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Balkans

Menace islamiste en Macédoine

Lecture du Coran dans une mosquée de Tetovo.(Photo: AFP)
Lecture du Coran dans une mosquée de Tetovo.
(Photo: AFP)
Alors que les Albanais ne voient toujours pas venir les avancées promises par les accords de paix de 2001, un nouveau danger menace la Macédoine, la contagion de l’islam radical. Rompant avec la tradition de tolérance de l’islam balkanique, celui-ci se développe sur la base des frustrations de l’après-guerre.
De notre correspondant à Skopje

Gazi Baba est un des quartiers albanais les plus pauvres de la capitale macédonienne. Les maisons s’entassent les unes sur les autres à flanc de collines. Certaines sont presque en ruines, d’autres encore en construction. Les services publics sont totalement défaillants. «Ici, il n’y a rien et personne ne travaille», s’indigne le propriétaire d’un petit salon de thé. «Le jour, les jeunes se retrouvent dans la rue ou autour du marché. Puis ils rentrent chez eux et n’ont rien d’autre à faire que se taper la tête contre les murs».

Selon une récente enquête, le chômage touche 65 à 70% des jeunes de Macédoine. Il concerne particulièrement les zones urbaines défavorisées, comme Gazi Baba justement. Chaque jour, la mosquée Tutunsuz, perchée dans les hauteurs du quartier, attire à chaque prière quelques dizaines de jeunes Albanais présentant une allure encore nouvelle pour le pays: pantalons de jogging et barbes imposantes. L’imam de la mosquée, Hodja Musa, reconnaît qu’il n’a pas terminé ses études de théologie. Il assure qu’il a servi des mosquées «de villages», avant de prendre la direction de ce lieu de prière urbain, il y a un an. Pendant la discussion, certains jeunes prennent ostensiblement des photos du journaliste de passage, avec leur téléphone portable.

Selon Afrim Tahiri, secrétaire de l’Union des oulémas (théologiens) de Macédoine, la mosquée échappe à tout contrôle des autorités islamiques. En effet, la communauté islamique de Macédoine est en plein chaos. Depuis quelques années, une «coordination des imams mécontents de Skopje» dénonce le rôle du mufti de la ville, Zenun Berisha. Ils l’accusent de détournements de fonds, mais surtout d’avoir ouvert la porte aux courants extrémistes d’obédience wahhabite, alors que l’islam de Macédoine pratique habituellement le rite hanéfite qui prédomine dans l’ensemble des Balkans.

Des «modérés» molestés

Le 18 juin dernier, une réunion du Conseil de la communauté islamique devait essayer de résoudre cette crise. Alors que la réunion venait de commencer, un groupe d’hommes armés et masqués a pris d’assaut le siège de la Faculté de théologie islamique installé dans le village de Kondovo, aux abords de Skopje. Le reis ul-ulema, la plus autorité de l’islam de Macédoine, Hadji Emin Arifi, a été blessé par un tir de kalashnikov. Quelques jours plus tard, il a démissionné sans fournir la moindre explication. Au début du mois de juillet, six imams connus comme «modérés» ont été violemment molestés par des hommes armés qui leur reprochaient d’être de «mauvais musulmans» et des «espions des Macédoniens».

Depuis, privée de direction, la communauté demeure déchirée par les combats entre les différents clans. Ceux-ci se renvoient des accusations de malversations financières, touchant notamment à l’organisation du pèlerinage à La Mecque et à la gestion des vakuf, les biens pieux. Cependant, Muamer Veseli, porte-parole des «imams mécontents» estime que ces accusations cachent un affrontement idéologique. D’après lui, «des éléments intégristes essaient de prendre le contrôle de la communauté et de dénaturer l’islam balkanique traditionnellement tolérant».

La bataille déchire aussi les diasporas albanaises en Europe occidentale. Ainsi, de faux documents ont-ils été établis au nom de l’Association des musulmans albanais de Suisse, basée à Zürich, pour obtenir des visas pour des prédicateurs qui devaient se rendre dans la Confédération helvétique à l’occasion du ramadan. Dans ce contexte, Muamer Veseli ne craint pas de rappeler combien certains convertis balkaniques pourraient être précieux pour les réseaux terroristes transnationaux. «Je suis Européen, rien ne me distingue physiquement d’un Français ou d’un Italien», rappelle ce jeune imam, vêtu d’un jean et d’un polo à la mode. Il ajoute que «les Balkans ont résisté durant des années à la tentation de l’islam radical, en raison de la solidité de traditions spécifiques, héritées de l’Empire ottoman». Mais, conclut-il, «si cette digue saute, la région peut devenir une porte d’entrée privilégiée en Europe pour les réseaux terroristes».

Le samedi 24 septembre, une réunion de conciliation a eu lieu dans la ville de Struga, sous haute surveillance policière. Le Mouvement démocratique pour l’intégration (BDI), le parti politique formé par les anciens guérilleros albanais de l’UCK, maintenant au gouvernement, a en effet choisi de s’engager dans la résolution de la crise. Le vice-ministre de l’Intérieur, issu des rangs du BDI, et certains éléments des services secrets auraient directement organisé la réunion de Struga. L’identité des délégués était même contrôlée par des policiers en civils.

Deux à trois mille wahabites armés ?

L’autorité du BDI est défiée par des anciens combattants du conflit de 2001, comme Agim Krasniqi, le «caïd» du village de Kondovo où se trouvent les institutions de la communauté islamique. À l’automne 2004, il avait occupé le village avec une poignée d’hommes armés. Inculpé par la justice macédonienne, il a récemment été remis en liberté selon des conditions qui demeurent obscures. Les «imams mécontents» dénoncent cette immixtion du BDI dans les affaires de la communauté. «La Macédoine est une république laïque», souligne Afrim Tahiri, qui s’interroge sur l’attitude du BDI à l’égard «des extrémistes, pour des raisons politiciennes qui m’échappent», dit-il. Le lien entre le BDI et les milieux wahhabites passerait notamment par l’ancien commandant Mësusi de l’UCK, aujourd’hui député du BDI au Parlement de Macédoine sous son nom de Rafiz Haliti.

Le parti d’Ali Ahmeti essaie peut-être aussi de reprendre la main face à des éléments qui le dépassent. «Une alliance entre les anciens combattants déçus et les intégristes serait le scénario du pire», estime le secrétaire de l’Union des Oulémas. Lui-même assure qu’il existe déjà en Macédoine une organisation structurée regroupant
2 000 à 3 000 wahabites armés.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 09/10/2005 Dernière mise à jour le 09/10/2005 à 14:46 TU