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Sport

Une forêt de talents perdus en Guyane française

Lucie Decosse (au centre), la première championne du monde guyanaise, fêtée par les jeunes judokas du pays.(Photo: Frédéric Farine/RFI)
Lucie Decosse (au centre), la première championne du monde guyanaise, fêtée par les jeunes judokas du pays.
(Photo: Frédéric Farine/RFI)
Terre de contrastes, où s’envolent des fusées au-dessus de bidonvilles, la Guyane française a longtemps fourni chichement l’Hexagone en champions. Les temps changent. Le moins peuplé des quatre départements d’outre-mer compte quatre sportifs de niveau mondial: Metella la nageuse, Decosse la judoka, Robeiri, l’escrimeur et Malouda, le footballeur. Agés de 22 à 24 ans, ils masquent une forêt de difficultés. Faute d’encadrement et d’infrastructures, le sport guyanais est loin de ciseler toutes ses pépites.

De notre correspondant en Guyane

Après Jacobin Yoma, champion d’Europe de boxe en super-plumes en 1993, Bernard Lama, gardien remplaçant au Mondial victorieux de 1998 et Katia Benth, vice-championne du monde du relais 4 fois 100 mètres en 1999, la Guyane compte aujourd’hui quatre représentants dans le gotha sportif mondial. Une performance, pour un pays de 180 000 habitants qui compte 24 651 sportifs licenciés, scolaires compris ! Parmi eux, Florent Malouda, le footballeur de l’Olympique lyonnais, est devenu un pilier du groupe France qui jouera son avenir en Suisse ce soir dans la course au mondial 2006. Malia Metella la nageuse du club guyanais des Pacoussines (nom d’un petit poisson local) est, entre autres, vice-championne olympique du 50 mètres nage libre. Lucie Decosse a rapporté à la France son unique médaille d’or en judo, le mois dernier, aux championnats du monde organisés en Egypte. Enfin, l’épéiste Ulrich Robeiri entre en lice aux mondiaux d’escrime ce week-end à Leipzig, deux ans après sa médaille de bronze à Cuba dans cette compétition.

«Ces champions sont notre meilleur retour sur investissement. Loin devant n’importe quelle coûteuse campagne pour attirer le touriste !». L’aveu d’Antoine Karam, le président de la région Guyane, prête d’abord à sourire. «Personne ne vous croira !»: c’est le slogan, sujet à moqueries, d’une campagne de publicité lancée par sa collectivité fin 2001. Chiffrée à 4,6 millions d’euros sur trois ans, elle est censée promouvoir le tourisme vert. «La campagne n’a pas suffi car l’effort parallèle promis par les élus en terme d’équipement est resté lettre morte», note Bernard Guillaumant, professionnel et administrateur du comité du tourisme, satellite de la région. En tout cas, en terme d’image, la réussite de leurs sportifs ravit les Guyanais, qui avouent souffrir des image négatives: enfer vert, bagne et orpaillage illégal.

Premiers JO, première médaille

Flash back: 1er septembre 2004, les rues de Cayenne offrent un carnaval incongru pour la saison. Le roi «Vaval» est un petit poisson nommé «Malia» qui fend une foule mise en liesse par la médaille d’argent arrachée au 50 mètres nage libre d’Athènes, une victoire inespérée pour une première participation aux Jeux olympiques. Monté sur un char brésilien, «Quéquette», figure de la musique populaire locale lui a concocté une chanson en quelques jours. «A mon retour des JO, explique Malia, des gens voulaient m’embrasser dans la rue. C’est tout juste si certains ne me demandaient pas en mariage». Avant Athènes, jamais un sportif originaire de la Guyane n’avait même été sélectionné pour les JO. Dans la foulée, la première nageuse noire médaillée olympique a confirmé son accession au top niveau par un second titre de championne d’Europe sur 100 mètres, fin 2004, puis par une place de vice-championne du monde dans la même épreuve, au Canada en juillet 2005.

