Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Médecine

Première greffe partielle du visage

Le professeur Jean-Michel Dubernard (G) aux côtés de son patient, Denis Chatelier, greffé des mains et avant-bras en 2000. 

		(Photo : AFP)
Le professeur Jean-Michel Dubernard (G) aux côtés de son patient, Denis Chatelier, greffé des mains et avant-bras en 2000.
(Photo : AFP)
Le professeur Jean-Michel Dubernard, en collaboration avec l’équipe de Bernard Devauchelle du Centre hospitalier universitaire (CHU) d’Amiens, vient de réaliser la première transplantation partielle de la face (nez, lèvres, menton) à partir d’un donneur en état de mort cérébrale. Cette première mondiale est aussi une première à haut risque, tant sur le plan médico-chirurgical que sur le plan psychologique.

La receveuse, une femme de 38 ans gravement défigurée après une morsure de chien, a subi une greffe dimanche 27 novembre. La greffe était une «allogreffe» du triangle facial comprenant le nez, les lèvres et le menton: les gestes ont porté sur l'ensemble «des tissus composites: de la peau, des tissus sous-cutanés, de petits muscles de la face et des éléments artériels et veineux». D’après l'équipe médicale, les lésions dont elle était victime étaient «invalidantes au niveau de l’élocution et de la mastication, et extrêmement difficiles, voire impossibles, à réparer par les techniques de chirurgie maxilo-faciales habituelles». La transplantation, dont elle a bénéficié avec l’accord des deux familles, a été réalisée à partir d’un greffon prélevé sur une «donneuse multiorganes en état de mort encéphalique».

«La patiente est en excellent état général et l’aspect du greffon est normal», ont indiqué hier le CHU d’Amiens où la greffe a été effectuée et les Hospices civils de Lyon où la patiente a été transférée pour recevoir un traitement complémentaire. Mais le PrJean-Michel Bernard tient à rester prudent: «Au plan technique, on est un peu dans l’inconnu, (…). Au plan immunologique, il me semble qu'il faut associer une greffe de moelle osseuse du même donneur pour éviter le rejet de greffe de peau», a-t-il déclaré. Cette greffe de la moelle osseuse est prévue. Si l’intervention, très lourde, s’est bien passée, il va maintenant falloir attendre pour être assuré d’un véritable succès: «on devrait savoir à la fin de la semaine si ça tient, s’il n’y a pas de rejet massif», a déclaré le PrLaurent Lantieri de l’hôpital Henri Mondor de Créteil, qui projette lui-même de réaliser une greffe de la face. Et, quoiqu’il en soit, la receveuse devra prendre des médicaments anti-rejet à haute dose et à vie. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), qui fait autorité pour de tels protocoles, a été sollicitée.

Mondialement connu pour avoir déjà réalisé la première greffe du pancréas en 1976, puis celle d’une main en 1998, avant de réaliser celle de deux avant-bras en 2000, le PrJean-Michel Bernard s’était montré confiant, dès 2003, sur la possibilité d’envisager une greffe d’une partie du visage. Il avait déclaré publiquement que c’était «techniquement possible. [Mais] on ne se lance pas dans la greffe de face pour faire un coup, on fait ça dans l’intérêt du malade». Une greffe de la face soulève d’autres questions d’ordre éthique et psychologique, comme le soulignent les psychiatres, car la patiente devra faire le deuil de l’identité perdue et s’approprier un nouveau visage.

«Greffer un organe d’un mort fait intervenir l’aspect Frankenstein»

En effet, cette femme va se découvrir et devoir vivre avec un visage qui n’est plus le sien, ni celui de la donneuse, mais avec un visage hybride. Le PrMaurice Mimoun, spécialiste de chirurgie reconstructrice (Paris), relève l’aspect émotif du débat. Il souligne le fait que «l 'aspect psychologique reste complexe. (…). Le degré de souffrance des patients n'est, souvent, pas proportionnel à la défiguration. Et il y a la question à laquelle on ne peut répondre avant que ce soit fait: un homme ou une femme peuvent-ils vivre une vie agréable avec le visage d'un mort ? ». Le psychiatre et psychanalyste Gabriel Burloux (Lyon), très impliqué dans le suivi de patients greffés s’est exprimé: «Le visage a une fonction esthétique, relationnelle et fonctionnelle. Quand quelqu’un perd la face au sens propre, il est amputé de tout cela. (…) Si la personnalité du patient est fragile, elle peut être déstabilisée par le fait de ne plus se reconnaître. Greffer un organe d’un mort fait intervenir l’aspect Frankenstein, le fait d’être habité par un autre». Un suivi psychologique extrêmement solide s’impose dès lors «pour que le sujet considère que c’est son cerveau qui commande».

Le CCNE, «défavorable à un projet de reconstruction d’un visage par allotransplantation»

Sollicité en mars 2004 par le chirurgien Laurent Lantiéri, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), avait rendu un avis «défavorable à un projet de reconstruction d’un visage par allotransplantation de tissus composites» pour tous les risques que cela pouvait engendrer sur le plan à la fois médico-chirurgical et psychologique, mais avaient laissé une porte ouverte en insistant sur le fait que cela relevait du «domaine de la recherche et de l’expérimentation à haut risque ne pouvant être pratiqué que dans le cadre d’un protocole précis». Comme sa dénomination l’indique, l’opinion du CCNE étant un simple avis consultatif, rien n’empêchait donc juridiquement le PrJean-Michel Dubernard de poursuivre ses travaux.

Cette première greffe de la face a été pratiquée «en accord avec l’Agence de biomédecine», comme l’a confirmé le président du comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale du CHU d’Amiens, et à titre d’«essais cliniques» en accord avec la famille et avec l’Afssaps. Cette première expérience de greffe partielle pourrait, à l'avenir, servir à de grands brûlés, des blessés par balle ou des malades victimes de certains cancers du visage.



par Dominique  Raizon

Article publié le 01/12/2005 Dernière mise à jour le 01/12/2005 à 16:43 TU