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Sommet Afrique-France

Trouver des terrains d’entente

Une rue de la capitale malienne, à l'heure du Sommet Afrique-France.(Photo : AFP ISSOUF SANOGO)
Une rue de la capitale malienne, à l'heure du Sommet Afrique-France.
(Photo : AFP ISSOUF SANOGO)
Un sommet réussi évite les questions qui fâchent. Il ne se conçoit pas non plus sans résolution finale. Les diplomates français et africains ont entrepris jeudi de s’entendre sur les thèmes de discussions qui seront abordés par la trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement attendue à Bamako. La rencontre se pimentera sans doute de sujets plus brûlants en conclave ou en apartés, les 3 et 4 décembre. Mais c’est en toute diplomatie que commerce équitable et émigration entreront dans l’ordre du jour du Sommet des Chefs d’Etat.

De notre envoyée spéciale à Bamako

Des sommets «françafrique» aux conclaves Afrique-France, l’horloge jadis coloniale s’apprête à sonner l’heure européenne. Le président malien, Amadou Toumani Touré a choisi de dédier ce XXIIIème rendez-vous de l’Afrique avec la France à la jeunesse africaine, «véritable concentré des difficultés que rencontre le continent», souligne le chef de la diplomatie malienne, Moctar Wane. En effet, «plus des deux-tiers de la population du continent sont des moins de 25 ans», renchérit son homologue français, Philippe Douste-Blazy. Or cette jeunesse africaine, la France forme le vœu qu’elle «soit de plain-pied dans la mondialisation».

Interdépendances

Réunis dans le Centre de conférences flambant neuf, sous la houlette de Moctar Wane, qui est chargé de remettre le projet de résolution finale au président malien, la cinquantaine de diplomates présents s’est fixé pour objectif ambitieux de «créer un environnement propice à l’épanouissement» de la jeunesse africaine. En clair, il s’agit de développement, comme c’est le cas depuis des lustres. La question est transversale, aussi bien économique que sociale ou sanitaire. Elle induit des problématiques «interdépendantes», comme le note le chef de la diplomatie française.

Il s’agit en effet d’éduquer et de former, mais surtout de voir «les jeunes devenir des créateurs d’emplois plutôt que des demandeurs d’emplois», précise Moctar Wane. Le diplomate malien insiste aussi sur la nécessité de mieux rémunérer le travail agricole pour ralentir l’exode rural. C’est un problème crucial au Mali très dépendant de son or blanc. Les quelque 3,3 millions de Maliens qui vivent du coton sont en effet de plus en plus affectés par la très forte volatilité de son cours. Bamako dénonce avec la plus grande vigueur les subventions que les producteurs du Nord concèdent à leurs propres cotonniers. Il n’est pas sûr que Paris soit aussi déterminé.

«Face à l’iniquité des règles commerciales concernant en particulier le coton», la XXIIIème conférence Afrique France doit réagir d’une manière ou d’une autre, s’impatiente Moctar Wane. A la veille de la réunion de l’Organisation mondiale du commerce à Hong-Kong, il estime qu’il faut «purement et simplement supprimer ces subventions». En attendant, selon le rapport 2005 de la Banque africaine de développement, «la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) pourrait enregistrer près de 70 milliards de francs CFA de pertes sur la commercialisation de la récolte 2004-2005».

Dotée du monopole d’achat, d’égrenage et de commercialisation du coton malien, la CMDT a payé 210 francs CFA le kilo les 617 000 tonnes de coton produites pendant la campagne 2004-2005. Les prix se sont effondrés sur le marché international. La CMDT a révisé ses prix à la baisse. Mais au-delà d’un certain seuil, outre la menace d’explosion sociale, c’est aussi la baisse assurée de la production et encore un peu plus de chômage.

