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Nations unies

Le Japon manifeste sa déception

Nobutaka Machimura, le ministre japonais des affaires étrangères à la tribune de l'Onu le 17 septembre dernier.
Nobutaka Machimura, le ministre japonais des affaires étrangères à la tribune de l'Onu le 17 septembre dernier.
Après avoir incarné la «diplomatie du chéquier», Tokyo s’impatiente et revendique toute sa place au sein de la communauté internationale. Aujourd’hui, le Japon laisse éclater sa déception de n’avoir pas obtenu la reconnaissance qu’il s’estimait en droit d’attendre en accédant au titre de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le Japon est impatient et désormais il le montre. Le géant économique, maintenu sous étroite tutelle par son puissant allié américain dans un statut de nain diplomatique, dépouillé après-guerre des principaux attributs de la souveraineté ordinaire, avait bien crû gagner enfin sa place dans la cour des grands. Déçu par Washington qui ne l’a pas soutenu, frustré de n’avoir pas été choisi comme nouveau membre permanent incontournable du Conseil de sécurité, Tokyo se laisse aller à manifester son aigreur à l’égard d’un allié et d’une organisation bien peu reconnaissants.

Pourtant le Japon de Junichiro Koizumi n’a pas ménagé sa peine pour manifester sa sympathie et sa solidarité à l’égard des Etats-Unis de George W. Bush, ami plus qu’allié. Malgré les restrictions inhérentes à son statut de d’ex vaincu de la Seconde guerre mondiale, en dépit de l’opposition d’une large fraction de l’opinion publique nippone, 500 soldats japonais ont été engagés au sein de la coalition formée par les Américains en Irak et des unités de la flotte japonaise soutiennent l’intervention américaine en Afghanistan.

«Contribution largement disproportionnée»

La pilule est d’autant plus amère à avaler que la contribution financière japonaise au fonctionnement des institutions internationales, et au budget de l’ONU en particulier, est très importante, «largement disproportionnée», déclarait jeudi au Times le ministre des Affaires étrangères Nobutaka Machimura qui soulignait que «la contribution aux Nations unies devrait être en proportion du PNB (produit national brut). Sur cette base, les Etats-Unis devraient payer environ 30% (du budget de l’ONU). Cependant leur contribution est de 23%, alors que le Japon contribue pour 19,5%», donc bien «plus que les 15,3% des quatre membres permanents autres que les Etats-Unis», souligne un diplomate japonais chargé des questions administratives relatives à l’ONU.

Depuis que le Japon a rejoint les Nations unies, en 1956, sa participation au budget de l’organisation a décuplé. Le calendrier de l’ONU prévoit la révision du montant des contributions des Etats membres en 2007. L’échec de la réforme pèsera certainement dans les décisions attendues. Sinon, il menace de prendre une décision unilatérale.

A l’évidence, du point de vue de Washington et d’un certain nombre d’autres, la stratégie de Tokyo était mauvaise. Pour parvenir à son objectif, les Japonais ont formé avec quelques autres un attelage dont la composition n’a pas suscité l’enthousiasme de la Maison Blanche, pourtant favorable au principe de l’entrée de son allié au sein du Conseil. Mais le G4, formé avec les candidats allemand, brésilien et indien a été vivement contesté par nombre de pays qui se sont empressés de formuler réserves et contre-propositions. «Leur décision a été prise tardivement et ça pose un gros problème», a indiqué, à propos de l’attitude américaine, le chef de la diplomatie japonaise au Times. En effet, plutôt que de soutenir son allié, Washington a préféré laisser pourrir l’ensemble du projet sous les assauts des adversaires de chacun des candidats, jusqu’à l’échéance fatale.

Renforcement des thèmes nationalistes

Au cours des soixante dernières années, le Japon n’a pu exercer ses talents diplomatiques que dans le registre limité de la générosité, autrement dit de la «diplomatie du chéquier», la seule à laquelle la communauté internationale l’a autorisé à participer. Aujourd’hui il s’insurge et veut qu’on lui reconnaisse toute sa place au sein du club des grandes puissances, et pas seulement celle de généreux contributeur.

Les déclarations d’amertume qui se succèdent à Tokyo montre que la déception est immense, à la mesure des attentes, et ouvre la voie à de nouveaux registres diplomatiques dans lesquels le multilatéralisme jusqu’alors affiché par l’archipel risque de dépérir au profit d’un renforcement des thèmes nationalistes. Nouvellement reconduite à la tête du gouvernement, l’équipe de Junichiro Koizumi envisage de retailler la constitution japonaise afin de permettre au pays de se doter d’une véritable armée. Les dernières déclarations du Premier ministre laisse entrevoir qu’il ira, cette année encore, se recueillir devant le mausolée qui abrite les dépouilles des héros japonais de la Seconde guerre mondiale, parmi lesquels on compte quelques criminels de guerre internationalement reconnu comme tel. Et le débat sur le révisionnisme dont font preuve les manuels d’histoire japonais n’est pas près de s’éteindre.


par Georges  Abou

Article publié le 29/09/2005 Dernière mise à jour le 29/09/2005 à 17:42 TU