu’au quartier de Bè où les jeunes ont réagi en jetant des pierres sur les policiers et en érigeant des barricades. Les forces de l’ordre auraient alors tiré des balles réelles sur les manifestants. Face au nombre important de morts et de blessés, le gouvernement a mis fin à l’interdiction de manifester. La levée de l’interdiction de manifester aurait créé des tensions au sein de la hiérarchie militaire et la hiérarchie politique. La hiérarchie militaire aurait été défavorable à la levée de l’interdiction de manifester. Selon les informations crédibles communiquées à la Mission  certains hauts responsables militaires auraient cherché par tous les moyens à maintenir l’interdiction des manifestations en invoquant des informations sur des menaces à l’ordre public sans  les communiquer au Gouvernement qui aurait estimé qu’il aurait été plus facile de gérer les manifestations et de protéger les manifestants lorsque les manifestations étaient autorisées. Depuis la levée de l’interdiction de manifester, le gouvernement a organisé des réunions en associant régulièrement les représentants des syndicats, des partis politiques et des organisations non gouvernementales pour mieux encadrer les manifestations, organiser les trajets et éviter de nouveaux incidents. Les manifestations et tous autres regroupements ont été par la suite mieux organisés. La situation s’est détériorée dans la période du 25 au 28 avril 2005 dans le contexte de la contestation du résultat des élections. Des militants et sympathisants de l’opposition ont exprimé cette contestation par une grande violence dont en été notamment victimes de nombreux étrangers ainsi que des militants du parti au pouvoir. Les forces de l’ordre ainsi que des militants du RPT ont déclenché en réponse une violence extrême qui a abouti à des destructions massives de biens et de propriétés, à de nombreux décès et blessés dont ont été victimes des militants de l’opposition et des membres de la société civile.

 

La mission a reçu de nombreux témoignages et des informations faisant état de fraudes massives tout au long du processus électoral notamment : listes électorales incomplètes, cartes d’électeurs insuffisantes ainsi que bourrages, usurpation et vol des urnes.

 

La mission a été informée de l’action de la CEDEAO. En effet cette organisation sous-régionale a permis par sa médiation, le retour à l’ordre constitutionnel après le coup de force du 5 février 2005. Dans un contexte de radicalisation de la crise et de montée de la violence, elle a contribué de son  mieux à la mise en place du processus électoral. Mais la Mission a également été informée de la contestation forte par l’opposition dite radicale et par des observateurs extérieurs, de l’évaluation positive des résultats des élections par le groupe d’observateurs de la CEDEAO.

 

La mission a noté avec inquiétude les craintes sur les menaces qui pèsent sur un certains nombre de responsables politiques de la coalition de l’opposition au niveau national et local. Dans toutes les localités visitées, la mission a reçu des informations et des témoignages concordant faisant état de départs massifs de certains dirigeants politiques de la coalition à la suite des violences électorales du 24 avril 2005. De nombreux dirigeants politiques ont trouvé refuge dans les pays voisins

 

4.1.7            Allégations de violations des droits à la liberté d’expression, d’opinion et d’information

Le respect du droit à la liberté d’expression, d’opinion et d’information est indispensable dans un contexte électoral. La liberté d’opinion notamment celle visant à exprimer une opinion politique est un droit absolu, ne pouvant être restreint ni entravé d’aucune manière. Les droits à la liberté d’expression et d’information doivent être également garanties et fermement protégés en période d’élections. Ces deux libertés peuvent toutefois être partiellement limitées pour des raisons de sécurité nationale ou toutes autres raisons prévues par la loi. La Constitution togolaise garantit la liberté d’opinion et d’expression. L’article 25 de la constitution stipule que «   l’exercice de ces droits et libertés se fait dans le respect des libertés d’autrui, de l’ordre public et des normes établies par la loi et les règlements. ». La liberté de presse est également reconnue et garantie par l’Etat et protégée par la loi. En vertu de l’article 26 de la constitution, « toute personne a la liberté d’exprimer et de diffuser par parole, écrit ou tous autres moyens, ses opinions ou les informations qu’elle détient, dans le respect des limites définies par la loi. La presse ne peut être assujettie à l’autorisation préalable, au cautionnement, à la censure ou à d’autres entraves. L’interdiction de diffusion de toutes publications ne peut être prononcée qu’en vertu d’une décision de justice ».

 

La mission a constaté que le respect du droit à la liberté d’expression, d’opinion et d’information s’est considérablement détérioré après la mort du chef de l’Etat togolais. Certains partis politiques de l’opposition et des médias indépendants ont rencontré des difficultés systématiques dans l’exercice de ces libertés.

 

L’accès équitable aux médias pour tous les candidats et les partis politiques constituent un élément important au cours du processus électoral. Des mesures doivent être mises en œuvre pour éviter des censures politiques et l’octroi d’avantage injuste à certains candidats et pour permettre l’égal accès aux médias pendant la campagne électorale. La Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) est l’autorité administrative indépendante chargée de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse et des autres moyens de communication de masse. Elle est compétente pour donner l’autorisation d’installation et d’exploitation des chaînes de télévision et de radiodiffusion privées. La HAAC a informée la Mission de son souci dans le cadre  de la campagne électorale de veiller notamment à l’accès équitable aux médias pour les candidats au niveau du temps, de l’espace attribués et de la diffusion  des informations véridiques. Dès le 9 mars 2005, cet organe avait demandé à certains médias privés et publics de cesser de diffuser ou de faire des campagnes déguisées en faveur de certains candidats avant l’ouverture de la campagne électorale. Des mesures préventives ont également été prises par la HAAC. Le 27 mars 2005, elle a diffusé un communiqué de presse dénonçant et condamnant les actes de violence et le comportement agressif et belliqueux de certains manifestants à l’égard des journalistes des médias publics au cours de la marche initiée par  les responsables des six partis politiques de l’opposition dite radicale. La HAAC a lancé un appel aux responsables des partis politiques les invitant à prendre des mesures afin d’éviter à l’avenir de tels comportements à l’égard des journalistes dans l’exercice de leur mission.

 

La Mission estime que malgré sa bonne volonté apparente, la HAAC a davantage joué un rôle de censeur que d’autorité régulatrice. La HAAC et la police ont souvent empiété sur les droits à la liberté d’information et d’expression. De nombreuses ingérences dans l’exercice de ces libertés ont été constatées. Les radios lumières, Nana FM, Kanal FM, Nostalgie, Carré Jeunes, la RTZ (radio télévision Zion) et TV7 ont été fermées par la HAAC. Ces décisions de fermeture ont été prises successivement par la HAAC entre le 7 et le 14 février 2005. Il leur aurait été reproché de ne pas avoir acquitté le paiement de leur redevance annuelle, et d’inciter à la désobéissance civile, à la haine et au tribalisme. Selon les informations communiquées à la mission, ces radios et télévisions auraient été en fait fermées pour avoir diffusé des déclarations des responsables politiques de l’opposition et organisé des débats politiques mettant l’accent sur les dimensions de la crise au Togo et la procédure à suivre  en cas de vacance de la Présidence de la République.

 

Les radios internationales ont été également victimes  d’abus de pouvoir ou d’empiètements sur leurs droits. Ainsi le 8 février 2005, des émetteurs de la Radio France International (RFI) ont notamment été coupés. La veille, le Ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement avait accusé RFI de diffuser des appels à la révolte.

 

Le 15 avril 2005, la HAAC a interdit aux radios privées de couvrir la campagne électorale. Cette décision aurait été prise par la HAAC dans un souci de garantir l’égal accès aux médias entre les candidats pour éviter toute discrimination basée sur la richesse. En dépit de cette interdiction, certaines stations de radios ont couvert la campagne électorale sans être sanctionnées. Il a été rapporté à la mission que des journalistes ont reçu des menaces et  fait l’objet d’actes d’intimidations soit directement par la HAAC ou de la part de  responsables du RPT. Certains responsables des médias auraient été convoqués par la HAAC qui leur aurait reproché d’être proche de l’opposition et d’avoir pris des positions politiques sur la campagne. Il a été demandé à certains responsables des médias de  licencier leur  animateurs qui ont été très critique à l’égard du  pouvoir. La HAAC a de même reconnu devant la Mission avoir interdit aux medias de donner la parole aux personnes victimes de violence d’une part « pour éviter la polarisation » et d’autre part parce que les victimes devaient s’adresser aux services de santé et non aux medias ..

           

Le 26 avril 2005, la HAAC a suspendu l’autorisation d’émettre et de diffuser pour une durée d’un (1) mois aux radios privées notamment Radio Maria Togo et Radio Nostalgie, pour avoir diffusé de fausses informations alarmantes susceptibles de troubler l’ordre public et la paix sociale notamment l’annonce sur leurs antennes d’un prétendu couvre-feu sur toute l’étendue du territoire, le 25 avril 2005. Des ordonnances ont été prises par la justice pour veiller à application des mises en demeures et sanctions décidées par la HAAC. Dans ce cadre, la police a été sollicitée pour apporter une assistance  aux huissiers chargés de l’exécution des réquisitions et des ordonnances.