Rencontre eurafricaine sur l’immigration

«Ma fille aussi est au chômage…c’est vrai, nous n’avons pas de travail à vous offrir», répond le président Amani Touré aux jeunes, invités au palais avant le Sommet. Dans ces conditions, nulle «mesure répressive ou dissuasive» n’empêchera le Mali de rester terre d’émigration, souligne le chef de la diplomatie malienne. Moctar Wane estime plus efficace de «s’accorder autour d’une table», entre pays du Nord et du Sud. A cet effet, les ministres réunis à  Bamako suggèrent la «convocation d’une réunion eurafricaine, ainsi que l’a proposé récemment le président Amani Touré à l’occasion de sa tournée en Europe».

La tragédie de Ceuta et Melilla est dans tous les esprits. Le durcissement des lois européennes qui régissent l’immigration aussi. En particulier en ce qui concerne l’ancienne métropole coloniale française. Quelque 70 000 Maliens vivent en situation régulière en France et 30 à 40 000 sont passés à travers les mailles du filet sécuritaire. Philippe Douste-Blazy s’envole vendredi matin pour une visite éclair à Kayes, aux confins nord-ouest du Mali, une région où l’émigration est un passage obligé pour entrer dans la vie active.

Lancé en octobre 2003, le programme français de co-développement mise, sans grand succès, sur l’incitation au retour. En fait, «travailler au pays» pourrait être le slogan des jeunes africains qui ont fait le déplacement de Bamako. Encore faudrait-il que leur hypothétique travail reçoive un salaire significatif et que les diplômés-chômeurs puissent investir leurs connaissances dans le secteur productif. Pour l’heure, vu du Mali, l’échange reste inégal et le commerce guère équitable. A défaut d’insertion dans l’univers salarié, les jeunes sont condamnés à l’informel, qui ne rapporte rien au Trésor public. En ces jours de conciliabules internationaux, certains hantent les abords des hôtels et des centres de conférence, en quête de quelque petite tâche rémunérée.

L’Afrique connaît aujourd’hui moins de guerres ouvertes qu’hier. Le conclave diplomatique de Bamako demande aux chefs d’Etat de profiter de ce répit pour se pencher sur la réinsertion des enfants-soldats, chair à canon habituelle des politiciens. Un rapport des Nations unies, présenté jeudi à Dakar, affirme à ce propos que la guerre reste «le plus grand pourvoyeur d’emplois en Afrique de l’Ouest». «Cabri mort n’a pas peur de mourir», disent les jeunes Ivoiriens. Reste à leur donner quelque chose à perdre pour qu’ils renoncent aux équipées armées.

Observatoire de la jeunesse

Le président malien Amadou Toumani Toure
(Photo : Monique Mas/RFI)
Bamako pourrait promouvoir la création d’un observatoire de la jeunesse, pour assurer le suivi des différentes résolutions ou recommandations qui sortiront du Sommet. Un centre africain de lutte contre le sida et les maladies annexes pourrait aussi voir le jour pour une mise en commun des expériences africaines. Celles-ci sont en effet bien différentes d’un pays à l’autre. Entre le 1,9% de taux de prévalence du sida au Mali et les 21, 5% en Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire voisine atteint les 8,1%.

Soucieux de la question et bardé d’insignes aux couleurs de la lutte contre le sida, le président Amani observe qu’en dix ans, l’Afrique du Sud est passée d’un niveau de prévalence comparable à celui du Mali jusqu’à son pic actuel. Mais au Mali, «le sida n’est pas un tabou, la tolérance pour les malades est même partagée par les imams», dit-il. C’est un bon point pour la prévention à l’ordre du jour du sommet, avec la perspective de lancer des campagnes de vaccination contre les maladies opportunistes qui dépeuplent les villes et les campagnes africaines, multipliant les orphelins et frappant au premier chef la population active.

Jusqu’à présent, le fléau du sida a épargné le Mali. Il ne manque pas de bras et les matières premières ne font pas défaut en Afrique. Reste à employer les énergies et à transformer les ressources naturelles. Mais en fin de compte, «la mobilité des hommes est aussi vieille que le monde», relève le président malien, «aucune politique économique ou sociale ne peut arrêter définitivement l’immigration», et a fortiori, aucun mirador ni aucun barbelé. 


par Monique  Mas

Article publié le 02/12/2005 Dernière mise à jour le 02/12/2005 à 09:19 TU