Bicentenaire de la bataille d’Austerlitz
La République prend ses distances
(Photo: AFP)
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Selon l’Elysée, l’agenda officiel ne le permettait pas: Jacques Chirac est retenu à Bamako où se tient le sommet Afrique-France. Dominique de Villepin –pourtant grand admirateur de Napoléon, il lui a consacré un ouvrage Les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice aux éditions Perrin– est, lui, en déplacement à Amiens. Opportunité politique ? Visiblement, le contexte ne se prête guère à célébrer un personnage de plus en plus controversé. A l’heure où certains députés de droite relancent le débat sur les aspects positifs de la colonisation française et après deux semaines d’émeutes dans les banlieues, Jacques Chirac préfère jouer la prudence.
Le quotidien Le Monde rappelle que, l’an dernier déjà, les cérémonies pour le bicentenaire du sacre impérial s’étaient également «déroulées a minima». Seuls quelques directeurs de cabinet avaient assisté à une messe en l’église de La Madeleine puisque «l’Archevêché n’avait pas souhaité que la cérémonie se déroule à Notre-Dame de Paris, lieu du couronnement». Les thuriféraires de Napoléon déplorent que, cette année encore, les festivités soient réduites à la portion congrue. La grande exposition prévue au musée des Armées dans l’enceinte des Invalides, à Paris, a été annulée, officiellement pour des raisons de budget. Un son et lumière et une parade militaire des Saint-Cyriens sont organisés place Vendôme, au pied de la colonne de la Victoire érigée en souvenir de la plus grande bataille remportée par l’empereur. Seule la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie y assistera au nom de l’Etat, avant de se rendre en République tchèque, sur les lieux mêmes de la bataille.
Napoléon accusé d’esclavagisme
Aujourd’hui, la République redoute tout comme Lamartine, en 1840, que les «cendres impériales ne soient pas assez froides», pour aborder le sujet. Car dans le pays qui se targue d’être celui des droits de l’Homme, comment expliquer que l’on encense Napoléon qui a rétablit l’esclavage en 1802, alors que la Constituante l’avait aboli en 1794 ?
Dans un ouvrage au vitriol Le crime de Napoléon paru, hier, aux éditions Privé, l’auteur d’origine guadeloupéenne Claude Ribbe n’hésite pas à comparer les méthodes de l’empereur à celles de Hitler. Membre du Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais (Collectifdom), Claude Ribbe joint par téléphone, reconnaît que ce sont «les faits qui doivent choquer», et non le fait qu’il les dénonce. Jusqu’à ce jour, être spécialiste de Napoléon signifiait être pour l’empereur.
C’est en polémiste que Claude Ribbe détaille les méthodes d’extermination employées contre les Noirs, «qui nous rappellent forcément celles utilisées par les nazis», dit-il sans ambages. Pour la première fois, des populations civiles ont été gazées au dioxyde de soufre dans les cales des bateaux. Des déportations ont eu lieu à l’île d’Elbe et en Corse. Et si on associe toujours Napoléon à son Code civil, Claude Ribbe, lui, ne manque pas de rappeler que pour les ultramarins (les habitants d’outre-mer), l’empereur français a rédigé un Code Noir. Il ne fait donc aucun doute pour les descendants de ces populations que Napoléon Ier a agi en dictateur et en criminel. Claude Ribbe reproche à l’Etat français d’avoir, pendant 200 ans, occulté les faits gênants, mais se félicite que la République commence à prendre ses distances avec les ouvrages hagiographiques.
Bien avant la parution de son livre, hier jeudi, il en a adressé un exemplaire à Dominique de Villepin. Ceci pourrait expliquer en partie cela, c’est-à-dire un silence assourdissant autour d’un anniversaire embarrassant. Pour Claude Ribbe, «la voie d’Amiens est la bonne». Son absence est appréciée par les Français d’outre-mer. Le Collectifdom appelle, demain samedi 3 décembre, à une manifestation devant les Invalides qui abritent le tombeau de l’empereur.
par Françoise Dentinger
Article publié le 02/12/2005 Dernière mise à jour le 02/12/2005 à 10:23 TU