Sommet Afrique-France
Jacques Chirac : «Notre relation ne sera jamais banale !»
(Photo: Monique Mas/RFI)
De notre envoyée spéciale à Bamako
Le président malien, Amadou Toumani Touré n’a pas marchandé son hospitalité samedi matin, allant et venant sur le tapis rouge installé devant le Centre international de conférence où la mise en eau de la fontaine centrale a été compromise par un problème électrique, semble-t-il. Juste avant son arrivée, des services d’ordre exaspérés avaient fait dégager, par une dépanneuse, une voiture importune garée au point d’arrivée des invités. Convivial dans son ample boubou bleu roi, le président malien a donné l’accolade à chacun des 21 chefs d’Etat africains qui ont répondu à l’appel de Bamako. Il a ensuite salué l’assemblée, une main levée, à l’instar d’un Jacques Chirac quelque peu assommé par le soleil de plomb.
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Avant le huis-clos de l’après-midi, trois allocutions présidentielles étaient au menu, à commencer par celle de l’hôte malien, «ATT», comme l’a appelé, «affectueusement et respectueusement», Jacques Chirac, intervenu en dernier, avant la lecture de «l’adresse de la jeunesse africaine aux dirigeants» faite par une jeune fille camerounaise. Le président gabonais, Omar Bongo, a remplacé au pied levé le président en exercice de l’Union africaine (UA), le Nigérian Olusegun Obasanjo attendu dimanche à Bamako. Il s’est exprimé entre l’hôte et l’invité, le président malien précisant qu’à Bamako, «le Mali n’accueille pas l’Afrique et la France. Il reçoit plutôt la France au nom de l’Afrique».
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Le décor posé, la voix des griots chantant ATT et son «cher ami Jacques», tutoyé pour marquer sa contribution «personnelle dans la pérennisation de la relation Afrique-France, un maillon important de la relation Afrique-Europe». C’est du reste ainsi que Paris entend orienter sa politique africaine, le président malien abordant par ce biais la question de la dette. Celle-ci reste en effet un fardeau pour de nombreux pays malgré «l’annulation récente concernant quatorze pays». D’autres remises de dettes sont déjà programmées par les institutions de Bretton Woods. Le président français a donc pu, samedi matin, s’engager à soutenir cette option aux côtés du président Bongo qui suit le dossier de très près, sans grand risque pour Paris.
Lutter contre l’immigration clandestine
Pour des raisons historiques, linguistiques et géographiques, à l’instar de la France, «l’Europe est un allié naturel de l’Afrique», relève ATT, avant d’aborder l’épineux sujet de l’émigration. 16, 3 millions de saute-frontières sont en mouvement à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique, note-t-il. Pire encore, les projections des experts indiquent que, d’ici 2025, «un Africain sur dix vivra hors de son pays d’origine». Avec la mondialisation, la vague risque de s’amplifier et le président malien est d’accord avec Jacques Chirac pour tenter de «démanteler les réseaux d’immigration clandestine derrière lesquels se cache un commerce odieux et mafieux».
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Amadou Toumani Touré retient aussi, comme une voie à explorer, la nouvelle formule d’incitation au retour baptisé «co-développement» à Paris. Il se félicite de la promesse de Jacques Chirac qui s’est engagé, samedi, à veiller personnellement à la délivrance de visas de longue durée à entrées multiples pour favoriser la circulation des «entrepreneurs, cadres, chercheurs, professeurs ou artistes» francophones. Des gouttes d’eau dans la mer du sous-développement, qui engendre l’exode de la jeunesse africaine. Ce que le président relève à sa manière en affirmant haut et fort : «Nous ne tairons jamais les bienfaits de cette émigration légale, dont on parle peu», mais qui rapporte au Mali, bon an mal an, «120 milliards de francs CFA, soit 180 millions d’euros» de transferts financiers.
ATT est un chaud partisan de l’organisation «d’une conférence entre l’Europe et les pays d’Afrique concernés par l’émigration». Il faudra d’abord régler la question de la participation du président zimbabwéen, Robert Mugabe, bienvenu à Bamako, mais paria dans les pays du Nord, en particulier dans l’Union européenne (UE), où le Royaume-Uni le voue aux gémonies, depuis que sa réforme agraire s’est transformée en chasse aux fermiers blancs. Pour se maintenir au pouvoir, l’ancien combattant de la liberté du Zimbabwe cède en effet à une démagogie parfois sanglante, concernant la question foncière. Il a également entrepris de nettoyer les villes de leurs pauvres. Au Zimbabwe comme partout ailleurs en Afrique, les villes sont les centres du pouvoir, au détriment du monde rural.