 

La campagne électorale a été très houleuse et virulente dans les déclarations et discours politiques. Cela a eu un impact sur les actes de violence et de vandalisme et les violations des droits de l’homme commises dans le pays. Certains candidats et responsables de partis politiques ainsi que des médias n’ont pas toujours fait preuve de professionnalisme et de mesure  dans leurs discours. Ainsi, de nombreux discours et des informations diffusées ont été violents et acerbes avec une certaine connotation régionaliste, tribale et xénophobe. Ces propos ont souvent été relayés par les militants des partis politiques. A plusieurs reprises, des interlocuteurs ont souligné à la mission que les partis politiques mettaient peu l’accent sur leur programme et préféraient mobiliser leurs militants par la tension. Très peu de responsables politiques ont véhiculé des messages d’apaisement en direction du peuple togolais en général et tout particulièrement vers leurs militants. Certaines violences auraient pu être évitées si les responsables politiques avaient pu discipliner leurs militants.

 

Plusieurs personnes ont rapporté à la Mission que les communications téléphoniques tant les réseaux de téléphones fixes, les liaisons Internet que les réseaux de téléphones portables ont été coupés au Togo, dès le 24 avril, jour du scrutin juste avant le début du dépouillement des votes. Plusieurs coupures ont eu lieu également dans la semaine des proclamations des résultats de l’élection. Ces opérations ont eu des incidences préjudiciables sur les médias dans l’exercice de leurs missions, la transmission d’information pour le décompte des votes et l’information des citoyens sur le processus électoral.

 

4.1. 8              Atteintes aux biens privés et publics

De nombreuses atteintes aux biens se sont produites massivement sur l’ensemble du territoire togolais, le jour de la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle par la CENI. Selon les témoignages reçus, des jeunes et des militants de l’opposition mécontents de l’annonce de la victoire du candidat du RPT, auraient saccagés et pillés des domiciles et des commerces appartenant aux communautés étrangères, aux militants et aux responsables politiques du RPT. Les biens de plusieurs représentations  diplomatiques ont aussi été pillées et saccagés.

 

La Mission a été informée que des éléments des  la gendarmerie et des FAT ont apporté un important soutien aux sympathisants et aux militants du RPT dans la destruction de nombreux biens et propriétés privées appartenant à des militants de l’opposition. Des informations précises ont été fournies à la Mission à cet égard sur le rôle particulièrement néfastes notamment à Atakpamé de groupes composés de militants du RPT et de jeunes armés transportés de la région du nord en liaison avec des éléments des bérets rouges.

 

La Mission La Mission dispose également d’information mettant en cause des groupes de personnes qui  auraient profité de cette situation de troubles pour régler leurs comptes personnels avec des personnes proches du pouvoir.

 

4.1.8.1                        Atteintes aux biens publics

L’article 46 de la constitution togolaise stipule que « les biens publics sont inviolables. Toute personne ou tout agent public doit les respecter scrupuleusement et les protéger. Tout acte de sabotage, de vandalisme, de détournement de biens publics, de corruption, de dilapidation est réprimé dans les conditions prévues par la loi ». De nombreuses atteintes aux biens publics auraient  été perpétrées par des militants de l’opposition. Selon les informations communiquées par la Police nationale, des édifices publics ont été ainsi envahi, saccagés et pillés notamment : à Lomé, la  Mairie du III arrondissement, le centre médico social Libano-Togolais,  à Nyékonapkoé, le service des impôts, la direction régionale de la togolaise des eaux et la Direction Générale de l’Observatoire de la Sécurité Alimentaire (OSAT), le bureau de la sous Préfecture d’Akébou, dans la Préfecture de Tohoun, la résidence du Préfet, à Aného le commissariat de police et le Bureau du Maire.

 

4.1.8.2                        Atteintes aux biens privés

De nombreux biens appartenant aux personnes privées ont été détruits. Des commerces appartenant aux ressortissants étrangers supposés être des sympathisants du pouvoir auraient été vandalisés et incendiés. C’est le cas  Des modestes commerçants togolais n’ont pas été épargnés. Plusieurs domiciles et résidences secondaires des membres du gouvernement auraient été saccagés et détruits. La mission a reçu plusieurs listes de biens publics et privés remises par la Police nationale, les témoins, les victimes, les organisations non gouvernementales et les partis politiques. Mais tant les informations reçues par la Mission que la visite de plusieurs localités à l’intérieur du pays attestent des destructions massives de biens et de propriétés privés par les forces de l’ordre, en coordination avec des militants du RPT. Les destructions de biens, délibérées ou par représailles ont eu lieu sur l’ensemble du territoire notamment à Lomé, Atakpamé et Sokodé.

 

4.1.8.3                        Atteintes aux biens des représentations diplomatiques

Le 26 avril 2005, l’Ambassade de Chine a été envahie par des manifestants  qui ont volé certains biens et cassé d’autres. Dans la nuit du 28 avril 2005, l’Institut Goethe, centre culturel allemand a été pillé et brûlé. Cet acte de vandalisme aurait été perpétré en représailles contre l’Ambassade d’Allemagne qui avait donné l’asile le 21 avril 2005 à l’ancien Ministre de l’Intérieur togolais.

 

 

4.1.8-4                       Cas de la localité de Sokodé et de ses environs

La mission a reçu des informations sur les actes de vandalisme commises dans la localité de Sokodé et ses environs. De nombreux biens appartenant aux habitants auraient été détruits le 26 avril 2005, jour de la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle par la CENI. Selon les informations communiquées,  les premiers actes de vandalismes auraient été perpétrés par des  jeunes de l’opposition qui ont manifesté leur mécontentement en allant saccager trois maisons et des commerces  appartenant  aux militants du RPT, à Sokodé. Ce groupe de jeunes aurait  également tenté de détruire la résidence du Ministre de l’intérieur par intérim.

 

En riposte à toutes ces actions, les militants du RPT auraient détruit (3) trois maisons et (8) huit commerces appartenant aux militants de la coalition de l’opposition. Pendant cette période, des militants de la coalition auraient également détruit un ancien local du RPT, des voitures, des motos et incendié des maisons et des commerces des militants du RPT. Ils auraient aussi  dérobé d’importantes sommes d’argents ainsi que des téléphones portables.

 

La Mission a reçu plusieurs témoignages mettant l’accent sur la présence des bérets rouges pendant cette période  dans la localité de Sokodé. Ils auraient saccagé et  brûlé plusieurs maisons et voitures des militants de la coalition. Par ailleurs il a été rapporté à la Mission que des gendarmes appuyés par le chef de la milice du RPT auraient incendié le  moulin d’un sympathisant de la coalition. Pendant sa visite dans la localité de Sokodé, la mission s’est également rendue dans plusieurs quartiers notamment à Tchawanda et à Didaure  pour constater l’ampleur des dégâts causés. A Tchawanda, elle a pu constater les actes de vandalisme commis respectivement par les militants des candidats  de la coalition de l’opposition et de la mouvance présidentielle. A Didaure, la mission  a  visité l’ancien local du RPT saccagé dans la journée du 26 avril. Elle a visité également des maisons des militants de l’opposition qui auraient été incendiées par les forces de l’ordre.

 

 

4.1. 9            Aperçu des violences et des allégations flagrantes des violations des droits de l’homme dans la Préfecture de l’Ogou et particulièrement à Atakpamé

Selon les informations recueillies par la mission, des tueries et d’autres formes d'atrocités se seraient produites à Atakpamé et ses environs depuis la proclamation provisoire des résultats de l’élection présidentielle d’avril 2005. Compte tenu de ces graves allégations, il est important de donner un éclairage sur les évènements survenus dans cette localité et ses environs.

 

Les autorités locales, notamment le Préfet ont déclaré avoir essayé de prévenir les violences. Comme dans les autres localités, la tension s’est traduite au départ par de nombreux cas de violences verbales du 28 mars au 22 avril 2005. Toutefois, à Atakpamé, la tension a atteint une telle gravité que le Premier Ministre ainsi que d'autres ministres se sont rendus dans la ville pour apaiser la tension. Préoccupé par cette situation, le  Préfet d’ Ogou a convoqué à quatre reprises les principaux responsables des formations politiques pour prévenir et éviter les violences tout au long du processus électoral. A l’issue des rencontres, un protocole d’accord a même été signé par toutes les parties. Des appels au calme ont été diffusés à la radio. Malgré ces actions préventives, la campagne électorale a atteint un degré de violence jamais enregistré dans la région d'Atakpamé et dans tout le pays. Les premiers actes de violence auraient été commis par les sympathisants de l’opposition en raison de nombreuses fraudes attribuées aux  partisans du RPT, pendant ladite campagne se traduisant au départ par la découverte d'urnes pré-remplies et la distribution de cartes à des personnes appartenant aux communautés étrangères.