Nouveau triomphe le 9 septembre dernier, avec la judoka Lucie Decosse, championne d’Europe 2002. Elle s’est racheté de son-demi échec aux JO (5e) en offrant à la Guyane un premier titre mondial en sport individuel. Ebullition dans la famille maternelle de Lucie (son père est un capitaine de police originaire de l’Hexagone, sa mère, assistante sociale, est Guyanaise). Sa grand-mère maternelle 66 ans, chanteuse de folklore guyanais, a été fêter l’évènement en boîte, au Lido de Matoury. Et pour son retour au pays, vendredi 7 octobre, Lucie Decosse a reçu un accueil de rock-star, avec soirée au Palais omnisports de Guyane.
Un dernier larron aiguise ses lames: Ulrich Robeiri, pas encore 23 ans. Son parcours défie la logique de la discipline. Faute de club en Guyane, il a dû arrêter l’escrime à onze ans, deux ans durant. Cinq ans après, junior première année, il est champion de France contre des adversaires plus âgés, puis champion du monde junior, deux ans plus tard. «Dans les compétitions, je suis un peu diesel» explique Ulrich connu pour sa sérénité. «Mais plus l’épreuve avance meilleur je suis», ajoute-t-il. Après avoir remporté deux manches de Coupe du monde cette année, il vise l’or, en individuel ou par équipes, aux mondiaux de Leipzig.

Ni gymnases, ni stades, ni piscines

«Ces champions guyanais doivent leur réussite à leurs qualités propres et au fait d’être partis en France» souligne Hubert Contout, CTR à la ligue de football et dont le fils est professionnel au FC Metz. «la Guyane manque de gymnases, de stades de compétition et d’entraînement, les plus jeunes n’ont pas de championnat de foot et il n’y a pas d’hébergement pour loger les éléments du pôle espoir de basket. En outre, parmi les jeunes quittant la Guyane à 14 ans, beaucoup craquent…», explique-t-il. Pour ces raisons, Bernard Lama veut créer en Guyane un centre de footballeurs pour les 16-18 ans, à l’instar de celui qu’il a fondé au Sénégal, avec Patrick Vieira. «Il faut conserver les espoirs en Guyane dans le cocon familial, jusqu’à 18 ans, en les formant avec les meilleurs des Antilles», estime l’ex-gardien de l’équipe de France.

Selon Bernard Lama, en matière de sport, «la mixité de la population en Guyane, son métissage, laissent augurer d’un vivier supérieur à celui des Antilles. Il y a des Metella sur le Maroni qui échappent à la détection». Là bas, sur ce fleuve frontière du Surinam, aux villages sans voies terrestres conduisant à Cayenne, le sport en est resté à l’âge de pierre, sans stade ni piscine. Les municipalités guyanaises invoquent une pression migratoire et des écoles à construire en priorité. «Les mairies du fleuve n’embauchent pas d’éducateur, donc ceux qui pourraient remplir cette tâche partent travailler l’or», indique François Louis-Marie, chargé du haut niveau à la Jeunesse et aux Sports. De son côté, la ville de Cayenne (55 000 habitants) ne comptait que trois éducateurs sportifs la saison dernière. Enfin, la région a mis 10 ans à se relever d’un endettement record laissé en 1992 par l’ex-président Georges Othily, et chiffré à 120 millions d’euros par un audit.

Désormais, la collectivité propose des bourses à 35 sportifs. Elles vont de 1 800 euros annuels (pour la plupart) jusqu’à près de 8 000 euros pour les six meilleurs ambassadeurs de la Guyane, parmi lesquels Robeiri, Decosse et Metella. «Pour Ulrich, cela arrive après la bataille, car on a beaucoup bricolé mais c’est salvateur pour les nouveaux», explique son ancien maître d’armes à Cayenne Jean-David Poquet. La structuration se poursuit : le squash vient d’ouvrir un pôle espoir à Kourou. En 2005, dans cette discipline, aux championnats de France comme à l’Open du même nom, chez les demoiselles de moins de 13 ans, les deux finalistes étaient des Guyanaises.


par Frédéric  Farine

Article publié le 08/10/2005 Dernière mise à jour le 08/10/2005 à 15:22 TU