France
Sarkozy provoque une nouvelle polémique
(Photo : AFP)
A peine Dominique de Villepin a-t-il annoncé sa décision d’autoriser le recours au couvre-feu pour calmer les émeutes de banlieue, voilà Nicolas Sarkozy qui veut expulser les fauteurs de troubles étrangers condamnés dans le cadre des violences de ces derniers jours. Sur fond d’émeutes urbaines, le chef du gouvernement et le ministre de l’Intérieur prennent la main à tour de rôle sur le front sécuritaire. Chacun à sa manière.
Dominique de Villepin a rapidement pris la direction des opérations anti-violences et l’a fait savoir aux Français. Il a choisi de jouer la carte de la fermeté, et donc de garder le cap fixé par Nicolas Sarkozy face aux émeutiers, mais il a pris soin de ne pas paraître suivre les impulsions données par son ministre de l’Intérieur. C’est pourquoi, il a annoncé, après concertation avec le chef de l’Etat, une décision forte et symbolique : le recours à la loi sur l’état d’urgence adoptée au moment de la guerre d’Algérie.
Dominique de Villepin a aussi montré à chacune de ses interventions sur la question des violences dans les banlieues, sa volonté de ne pas aller sur le terrain des déclarations chocs, monopolisé par Nicolas Sarkozy. En «choisissant» ses mots, il s’est placé au-dessus des critiques adressées à son ministre qui s’était vu reproché d’avoir utilisé les termes de «racailles» et de «voyous». Depuis deux semaines, le chef du gouvernement a tout fait pour ne pas céder un centimètre de son pouvoir décisionnaire mais imposer une image de rassembleur et de garant du retour au calme. Cela lui a rapporté le soutien des Français qui ont majoritairement approuvé sa décision d'autoriser les couvre-feux.
Chassez le naturel…
La solidarité gouvernementale étant la clef de la réponse aux violences, Nicolas Sarkozy a joué le jeu. Il s’est consacré à son rôle de terrain auprès des forces de l’ordre et a laissé le champ médiatique au Premier ministre. Mais chassez le naturel, il revient au galop et le ministre de l’Intérieur n’a pas tenu longtemps sans trouver un nouveau débat à lancer. Car on ne peut pas le soupçonner de ne pas avoir mesuré l’impact des déclarations qu’il a faites hier devant les députés. D’autant plus qu’il sait bien que toute parole venant de lui se rapportant de près ou de loin à un sujet aussi sensible que l’immigration est susceptible de provoquer des réactions épidermiques.
Nicolas Sarkozy a ainsi demandé aux préfets de procéder «sans délai» à l’expulsion des étrangers condamnés pour les violences commises depuis deux semaines dans les banlieues, qu’ils soient détenteurs, ou pas, d’un titre de séjour en bonne et due forme. Le ministre a même avancé des chiffres : il a affirmé que 120 personnes étaient déjà dans ce cas. Cette annonce a immédiatement provoqué un tollé dans l’hémicycle.
La proportion réelle d’étrangers qui figurent parmi les fauteurs de troubles, condamnés ou pas, est déjà une source d’interrogations. Les associations estiment que les 120 personnes citées font partie des interpellés, pas des condamnés. La police parle simplement d’une centaine d’étrangers interpellés. Et la justice ne donne pas d’estimation des étrangers condamnés. Mais le problème vient aussi, pour les détracteurs du ministre de l’Intérieur, du fait qu’en faisant cette déclaration, il lie de manière dangereuse les violences dans les banlieues à l’immigration et qu’il revient sur la réforme de la «double peine».
Le secrétaire national du Parti socialiste, Malekh Boutih, a estimé que «l’essentiel des personnes mises en cause dans ces violences ne sont pas étrangères et, pour une bonne partie d’entre elles, même pas des enfants d’immigrés. Il s’agit donc bien d’un reniement de principe sur l’abrogation de la double peine dont Nicolas Sarkozy se gargarisait depuis plusieurs mois». Cette procédure qui permet d’assortir une condamnation pénale d’une interdiction du territoire, a fait l’objet d’une réforme en 2003. C’est d’ailleurs Nicolas Sarkozy qui l’avait menée. Ces modifications avaient limité les possibilités d’expulsion pour les étrangers présents en France depuis très longtemps (avant l’âge de 13 ans) ou ayant leur famille dans le pays. La décision de renvoyer les étrangers condamnés dans le cadre des émeutes urbaines apparaît donc, dans ce contexte, comme un retour en arrière.
Une procédure «illégale»
Les expulsions de condamnés sont censées être justifiées par une «nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique». En clair, la gravité des actes commis par les fauteurs de troubles permettrait, selon le ministre de l’Intérieur, de remettre en cause la protection dont bénéficient un certain nombre d’étrangers résidant en France. Mais les associations ne sont pas du même avis. La ligue des droits de l’homme a notamment déclaré que cela était «complètement illégal parce que c’est une expulsion collective et que ce type d’expulsion est interdit par la Convention européenne des droits de l’homme». D’autre part, les exceptions prévues en 2003 concernaient des faits très graves comme la participation à des actes terroristes. Ce qui ne correspond pas à l’accusation de «troubles graves à l’ordre public» qui a justifié les condamnations des personnes ayant participé aux émeutes.
Reste alors la question des motivations de Nicolas Sarkozy lorsqu’il aborde de tels sujets dans une période difficile. De ce point de vue, le duel pour le leadership à droite avec Dominique de Villepin apparaît comme un élément d’explication pour ses prises de position. Face à une opinion qui semble convaincue de la nécessité d’être ferme face aux responsables des émeutes -les sondages l’indiquent-, le ministre de l’Intérieur a saisi une opportunité de se positionner par rapport au Premier ministre sur un sujet qui préoccupe les Français : l’immigration. Et cela, au risque de brouiller un peu plus les pistes. Nicolas Sarkozy a, par exemple, récemment pris position en faveur du vote des étrangers aux élections locales. Ce qui peut apparaître contradictoire avec ses déclarations sur les expulsions. Sauf à remettre tout cela dans un grand pêle-mêle qui ne peut, vraisemblablement, s’ordonner que dans la perspective des échéances électorales à venir. La seule ligne directrice étant peut-être celle de la stratégie du «parler vrai» que Nicolas Sarkozy adapte suivant les événements et le public qu’il veut séduire.
par Valérie Gas
Article publié le 10/11/2005 Dernière mise à jour le 10/11/2005 à 19:40 TU