 

La Mission a reçu des informations précises faisant état de nombreuses violations des droits de l’homme caractérisées notamment par des tueries, des rafles, des violences sexuelles, des actes de saccage et des destructions de biens et des incendies de nombreux villages, ainsi que des allégations d’existence de charniers. Les violences se sont multipliées dès le 24 avril 2005, jour du scrutin avec de nombreux affrontements dans les quartiers d’Atakpamé. Des jeunes de l’opposition ont mené plusieurs actions violentes à la suite de la découverte de nouvelles voitures contenant des urnes pré-remplies de bulletins de votes. Ces urnes interceptées ont été brûlées par les jeunes. La FOSEP a dû intervenir dans plusieurs bureaux de vote pour apaiser la situation. Un groupe de sympathisants de l’opposition aurait tenté de détruire la maison de l’adjoint au Maire en raison de son appartenance au parti RPT. L’intervention de la FOSEP a permis de disperser ce groupe. Dans la nuit du 24 au 25 avril 2005, le groupe serait revenu sur les lieux pour détruire complètement la maison de l’adjoint au Maire. Toujours à Atakpamé, les voitures de deux ministres avaient été brûlées devant le commissariat de police. De nombreux biens appartenant à des particuliers ont été pillés et détruits par les militants de l’opposition, dans la journée du 24 avril, notamment un hôtel (le Relais des plateaux) et une radio appartenant au Major Kouloum, ancien gendarme à la retraite proche du RTP. Dans le village de Ayale, la FOSEP est intervenue pour mettre fin à une bagarre entre un agent du Bureau de vote et un groupe de jeunes. Quatre agents de la FOSEP ont été séquestrés par ce groupe. Grâce à la médiation du Préfet, ils ont pu être libérés. Dans la soirée, des barricades ont été mises en place dans certains faubourgs par des jeunes de l’opposition. Des véhicules qui ramenaient les membres du bureau de vote et les agents de la FOSEP ont été pris à partie par des partisans de la coalition. Le Président du Bureau de vote a été brûlé vif dans sa voiture avec les urnes. Des jeunes auraient aussi intercepté un véhicule contenant des armes dont des flèches, des pilons de mortiers, des coupes -coupes et des machettes. La voiture a été brûlée avec son chauffeur. Les autres occupants de la voiture se sont enfuis mais ils ont été aussitôt rattrapés et tués par le groupe de jeunes de la coalition. A l’issue de cet incident, des barricades auraient été placées au niveau des routes par des jeunes de l’opposition en vue d’intercepter le Major Kouloum soupçonné d’être l’instigateur des fraudes massives et le meneur des milices.

 

Le 25 avril 2005, des jeunes de l’opposition ont aussi essayé de brûler la Préfecture. Les violences se sont accrues le 26 avril 2005, jour de l’annonce provisoire des résultats de l’élection présidentielle donnant la victoire au candidat du RPT. Plusieurs maisons appartenant aux responsables et aux militants du RPT auraient été détruites par les jeunes de la coalition pour montrer leur mécontentement. Vers 14h30, un groupe de jeunes du RPT envoyé par le Major Kouloum serait allé affronter les jeunes de l’opposition. Selon les témoignages recueillis, le Major Kouloum aurait également fait venir à Atakpamé des renforts armés composés de jeunes d’autres régions notamment du nord pour apporter un soutien aux militants du RPT. Il semblerait que par mégarde, les renforts auraient tirés sur leurs propres partisans. En se rendant compte de cette méprise, ce groupe d’appui du RPT aurait commencé à tirer de manière aveugle sur la population et les habitations. D’autres informations communiquées à la mission corroborent l’idée que les renforts armés étaient constitués d’éléments provenant d’autres régions ou localités. Les éléments armés du RPT seraient entrés dans une maison et auraient tué le propriétaire croyant avoir identifié le responsable politique recherché qu’ils ne connaissaient pas. Conscient de cette nouvelle méprise, les éléments armés seraient retournés sur les lieux et auraient identifié la maison recherchée. Ils l’auraient définitivement saccagée et brûlée. Ensuite, ils se seraient dirigés dans d’autres quartiers notamment à Djama.

 

Il est actuellement difficile de chiffrer le nombre de personnes décédées ou blessées au cours de ces graves affrontements et tueries. Dans la période du 24 au 29 avril 2005, le Centre Hospitalier Régional (CHR) a enregistré 94 personnes blessées dont 11 par balles et les autres par des machettes, des haches ou au cours de bastonnades. Quatre personnes sont décédées à l’hôpital à la suite des coups et blessures reçues. Douze corps ont été apportés à la morgue du CHR. Toutes les dépouilles ont été identifiées, sauf une, et remises aux familles. En consultant le registre de la morgue, la mission a pu constater que le nombre de morts enregistrés était plus élevé. 18 corps ont été réellement enregistrés. Compte tenu des violents affrontements opposant les militants des différents partis et les allégations de tueries, ce nombre de personnes décédées et blessées semblent être en deçà de la réalité. En effet, toutes les victimes ne sont pas allées au CHU et tous les corps n’ont pas été transportés à la morgue de la ville. Des témoins ont indiqué des chiffres allant de 120 à 200 morts pour les affrontements et les tueries du 24 au 26 avril 2005. De nombreuses personnes tuées au cours de ces violences auraient été ensevelies notamment dans plusieurs charniers dissimulés dans la brousse.

 

De nombreux cas de violences sexuelles, d’arrestations et de déplacement de la population dans le Préfecture de l’Ogou ont été rapportés à la mission. Selon les autorités locales, cinq cas de viols ont été enregistrés par la gendarmerie et la police. Les victimes sont des femmes qui auraient été systématiquement violées en présence de leur mari par les militants du RPT ou les partisans de l’opposition. D’après les autorités locales et les autres interlocuteurs rencontrés, le nombre de femmes violées pourraient être plus élevé

 

Il a aussi été rapporté à la mission que des militaires auraient procédé à de nombreuses arrestations de jeunes au niveau des quartiers et parfois dans des écoles. Les personnes seraient toujours détenues dans des lieux tenus secrets. Malgré le calme apparent qui prévaut à Atakpamé et ses environs, il a été souligné que des arrestations arbitraires se poursuivent contre les jeunes de la coalition. Tous les responsables des partis de l’opposition radicale ont quitté la ville pour se réfugier dans les pays voisins. De nombreuses personnes auraient  fui leur maison en raison des incidents violents. Près d’une cinquantaine de maisons auraient été saccagées et détruites. De nombreuses voitures, des bars et des commerces auraient  subi le même sort. Près de 2385 personnes déplacées ont été recensées. Pendant sa visite à Atakpamé, la Mission a pu s’entretenir également avec un groupe d’une cinquantaine de familles déplacées, proche du RPT, qui sont logées à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) avec leurs enfants. Ces familles reçoivent une assistance prodiguée par des associations religieuses, des organisations non gouvernementales et des institutions spécialisées onusiennes. La Mission a également été informée que certains déplacés seraient  retournés dans leurs villages d’origine. Dans les environs d’Atakpamé, des actes atroces auraient également été commis notamment dans le village d’Olesse. La Mission n’a pas pu s’y rendre, mais il lui a été rapporté que ce village de pêcheurs situé à 20 km au nord d’Atakpamé aurait été incendié par un groupe de l’opposition. Ce village abritait une grande communauté de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest notamment des nigériens, des maliens et des burkinabés installés au Togo depuis de nombreuses années. La partie du village dans laquelle étaient installées les communautés mentionnées ci-dessus aurait été saccagée et brûlée. Ces actions auraient été commises contre elles en raison des rumeurs rapportant qu’elles seraient allées voter dans un quartier d’Atakpamé. En revanche, la partie habitée par la communauté ghanéenne aurait été épargnée. Le village de Kosikope aurait été détruit par les milices du RPT.

