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Afrique du sud

Expropriation du premier fermier blanc

Hannes Visser et sa femme.Photo : AFP
Hannes Visser et sa femme.
Photo : AFP
La commission chargée de la restitution des terres aux Noirs veut exproprier un fermier blanc : une première qui marque la volonté du gouvernement d’accélérer la réforme agraire. Depuis 1994, seulement 4 % des fermes ont été redistribuées. Galvanisés par l’exemple du Zimbabwe, les Noirs sud-africains se montrent de plus en plus impatients.

De notre correspondante en Afrique du Sud

Hannes Visser n’est pas la caricature du fermier Afrikaner raciste. Le premier Blanc «exproprié» ne rumine aucun sentiment de colère à l’égard de la famille noire qui devrait bientôt entrer en possession de sa ferme d’élevage de 500 hectares, son petit abattoir et sa maison proche de Lichtenburg, à 250 kilomètres à l’ouest de Johannesburg. «Tout défi peut avoir des aspects positifs, confie Visser, 47 ans. Mais je pense que mon expropriation n’est pas légitime, car cette famille noire a vendu sa ferme de son plein gré en 1942.»

En Afrique du sud,  les descendants des fermiers noirs, dépossédés par la force ou injustement indemnisés dans le cadre des lois discriminatoires adoptées depuis 1913, peuvent demander la restitution de leurs terres. L’Etat finance leur rachat, en négociant le prix avec le propriétaire : ce n’est qu’en cas d’échec – comme dans le cas de Visser, où les négociations traînaient depuis deux ans et demi - qu’une expropriation peut intervenir. Cette semaine, Visser a fait appel auprès de la ministre de la Terre, Thoko Didiza : si celle-ci confirme l’expropriation, il ira probablement en justice.

«Importer des experts du Zimbabwe»

Quelle que soit l’issue de cette affaire, le gouvernement, jusqu’à présent très réticent à recourir aux expropriations, semble avoir changé son fusil d’épaule. Il est vrai qu’au rythme actuel de la réforme agraire, il n’atteindra jamais son objectif, très ambitieux, de redistribuer 30 % des terres d’ici 2014. Jusqu’à présent, seulement 3,6  % des terres sont passées aux mains de 1,2  million de Noirs alors que 60 000 Blancs accaparent toujours 80 % des surfaces cultivables. Même si l’invasion violente de fermes au Zimbabwe depuis cinq ans n’a pas fait d’émules en Afrique du Sud, où le gouvernement a contré toute tentative d’occupation, la situation chez le voisin du nord ne laisse personne indifférent.

Le «Mouvement des sans terres» a ainsi multiplié les manifestations de protestation contre la lenteur des réformes. Le parti communiste sud-africain a aussi décidé d’occuper symboliquement des terres municipales. En juillet dernier, la majorité des quelque 4 000 participants au «Sommet sur la terre», convoqué par le gouvernement, a recommandé des expropriations. Nous devrions «importer des experts du Zimbabwe», a recommandé, sans rire, la vice-présidente Phumzile Mlambo-Ngcuka !

Seulement 1 % du budget national affecté à la redistribution

Ces déclarations ont suscité un tel tollé au sein de l’opposition que Thabo Mbeki est intervenu, le 27 octobre devant le Parlement, pour rectifier le tir : «Etudier la situation au Zimbabwe peut aussi vouloir dire que si les choses se sont mal passées là-bas, il n’y a pas de raison de répéter leurs erreurs». Le chef de l’Etat a aussi rappelé que la Constitution sud-africaine garantit qu’en cas d’expropriation, la victime doit être indemnisée de manière équitable. Lourie Bosman, le président d’Agri SA, qui représente 32 000 exploitants «commerciaux», ne se montre pas vraiment inquiet : «Il y a suffisamment de garanties dans la Constitution et le gouvernement n’a pas l’intention de la modifier car cela nuirait à son image internationale. De plus, il n’a pas les moyens de procéder à un mouvement massif d’expropriations».

Jusqu’à présent, seulement 1 % du budget national a été affecté à la redistribution. La réforme agraire est d’ailleurs loin d’être un succès : ainsi, la restitution de la majorité des 70 fermes des vallées fertiles du Limpopo redistribuées à des Noirs a tourné au désastre, faute d’encadrement technique et financier. Le gouvernement devrait déposer en novembre des propositions pour accélérer la redistribution des terres. Mais nul n’en doute : l’Afrique du sud n’est pas prête à suivre le contre-exemple du Zimbabwe.


par Valérie  Hirsch

Article publié le 02/11/2005 Dernière mise à jour le 02/11/2005 à 12:36 TU