 

Au niveau des responsabilités, les autorités locales ont souligné que les agents de la FOSEP et la police n’ont jamais fait usage de leurs armes. Des consignes précises leurs avaient été données allant dans ce sens. D’une manière générale, le nombre d’agents déployés était insuffisant pour ramener l’ordre et faire face aux exactions commises. En conclusion, les forces de l’ordre complètement débordées n’ont pas pu protéger la population. Selon certains témoignages, elles auraient parfois décidé délibérément de ne pas intervenir. De nombreux actes délictueux et criminels auraient même été commis soit en leur présence soit avec leur complicité passive ou active. Par ailleurs, la responsabilité des leaders politiques ne peut être écartée. Dans la période du 24 au 26 avril la plupart des violences auraient été perpétrées par des groupes de l’opposition. Ces derniers auraient fait usage principalement de machettes, de haches, de coupes -coupes, de barres de fer et de toutes armes cloûtées pour porter parfois des coups mortels et détruire des biens appartenant aux responsables du RPT ainsi qu’à leurs militants. Ainsi, les leaders de la coalition n’ont pas maîtriser la violence aveugle perpétrée par leurs militants. Ils n’ont pas lancé de messages d’apaisement. Du côté du RPT, les responsabilités sont également importantes. Selon les témoins, le siège du RPT à Atakpamé aurait servi de centre de détention et de torture. Les noms des dignitaires du RPT qui ont toujours semé la terreur dans la localité d’Atakpamé et ses environs ont été communiqués à la mission. La plupart des témoins rencontrés ont désigné notamment le Major Kouloum, comme l’auteur et le meneur des tueries commises dans la Préfecture d'Ogou. Il aurait aussi formé et armé les milices. Les informations recoupées par la Mission indiquent qu’à la suite de la destruction de son hôtel et de sa radio, le Major Kouloum aurait mené des actes de représailles se traduisant notamment par une violence aveugle et extrême contre les responsables, les partisans de l’opposition ainsi que d’autres personnes. De nombreux témoins ont souligné également que dans la nuit du 24 au 25 avril 2005, le Major aurait abattu six jeunes qui continuaient à détruire ses biens. Par ailleurs, il aurait orchestré toutes les opérations de riposte en réaction aux violences perpétrées par des militants et des sympathisants de l’opposition ainsi que la venue des renforts venant apporter un appui pour réprimer les militants de l’opposition.

 

4.2                  ECLAIRAGE GENERAL SUR LES RESPONSABILITES

 

4.2.1   La responsabilité des forces de sécurité et l’existence d’une stratégie de la répression

Les différentes rencontres avec les acteurs, les témoins, les observateurs et les victimes de la crise togolaise permettent d’affirmer que les forces de sécurité et les Forces Armées togolaises ont joué un rôle majeur dans les actes de violations des droits de l’homme. Les réactions des forces de sécurité étaient largement excessives par rapport aux manifestations et aux actions des militants de l’opposition. L’utilisation des unités d’élites de combat notamment les corps militaires des  Bérets rouges et des Bérets verts certains en provenance du nord pour maintenir l’ordre dans toutes les villes importantes du pays témoigne de la volonté de réprimer les manifestants après la proclamation des résultats de l’élection. Les autorités étaient au courant d’éventuelles actes de violence postérieures aux  élections. Tous les indices, notamment les déclarations et les mises en garde des dirigeants de l’opposition, annonçaient clairement que les militants de l’opposition allaient descendre dans les rues pour protester contre les résultats de l’élection du 24 avril 2005. Aucune mesure préventive sérieuse n’a été mise en œuvre par les autorités nationales.

 

Les normes internationales souscrites par le Togo lient l’Etat et aussi ses agents. Ainsi, les forces armées doivent respecter les droits de l’homme dans l’accomplissement de leurs missions de sécurité et de rétablissement de l’ordre. Le comportement de ces forces armées  posent le problème de la responsabilité du gouvernement devant les mécanismes de surveillance des traités internationaux ratifiés par le Togo dans le domaine des droits de l’homme. Ces forces togolaises ont violé les normes élémentaires relatives aux droits de l’homme applicables aux agents chargés du maintien de l’ordre et de la sécurité. Le recours à la force ne semble pas avoir été toujours nécessaire ou proportionnée dans toutes les situations.

 

Les autorités locales et nationales ainsi que la hiérarchie militaire ont fait valoir que les forces de sécurité et l’armée n’avaient pas  fait usage de leurs armes. Les armes utilisées auraient servi à disperser les manifestants par des tirs en l’air. Ces autorités ont également mentionné que les armes pouvaient être utilisées seulement dans les cas de légitime défense. Enfin, il a aussi été souligné que des règles et consignes d’engagements avaient été clairement posées et interdisaient notamment l’utilisation des armes à feu. En dépit de ces instructions les forces de l’ordre et l’armée ont souvent fait un usage excessif de leurs armes et ont apporté un appui aux militants du RPT. D’autres structures de l’Etat ont également  pratiqué des discriminations entre les citoyens togolais. Il a été rapporté à la mission que les sapeurs pompiers et les hôpitaux publics ont pratiqué des différences de traitement dans la prise en charge des blessés. Des militants de l’opposition ont été souvent lésés dans la prise en charge médicale. Ces militants avaient même peur de se rendre dans les centres hospitaliers publics pour ne pas s’exposer à la répression.

 

La mission a reçu des informations concordantes permettant de confirmer l’existence d’une réelle stratégie de répression. Des règles d’engagements interdisant l’utilisation des armes par les forces armées et la police avaient été posées. Mais ces règles ont été bafouées à plusieurs reprises. En recoupant, les informations, la Mission a notamment pris connaissance du fait qu’environ 2500 soldats habillés en civil et armés de coupes -coupes, machettes et gourdins cloutés auraient été regroupés en unités de 200 pour porter un appui aux militants du RPT et mener la répression au cours des manifestations. Les éléments des Bérets verts et rouges auraient fait partie de ces effectifs. Par ailleurs,  2500 coupes- coupes auraient été achetés à cet effet  par l’armée. Le deuxième dispositif mis en place aurait été constitué par la nomination d’un Officier chargé d’encadrer les soldats devant porter un appui aux militants et aux milices du RPT. Cet officier serait encore en service auprès du RPT et de sa milice. Ce dispositif a été mis en place au niveau national et régional. Au niveau régional, les troupes seraient sous le commandement du  Major Kouloum qui a sèmé la terreur dans la préfecture de l’ Ogou et ses environs. Des militaires seraient aussi venus du nord du pays pour apporter un appui aux militants et aux milices du RPT et  perpétrer des exactions à Lomé et d’autres localités. A l’issue de leurs exactions, ils auraient reçu 20.000 francs CFA chacun pour selon les traditions locales procéder à des cérémonies de purification afin d’éviter d’être poursuivis par les esprits de leurs victimes.

 

4.2.2   La responsabilité des partis politiques de la coalition de l’opposition et de  leurs militants

Les militants de l’opposition ont été à l’origine de plusieurs actions violentes qui délibérées ou provoquées ont entraîné des réactions des forces de l’ordre et des militants du RPT. Des militants de la coalition ont délibérément porté atteinte à la vie et aux biens des ressortissants des communautés étrangères vivant au Togo ainsi qu’à des militants et sympathisant du RPT. Leur responsabilité ne peut être écartée. Ces militants se sont à plusieurs occasions transformés en milices politiques désorganisées commettant des actes qui ont mis en danger la vie de personnes innocentes et saccagé les biens et les propriétés  de nombreux togolais.

 

Les informations obtenues par la Mission et notamment une analyse de la chronologie des événements montrent qu’une grande part de responsabilité incombe aux dirigeants de l’opposition dans les actes de violences et de violations des droits de l’homme commis par leurs militants. Leur absence de stratégie globale et coordonnée notamment au début de la crise a eu pour conséquence principale le manque d’encadrement de leurs militants que certains dirigeants ont littéralement lâché dans la rue par des manifestations et des actes désorganisés et imprévisibles qui leur ont coûté cher en pertes de vie humaine et en blessés.

 

 

4.2.3   La responsabilité des dirigeants politiques, des militants et des milices du Rassemblement du Peuple Togolais

Les militants du RPT avaient  organisé des manifestations pour soutenir M. Faure Gnassingbé qui avait été désigné Président par l’armée. La fréquence de ces manifestations avait augmenté dans les jours qui ont suivi la démission de leur leader. Des affrontements ont eu lieu  au cours de ces  manifestations. D’après les informations reçues, des éléments de forces de l’ordre et de l’armée ont  appuyé les actions de militants du RPT armés de machettes, de coupes -coupes et de gourdins cloutés au cours des affrontements avec les groupes de oppositions.

 

Il a été rapporté à plusieurs reprises à la Mission que les militants de l’opposition étaient au tout début de la crise, à l’annonce du décès du Président, plus déterminés et motivés que ceux du RPT. Cet avantage au bénéfice de l’opposition aurait  été temporaire. En effet, outre la reprise en main de ses militants par les responsables du RPT, des renforts provenant des forces de sécurité et de l’armée sont venus les soutenir. En effet, la Mission a reçu des informations précises sur l’existence d’une milice au sein du RPT placée sous le commandement d’un membre influent du pouvoir. Des témoins ont fait état de camions de la société SOTOCO, (société  d’Etat) qui transportaient des militants et des membres de la milice des régions du nord vers la capitale pour commettre des agressions vers la capitale et d’autres villes du centre. A Atakpamé, les milices du nord auraient joué un rôle important dans la répression des militants et des sympathisants de l’opposition. Tous les  responsables du RPT ont néanmoins  affirmé à la mission qu’aucune milice n’a été constituée au sein de leur parti.

 

 

 

5.                     DIMENSION ETHNIQUE ET XENOPHOBIQUE DE LA CRISE POLITIQUE TOGOLAISE

La crise Togolaise s’est également traduite par une exacerbation du facteur ethnique et xénophobe dans la vie politique et sociale de ce pays. Trois manifestations majeures en ont constitué le révélateur :

-           La tonalité nationaliste du discours d’hommes politiques et d’une partie de la presse en réaction aux prises de positions extérieures sur la crise politique du pays. Ainsi les déclarations d’«amitié» du Président Français au défunt Président et l’appui de la France au processus électoral ont été politiquement interprétés comme la  confirmation du soutien de la France au pouvoir Togolais. L’appui au processus électoral et l’avalisation des  résultats  de l’élection du 24 Avril 2005 par la CEDEAO ont fait l’objet de la même interprétation d’hostilité par une partie de la société togolaise. Ces positions ont été interprétées comme un soutien au « coup d’Etat constitutionnel » qui a porté Monsieur Faure Gnassingbé au pouvoir.

-           La volonté de conserver coûte que coûte la place centrale des kabyes  dans les structures du  pouvoir.

-           Le ciblage, dans la répression politique et dans la violence, de certaines communautés étrangères et de certains groupes ethniques internes tant par les forces de l’ordre que par des milices et des militants des partis politiques.Des communautés étrangères et certains groupes ethniques ciblés ont en conséquence, été victimes de démonstrations d’hostilité et d’actes de violence particulièrement graves. Les Français ont revécu le syndrome ivoirien: se traduisant par des accusations de néocolonialisme, des menaces verbales, et des atteintes aux biens. Les Allemands ont payé par le saccage et l’incendie de l’Institut Goethe non seulement le vieux contentieux colonial mais surtout l’asile accordée à l’ancien Ministre de l’intérieur Monsieur François Boko . Les Libanais ont été ciblés à la fois pour l’image qui leur est accolée de soutien traditionnel au régime du feu Général Eyadema et pour leur prospérité relative dans un environnement de pauvreté. Des Chinois et des Indiens ont fait l’objet d’actes d’hostilité et surtout de pillages et de saccages de biens notamment de nombreux commerces. Ces actes de vandalisme relèvent davantage de motivations plus économiques que politiques. Les communautés d’origine Ouest-africaine ont le plus souffert des violences notamment les ressortissants du Niger, du Mali et du Nigeria qui ont été victimes des exactions les plus graves. La communauté nigérienne s’est vue imputée par des militants de l’opposition la responsabilité de la validation des résultats provisoires  de l’élection du 24 Avril 2004  par la CEDEAO, présidée par M. Mamadou Tandja, Président du Niger. La communauté nigérienne a déploré la perte de quatre ressortissants tués au cours des  violences consécutives à élection présidentielle . Par ailleurs, des maisons appartenant aux ressortissants nigériens ont aussi été pillées et  saccagées. La communauté Malienne a sans doute payé le tribut le plus lourd aux violences à caractère xénophobe. Sept (7) ressortissants maliens vivant à Adakpamé  quartier populaire de Lomé ont été littéralement lynchés et brûlés vifs et leurs cendres enterrés dans une fosse commune. Un huitième a été tué dans un quartier proche. Le meurtre de ces maliens dans le contexte de l’annonce des résultats provisoires de l’élection présidentielle est attribué à des groupes proches de la mouvance de l’opposition

 

La dimension ethnique des violences dont le Togo a été le théâtre entre le 5 février et le 5 mai 2005 est également illustrée par certains développements convergents concernant des communautés ethniques Togolaises. Le ciblage ethnique d’abord dans le recours et le degré de la violence a directement visé certaines communautés, selon une identification politique attribuée sur la base de l’origine ethnique des dirigeants politiques. C’est sur cette base que des citoyens Togolais d’origine Kabiyé (ethnie du Président défunt) ou d’origine Ewé (ethnie de son principal opposant Gilchrist Olympio) ont fait l’objet de violences systématiques, respectivement de la part de militants de la coalition (le principal front de l’opposition) ou du RPT (le parti au pouvoir). Ensuite des membres de la communauté musulmane identifiés selon certains signes comme le voile pour les femmes ou le caftan pour les hommes ont été victimes d’agressions et de destructions de biens, parce que cette communauté est traditionnellement perçue comme favorable au Président Eyadema .

 

Mais le développement le plus significatif de l’instrumentalisation du facteur ethnique dans la violence politique est l’acheminement par camions de centaines de militants ou miliciens de la région nord vers les agglomérations du sud pour, selon des témoignages concordants, procéder, avec une violence aveugle, à des tueries et des destructions de maisons. Ces commandos civils, identifiés comme d’ethnies du nord notamment Kabiyé auraient clamé selon certains témoignages, au cours de leurs exactions contre les militants et sympathisants de l’opposition, « venir faire la guerre au sud et garder le pouvoir». La preuve non seulement de leur provenance extérieure et donc de leur méconnaissance des lieux envahis mais également de leur mission de liquidations physiques et de destructions aveugles a été illustrée, notamment à Atakpamé, par le fait que ces commandos ont de manière indiscriminé également tué de nombreux militants du parti au pouvoir, le RPT, et saccagé leurs biens et leurs maisons. Cette éthnicisation de la répression a entraîné en représailles le ciblage de personnes d’ethnie Kabyè par des militants de l’opposition.

 

Si les violences consécutives au décès du Président Eyadema se sont traduites par une exacerbation du facteur xénophobe  et ethnique, c’est parce que le processus de polarisation ethnique était d’ores et déjà en cours pendant la longue période du règne du Président Eyadema. En effet la pérennité du régime, environ une quarantaine d’années, est généralement expliquée par deux instruments politiques: une gestion ethnique et clanique du pouvoir et l’instauration d’une culture de violence et de terreur. L’origine ethnique, notamment Kabyè, et l’appartenance ou l’allégeance au clan Eyadema, plus que toute forme d’idéologie  politique ont constitué les critères fondamentaux de nomination aux postes les plus importants de l’appareil d’Etat et en particulier dans l’armée, l’appareil sécuritaire et les structures de gestion et de contrôle de l’économie. Bien que la société Togolaise, profondément multiethnique dans sa composition ne connaisse pas de tradition profonde de xénophobie, la crise actuelle a révélé que l’instrumentalisation politique progressive du facteur ethnique a insidieusement structuré les mentalités et les comportements et engendré une dynamique de polarisation ethnique et de xénophobie qui doit être pris en compte dans toute solution politique durable de la crise.

 

 

6.            IMPACTS DE LA CRISE TOGOLAISE AU NIVEAU INTERNE ET SOUS-REGIONAL

 

6.1                  Impacts internes de la crise

 

6.1.1               Augmentation du nombre des personnes déplacées internes

La gravité de la violence et des violations des droits de l’homme, notamment  le nombre des victimes et la destruction massive des biens et des propriétés ont entraîné la fuite de familles entières de leurs maisons et des villes et des localités où elles ne se sentent plus en sécurité. Les chiffres des personnes déplacées internes varient entre 15.000 et 16.000. Les personnes déplacées ont majoritairement fui les violences et les exactions commises à partir du 24 avril 2005. La mission a été aussi informée de quelques cas de départs dès le 5 février 2005. Ces personnes ont préféré partir par crainte du désordre ou du chaos que pourrait provoquer le décès du Président de la République.

 

Près de 4.000 personnes auraient quitté Lomé et sa périphérie. Dans la région de la Préfecture de l’Ogou, notamment à Atakpamé, de nombreuses personnes originaires du nord du pays sont parties vers Kara et d’autres localités du nord. Elles ne se  sentaient pas en sécurité dans les localités du sud du pays. Elles craignaient des représailles contres les Kabiyè et les militants du RPT. Ainsi, le clivage ethnique, les violences, la répression et les rumeurs ont été des éléments déclencheurs des déplacements de population.

 

Ces déplacements ont des incidences sur l’économie du pays qui est déjà en régression. Des champs cultivables ont été abandonnés. Les destructions et les pillages massifs des commerces ont ralenti les activités économiques.

 

 

6.1.2            Détérioration de la situation au niveau de la sécurité et allégations de circulation des armes et tous autres trafics

Depuis le 5 février 2005, la situation des droits de l’homme et la sécurité se sont dégradées au Togo. La mission a eu des informations faisant état d’une augmentation des actes de banditisme et des trafics internes et externes à partir du Togo vers les pays voisins. De nombreuses armes seraient actuellement en circulation.

 

Des fonctionnaires des Nations Unies, des membres du Corps diplomatique, des ressortissants des communautés étrangères ainsi que de nombreux togolais ont été victimes d’actes de banditisme notamment des vols à main armée dans les résidences, des vols de voitures et  des braquages. Des phases de sécurité ont été élevées par l’ONU dans certaines régions du pays. Cela a entraîné l’évacuation du personnel non essentiel des organisations internationales vers les pays voisins pendant une certaine période. Enfin, des exactions ont été perpétrées par des coupeurs de route sur les axes Sokodé,-Atakpame et Sokode-Bassar.

 

Le Togo un pays de transit entre le Ghana et le Nigeria est instrumentalisé dans plusieurs trafics notamment les trafics d’armes légères, de drogues, d’enfants, de véhicules volés et d’alcool frelaté. La mission a eu des informations sur l’existence d’un important trafic de drogue en provenance de la Colombie passant par Lomé.  En effet l’Afrique de l’Ouest  est en train de devenir une plaque tournante majeur du trafic international de drogue venant  notamment  de l’Amérique latine. La destination de ce trafic serait l’Europe.

 

En ce qui concerne la circulation des armes légères, la mission a été informée par la police des exactions commises par des militants et des partisans de l’opposition. Au cours de l’attaque du Commissariat d’Aného, des groupes de jeunes et des militants de l’opposition ont subtilisé des armes et des munitions. Dans d’autres localités, des militants de l’opposition auraient aussi volé du matériel de transmission de la Police. D’une manière générale, la mission a reçu des témoignages concordants sur des achats massifs de machettes par les militants et les jeunes des principales formations politiques du pouvoir comme de l’opposition. Enfin, des rumeurs circulent aussi sur la présence d’éléments  libériens vers la frontière du Burkina Faso et du Bénin. Des rumeurs de circulation des armes dans les camps de réfugiés ont aussi été rapportées à la mission. Tous ces éléments pourraient entraîner une déstabilisation de la sous- région et une instabilité profonde et durable au Togo. Face à la détermination des réfugiés de ne pas retourner au Togo tant que les conditions de sécurité et de changements politiques ne sont pas réunies, de nouvelles tensions risquent de surgir. Il est à craindre une radicalisation de la position des réfugiés, ainsi que des infiltrations et des manipulations politiques.

Le trafic des enfants est important au Togo. Il alimente souvent les pays de la sous- région notamment la Côte d’Ivoire où les enfants sont exploités dans les plantations. Ce trafic alimente également le marché interne. Les enfants des villages sont souvent exploités au sein des familles d’accueil dans les grandes localités où ils travaillent dans des conditions déplorables et souvent assimilables à une forme moderne d’esclavage. En outre ces enfants ne sont pas scolarisés. Pendant les incidents survenus au Togo, quarante six (46) enfants accompagnés de six (6) adultes ont été arrêtés à la frontière. Ces enfants devaient être acheminés vers la Côte d’Ivoire pour travailler dans les plantations.

 

 

6.2                  Impact sous - régional de la crise

De nombreux  togolais ont franchi les frontières pour trouver refuge au Ghana et au Bénin. Selon les informations communiquées, les départs commencés dès le 5février  sont devenus  massifs à partir du 24 avril, date du scrutin de l’élection présidentielle et le début de l’ouverture des frontières. En effet, les autorités togolaises ont décidé de fermer toutes les frontières pendant le déroulement du processus électoral. A partir du 24 avril, près de 2000 togolais franchissaient chaque jour les frontières du Togo pour trouver refuge au Bénin au Ghana.

 

 

6.2.1               Afflux des réfugiés au Ghana

La mission s’est rendue à la frontière entre le Togo et le Ghana pour recueillir des témoignages des réfugiés togolais. Le chiffre des réfugiés togolais au Ghana varie entre 15.000 et 16.000. Les réfugiés sont accueillis au sein des communautés villageoises situées à la frontière. Les réfugiés aident les communautés d’accueil dans l’exécution des travaux des champs. Les communautés ont mis à la disposition des réfugiés des emplacements. La coexistence entre les populations semble assez pacifique. En effet, les mêmes ethnies se retrouvent de part et d’autres des frontières ce qui est de nature à faciliter l’intégration des réfugiés.La mission a eu des entretiens avec le Chef traditionnel d’Afflao et des réfugiés. Le Chef traditionnel d’Afflao a demandé à la mission d’insister pour  que les chefs traditionnels soient associés aux tables rondes et à toutes prises de décisions relatives à la crise togolaise et la situation des réfugiés. Il a aussi mis l’accent sur la solidarité des communautés d’accueil en direction du peuple togolais et la nécessité de fournir rapidement de l’aide pour assister les réfugiés ainsi que les communautés d’accueil.

 

A Afflao, la communauté de réfugiés est majoritairement composée de femmes, d’enfants et de quelques jeunes. Ces personnes ont fui les exactions commises à Lomé notamment les fouilles systématiques des maisons, et les actes d’intimidation contre les militants et toutes personnes ayant été en relation avec l’opposition, dite radicale. Certains réfugiés seraient partis car leurs noms figuraient sur des listes des personnes à arrêter. Les réfugiés semblent assez désoeuvrés.

 

La Mission a été informée des efforts de mobilisation croissante des autorités ghanéennes. Les services gouvernementaux renforcent leur collaboration avec le HCR. Néanmoins, les réfugiés ont informé la mission qu’ils commencent à déceler des actes d’hostilité de la population. Cette dernière commencerait à considérer les réfugiés comme un poids économique et une nuisance sociale. Des incidents ont été rapportés à la mission. Le HCR s’emploie à apaiser les tensions en soutenant aussi les communauté d’accueil et en menant des actions de sensibilisation. Certains réfugiés souhaitent quitter le Ghana mais n’ont nullement l’intention de retourner au Togo en raison des informations ou des rumeurs faisant état de la poursuite d’arrestations nocturnes, de chasses à l’homme et de l’absence de changements majeurs au niveau politique.

 

 

6.2.2               Afflux des réfugiés au Bénin

Près de 22. 000 réfugiés togolais se trouvent sur le territoire du Bénin. La majorité des réfugiés sont localisés dans la Préfecture de Come. Au Bénin, les réfugiés sont regroupés dans des camps. Certains ont été accueillis au sein des familles notamment à Cotonou. La mission a visité plusieurs camps à la frontière notamment le camp de transit de Hillacondji, d’Agame et de Come.

 

La mission est impressionnée par l’accueil réservé aux réfugiés togolais par les autorités béninoises et surtout par l’appui apporté aux institutions spécialisées des Nations Unies et aux associations locales dans l’assistance aux réfugiés.

 

L’assistance aux réfugiés est prodiguée de matière exemplaire par les institutions onusiennes notamment le HCR et  l’Unicef, en coopération avec les organisations non gouvernementales béninoises et internationales notamment Caritas, la croix rouge béninoise, PLON bénin, et Terre des hommes. Ces organisations font un travail d’accueil et de prise en charge remarquable  au niveau de la santé, de l’éducation et de la réinsertion sociale. Les réfugiés sont associés à la gestion des camps à tous les niveaux. L’Unicef a réussi à organiser des cours pour les élèves et les étudiants des camps par les enseignants Togolais réfugiés  Les camps sont peuplés de nombreux jeunes hommes, des  femmes et des enfants non accompagnés.

 

La mission a eu aussi des entretiens à l’hôpital de Come avec des réfugiés qui ont été blessés par balles et par machettes au cours des évènements survenus au Togo. La mission a ainsi pu constater l’ampleur des blessures physiques ainsi que  des séquelles et des traumatismes psychologiques et moraux. Ces blessés reçoivent une  bonne prise en charge par l’hôpital de Come.

 

La plupart des réfugiés togolais présents au Bénin ont fui les violences survenues à Aného, à Atakpamé et à Lomé. La mission a notamment recueilli de nombreux témoignages de responsables politiques locaux, de militants et de sympathisants de l’opposition ainsi que de citoyens Togolais apolitiques. Des réfugiés ont été témoins et victimes  de certaines violences survenues à Aného notamment les destructions de la radio lumière et de l’hôtel de l’union et des exactions de certains hauts responsables militaires. Certains militants ont fui en raison des actes d’intimidation exercés contre eux. Des rumeurs font état l’existence de listes de personnes à réprimer circulant à Lomé et dans les autres localités. Vraies ou fausses ces rumeurs auraient incité plusieurs personnes à fuir.

 

Malgré la participation de certains responsables de l’opposition « modérée » et de l’opposition « radicale » au sein du gouvernement d’union nationale, les réfugiés déclarent ne pas être prêts à retourner au Togo. Le retour est conditionné à la réunion de réelles garanties de sécurité et des changements politiques démocratiques crédibles. En effet, les responsables politiques de l’opposition qui ont intégré le gouvernement sont contestés par les partisans et les militants de l’opposition. Les réfugiés sont profondément traumatisés par les rafles, les chasses à l’homme et surtout la violence et la répression aveugle perpétrées par les forces de l’ordre, l’armée et la milice du RPT.

 

 

6.3            Positions et actions du Gouvernement face aux déplacements des populations

Les autorités togolaises, tant les responsables des services de maintien de l’ordre et des  militaires que les responsables politiques, ont une lecture  politique de la question  des réfugiés togolais et des personnes déplacées. Ces autorités ont fait valoir auprès de la Mission à maintes reprises que les réfugiés ou les personnes déplacées ont fui en raison des infractions et des crimes qu’ils auraient commis et seraient en fait à la recherche d’avantages économiques et sociaux garantis dans les camps, ainsi que la possibilité d’obtenir des visas des pays occidentaux. Certains ministres ont aussi souligné que le HCR et d’autres institutions spécialisées des Nations Unies ont mené une politique d’incitation au départ et auraient augmenté les chiffres concernant les départs des togolais vers les pays voisins.

 

Au cours de ses entretiens avec certaines autorités togolaises, la Mission a régulièrement exprimé sa vive préoccupation face à ces discours réducteurs, signes non seulement de l’absence de prise de conscience de la profondeur et de la gravité de la question des réfugiés mais également de l’absence d’une volonté politique pour sa solution durable.

 

La position du gouvernement semble néanmoins évoluer progressivement. En effet, le gouvernement a mis en place une commission nationale d’enquête chargée entre autres d’établir les préjudices subis à la suite des violences et un Haut Commissariat aux Rapatriés et à l’Action humanitaire chargé d’œuvrer au retour des populations déplacées et des réfugies en étroite coordination et coopération avec les institutions et les organismes humanitaires et des droits de l’homme. Ainsi l’heure est à la concertation pour trouver des solutions rapides afin de faciliter le retour et la réinsertion des rapatriés et des personnes déplacées internes. La Mission a noté avec intérêt toutes ces initiatives prises par le gouvernement. Actuellement, la crise togolaise, fondamentalement politique, se traduit par une crise de défense et de protection des droits de l’homme et également par une crise humanitaire grave. Le Président Faure Gnassingbé a fait part à l’Envoyé spécial de sa volonté de trouver une solution durable à la question des réfugiés. Les partis de l’opposition rencontrés par la Mission ont également souligné l’importance et l’urgence du règlement de la question des réfugiés.

 

 

 

 

7.                     CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

 

7.1                  CONCLUSIONS

Le contexte politique de la crise Togolaise est marqué par trois facteurs qui donnent sens et signification aux événements qui se sont déroulés du 5 février (annonce du décès du Président Eyadema) au 5 mai 2005 (prise de fonctions du Président élu, M. Faure Gnassingbe):

 -          Le sentiment de surprise générale à l’annonce du décès du Président Eyadema  découlant de la perception tant dans la classe politique que dans la société de la nature inébranlable du régime après une quarantaine d’années de règne.

 

-           La situation générale d’impréparation à la succession ainsi ouverte illustrée par deux pulsions politiques contradictoires et porteuses d’une dynamique d’affrontement. La peur au sein du régime de la perte du pouvoir avec la disparition soudaine de son seul et unique pilier, son axis mundi, accentuée par la provocation d’un vide institutionnel en ce qui concerne la succession et dans le même esprit l’espoir irraisonné plus émotionnel que politique de la part de l’opposition et de la société togolaise notamment dans ses couches les plus dynamiques, les défenseurs des droits de l’homme, la jeunesse et les femmes, de la possibilité soudaine du changement et de l’instauration d’un régime démocratique.

 

-             L’improvisation et la précipitation du coté du pouvoir illustrées par les conditions de l’annonce par l’armée de la désignation de M. Faure Gnassingbé pour succéder à son père. Du côté de l’opposition, handicapée par des rivalités de personnalités, la seule stratégie s’est centrée sur une mobilisation de la rue à travers des manifestations improvisées des militants afin de forcer le changement et de s’opposer à la décision de l’armée.

En outre, les rencontres avec les divers interlocuteurs ont permis à la Mission de vérifier l’existence d’une réelle stratégie de la tension orchestrée par un groupe occulte au cœur du pouvoir: ce groupe, face à l’imprévu, semble s’être fixé comme horizon unique la conservation coûte que coûte du pouvoir.

 

En conséquence, la crise consécutive au décès du Président Eyadema, par l’extrême gravité de la violence politique qui l’a accompagnée, le bricolage constitutionnel qu’elle a suscité et l’instrumentalisation politique du facteur ethnique et xénophobe dont elle a été le cadre, se structure autour de trois enjeux majeurs relevant des droits de l’homme :

-           la prégnance dans l’ensemble de la société d’une culture de violence fondée, après plus de trente ans de régime non démocratique, sur le credo du recours à la violence comme méthode privilégiée de conservation ou de conquête du pouvoir et l’érosion consécutive du sentiment démocratique.

 

-           Le principe de l’impunité érigé par le pouvoir comme légitimation de la culture de violence et socle de la solidarité politique des membres de l’appareil répressif d’Etat.

 

-           La dynamique de polarisation ethnique et xénophobe en cours dans la société Togolaise découlant de la gestion ethnique et clanique durable du pouvoir qui a engendré dans la mentalité collective la tendance à une lecture ethnique des clivages politiques.

 

Ces tendances lourdes éclairent les faits principaux mis à jour par la Mission :

Le caractère massif et la gravité des actes et des manifestations des violations des droits de l’homme attestées par le nombre élevé des victimes (entre 400 et 500 morts et des milliers de blessés), l’ampleur des disparitions, l’utilisation à grande échelle de la torture et de traitements inhumains et dégradants, les destructions systématiques et organisées des biens et des propriétés.

 

La responsabilité principale de la violence politique et des violations des droits de l’homme de l’ensemble de l’appareil répressif et sécuritaire de l’Etat (Police, gendarmerie, forces armées tous corps confondus) en coordination avec des partisans organisés du pouvoir politique (notamment les militants et les groupes non institutionnels et/ou milices du RPT) pendant toute la période du 5 février au 5 mai et en particulier dans le contexte de l’élection présidentielle du 24 avril 2005.

 

Le rôle important des militants des partis d’opposition tant dans la montée de la tension politique dans la période du 5 février (annonce du décès du Président Eyadema) au 24 avril 2005 (élection présidentielle) que dans la commission d’actes graves de violence ayant entraîné de nombreuses victimes et des saccages et des destructions de biens et des propriétés de militants ou supposés tels du parti au pouvoir.

 

L’impasse politique totale avec l’échec de la constitution d’un gouvernement d’union nationale crédible incluant les principaux partis de l’opposition dite radicale.

 

 

 

 

 

 

7.2                  RECOMMANDATIONS

L’objectif fondamental de ces recommandations est de mettre en branle une dynamique qui par la promotion et le respect des droits de l’homme est de nature à faciliter, à préparer et à accompagner la nécessaire solution politique durable à la crise togolaise.

 

 

7.2.1               Observation préliminaire

Persistance d’une culture de violence et de violations des droits de l’homme :

La culture de la violence, fondement de la pérennité du pouvoir du Président Gnassingbé Eyadema constitue une dimension importante des violations des droits de l’homme sous son règne et un facteur explicatif de la montée de la violence après son décès. Les mécanismes opératoires de cette culture sont d’une part le silence sur la réalité des actes et les pratiques de terreur, de répression et d’autre part l’impunité totale pour leurs responsables, commanditaires et exécutants. La restauration et la promotion des droits de l’homme au Togo passe par l’éradication de ces mécanismes.

 

7.2.2               Recommandations principales

1.            Nécessité d’une réconciliation nationale fondée sur les principes de vérité et de justice et de réconciliation.

Le tryptique Verite-Justice-Reconciliation devrait constituer le fondement central de tout programme durable de règlement en profondeur de la crise Togolaise. La vérité est l’acte fondateur initial de la réconciliation d’un peuple profondément traumatisé et divisé par une longue dictature ainsi que par l’ampleur et la gravité de la violence politique de l’Etat. Le principe de vérité doit se traduire par la  mise en lumière complète et objective des actes de violations des droits de l’homme, de la nature et des circonstances de ces actes, des listes des victimes, des disparitions, de l’évaluation des biens et des propriétés détruits et de  la détermination des responsabilités. La mise en lumière de la vérité doit constituer un exercice démocratique de nature à favoriser le processus de règlement politique, par la participation à son émergence de tous les acteurs politiques et de la société civile du Togo. La Commission nationale d’enquête mise sur pied par le Président Faure Gnassingbe ne bénéficie pas à ce stade de la crédibilité nécessaire pour constituer l’instrument central de l’émergence de la vérité. En effet, la Commission a été créée avant la formation du Gouvernement d’Union Nationale. Elle ne comprend pas des représentants des organisations non gouvernementales des droits de l’homme apolitiques, crédibles et impartiales. J’encourage les autorités togolaises à réviser le mandat et la composition de la Commission sur la base du double principe de la plus large concertation et représentativité démocratiques et de l’indépendance de ses membres par rapport au pouvoir politique. Le principe de justice doit constituer une mesure emblématique d’éradication de l’impunité, source profonde de la perpétuation de la violation des droits de l’homme et terreau de la culture de violence. La punition des principaux responsables des violations massives des droits de l’homme constituerait  une mesure cathartique indispensable pour ancrer la foi démocratique dans l’esprit du peuple Togolais. Cette mesure suppose une justice crédible à même de mener des enquêtes indépendantes et impartiales respectueuses à la fois des droits de la défense et des droits des victimes à la vérité et à une réparation équitable. De même la mise en place d’un système permettant aux familles affectées de retrouver les disparus aiderait aussi la société togolaise à se réconcilier avec elle-même. L’ONU devrait en conséquence demander un accord sur ce principe et également à la fois un engagement pour la réorganisation de l’ensemble du système judiciaire ainsi que la supervision de cette réorganisation sur la base du principe d’indépendance de ce système et de sa conformité aux normes et aux principes des instruments internationaux ratifiés par le Togo.

 

Une mission de haut niveau (ONU/ CEDEAO) devrait être envisagée pour souligner la centralité de la question des droits de l’homme dans la crise ainsi que, la détermination et l’engagement de l’ONU à trouver des solutions de sortie de crise.  Cette visite permettra d’éclairer non seulement avec le Gouvernement mais également avec l’opposition, les mesures les plus urgentes à mettre en œuvre à la lumière du rapport et des autres mesures urgentes.

 

 

La crise togolaise est une crise politique avec d’importantes répercussions sur la protection de la population civile et la situation des droits de l’homme. La question des droits de l’homme est au cœur de la culture de violence et d’impunité du système politique Togolais depuis une quarantaine d’années. La promotion, le respect et le renforcement des droits de l’homme doivent donc constituer le socle de la construction de la démocratie au Togo. Dans cette optique, j’étudie les diverses options pour  renforcer notre capacité sur le terrain à œuvrer à un meilleur respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit au Togo en vue d’aider à la construction dans la durée d’une véritable culture des droits de l’homme.

 

7.2.3            Propositions de recommandations à l’attention du Gouvernement togolais

Le Gouvernement devrait faciliter et montrer sa détermination à s’engager dans un processus de réconciliation nationale par la réouverture de négociations avec toutes les composantes de l’opposition et de la société civile pour la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale représentatif de toutes les composantes politiques et de la société civile et crédible auprès de l’opinion. Un processus de dialogue est en cours, illustré par la rencontre récente à Rome sous l’égide de la communauté de Saint Egidio, du Président Faure Gnassingbé avec l’opposant Gil-Christ Olympio, suivi d’une autre rencontre à Lomé avec les autres leaders de l’opposition dite radicale.

 

Le principe de la réforme démocratique en profondeur de l’armée doit constituer un élément central des négociations politiques devant mener à la composition d’un gouvernement d’union nationale représentatif et crédible. Cette réforme sous la supervision des Nations Unies, devrait viser à transformer en profondeur l’armée togolaise en une armée républicaine et apolitique, représentative de la société togolaise dans sa diversité culturelle et ethnique et respectueuse des droits de l’homme. La promotion des droits de l’homme constitue une dimension centrale de cette réforme.

 

Toutes les milices et les autres groupes non institutionnels notamment les milices du RPT et celles de l’opposition doivent être impérativement démantelées par le nouveau  gouvernement d’union nationale.

 

Le principe de la révision de la Constitution et un accord sur les conditions et les voies et moyens de l’organisation des prochaines élections présidentielles, législatives et locales, devraient constituer une priorité du nouveau gouvernement d’union nationale sur la base de l’assistance technique de l’ONU en coopération avec l’Union Africaine et la CEDEAO. Cette mesure sera un signe fort en direction de la société civile togolaise et une étape majeure de l’instauration de la démocratie ainsi qu’un facteur favorable, par la mobilisation politique qu’elle implique, du retour des réfugiés.

 

Le Gouvernement est  encouragé à répondre favorablement aux demandes de visites formulées par les Rapporteurs spéciaux de la Commission des droits de l’homme, le groupe de travail sur les disparitions forcées et la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les défenseurs de droits de l’homme. Ces visites pourraient contribuer à la mise en œuvre du processus Vérite-Justice-Reconciliation.

 

Le Gouvernement devrait s’engager à fournir régulièrement des rapports aux organes créés en vertu des instruments internationaux des droits de l’homme. Par cette action, ces mécanismes pourront aider au mieux le Gouvernement dans la mise en œuvre au niveau national des normes relatives aux droits de l’homme.

 

Le Gouvernement devrait ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille.

 

 Le Gouvernement est invité à prendre en coopération étroite avec mon Bureau les dispositions légales, administratives et institutionnelles nécessaires tendant à la reconnaissance et au respect de l’indépendance et de la liberté d’action des organisations non gouvernementales, de défense des droits de l’homme.

 

La Mission a pris bonne note de la volonté du Gouvernement de faire un travail visant à évaluer les préjudices subis par l’Etat et toutes les autres victimes. Ces efforts devront être complétés par la mise en place d’un mécanisme institutionnel chargé de recenser, de réparer et d’indemniser équitablement les victimes dont les biens et les propriétés ont été détruits. Le Président du Togo a fait part à mon Envoyé spécial de sa volonté d’opérer les réformes nécessaires à l’instauration de la démocratie et à la promotion des droits de l’homme au Togo.

 

7.2.4            Propositions de recommandations à l’attention de l’Organisation des Nations Unies et de la Communauté internationale

Le Système des Nations Unies pourrait contribuer sur le plan technique au règlement politique de la crise Togolaise et à court terme au déblocage de l’impasse politique actuelle par une stratégie inter-institutionnelle de promotion d’un traitement démocratique et concerté (avec tous les partis politiques) des questions les plus urgentes à savoir: la promotion des droits de l’homme et le retour des réfugiés. Toutes initiatives et mesures devraient être prises en concertation avec l’Union Africaine et la CEDEAO, ainsi que l’Union Européenne dont la mise en œuvre des vingt deux (22) engagements constitue une étape importante du règlement durable de la crise Togolaise.

 

Les organes, les organisations et les institutions des Nations Unies sont invités dans le cadre de la promotion des droits de l’homme au Togo à accorder une assistance substantielle aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme et d’action humanitaire notamment par des moyens financiers, techniques et de formations adéquates.

 

La Communauté internationale devrait exhorter le gouvernement togolais à adopter une attitude constructive sur la question des populations déplacées et des réfugiés  notamment en amorçant aussi un dialogue avec l’opposition dite radicale et tous les autres acteurs sociaux nationaux sur la situation des personnes déplacées internes et les réfugiés. J’encourage la communauté internationale de faire preuve de solidarité en apportant d’importantes contributions aux plans d’urgence des institutions spécialisées onusiennes et de leurs partenaires en direction des réfugiés et des personnes déplacées internes. Par ailleurs, la Mission a recommandé que les institutions spécialisées de l’ONU ainsi que mon Bureau apportent un appui au Haut Commissariat aux Rapatriés et à l’Action humanitaire afin de faciliter le retour des réfugiés et des personnes déplacées dans les conditions conformes au respect des règles humanitaires, des principes directeurs relatifs aux personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et des droits de l’homme.

 

La Communauté internationale devrait apporter un appui financier et logistique aux efforts déployés par l’ONU, les autorités nationales et les organisations non gouvernementales pour venir en aide aux réfugiés, aux rapatriés ainsi qu’aux personnes déplacées internes.

 

La Mission a encouragé la communauté internationale à apporter un soutien financier à toute action de l’ONU visant au renforcement de la promotion et la protection des droits de l’homme et à l’instauration de la démocratie au Togo.

 


ANNEXES PUBLIQUES

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe 1.            Termes de références de la Mission

 

Annexe 2            Annonce du décès du Président Eyadema par le Premier ministre et les Forces Armées Togolaises

 

Annexe 3            Projet de présentation des faits du 5 février au 4 mai 2005 sur la situation avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005- Présenté , par S.E.M. Abass Bonfoh, Président de l’Assemblée nationale (ex-Président de la République par intérim

 

 

Commissariat des droits de l’Homme.


Article publié le 27/09/2005 Dernière mise à jour le 27/09/2005 à 16:25 TU