«L’urgence, explique Jacques Chirac, c’est de permettre l’éclosion d’une classe moyenne». Pour ce faire, poursuit-il, «il faut multiplier les centres d’apprentissage et de formation professionnelle qui répondent à de vrais besoins et créent des emplois qualifiés», par exemple, dans les secteurs du transport, du bâtiment ou de la santé. Mais il faut aussi, ajoute le président français, que «les paysans africains reçoivent la juste rémunération de leur travail». Jacques Chirac ne renie pas pour autant le libéralisme. Mais il suggère que l’Afrique puisse bénéficier en quelque sorte de «la clause de la nation la plus défavorisée».
La promesse de 0,7% du PIB
«La France consacrera un milliard de dollars» au projet du Fonds monétaire international (FMI) qui a promis des facilités aux pays qui souffrent de la volatilité des cours des matières premières. Au passage, Jacques Chirac presse «les Etats-Unis de supprimer les subventions à leurs producteurs de coton». Un appel qui ne coûte rien à la France mais qui réjouira sans doute les 33 producteurs africains de coton, ruinés par la chute des cours. Le sujet est brûlant au Mali. «Allons-nous continuer à semer du coton en Afrique pour récolter des déficits, pendant que d’autres, plus nantis, sèment pour récolter des subventions», s’indigne ATT.
Si le Premier ministre britannique, Tony Blair, a fait monter les préoccupations africaines au sommet du dernier G8, Jacques Chirac a déjà engagé le président russe, Vladimir Poutine à faire de même, la prochaine fois à Saint-Petersbourg, avec une mobilisation dans trois domaines: «la formation professionnelle, les infrastructures, la valorisation des ressources du sous-sol». En la matière, la Russie a, elle aussi, beaucoup d’expertise et de relations économiques en Afrique, legs de l’ex-Empire soviétique. En attendant, Paris remet le couvert avec la très ancienne promesse de consacrer, à l’aide publique au développement, 0,7% de son produit intérieur brut. Cette fois, c’est promis pour 2012. D’ici 2015 pour l’UE. Mais le président français insiste: il faut trouver d’autres sources de financement pour le développement.
«Les efforts budgétaires seront insuffisants» pour combler le fossé. «Il faudrait au moins doubler l’aide publique mondiale et la porter à 150 milliards de dollars par an», dit-il. C’est une grosse enveloppe. Mais en même temps, c’est «modeste au regard des ressources nouvelles que crée la mondialisation». Il faut mobiliser de nouveaux moyens de financement. «A la pointe de ce combat, la France instituera en 2006 un prélèvement de solidarité sur les billets d’avion qui rapportera chaque année plus de deux-cents millions d’euros», annonce Jacques Chirac. Il convient quand même du caractère symbolique de l’entreprise et «invite tous les Etats intéressés à venir à Paris, en février, pour une conférence consacrée à cette question, de façon à rendre le mouvement irréversible». Jusqu’à présent en effet, les participants du dernier G8 et ceux du sommet anniversaire des Nations unies ont éludé poliment la question.
«Ne pas laisser les jeunes sur le bord de la route»
Pour sa part, Omar Bongo estime que le Gabon fait beaucoup pour ses jeunes, du berceau jusqu’à l’entrée dans la vie active. Le sujet semble plutôt l’agacer. Certains «se plaignent du matin au soir, gronde-t-il, la jeunesse doit comprendre que nous sommes tous passés par là et si elle veut reprendre le flambeau, elle doit d’abord assumer ses responsabilités». La remarque est sans doute allé droit au cœur de la porte-parole des jeunes Africains, Marie Nkom Tamoifo. «Nous nous réclamons de vos vingt ans », lance-t-elle aux dirigeants réunis à Bamako, cherchant l’inspiration du côté des combattants de la liberté et des artisans du panafricanisme.
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Que signifient en effet les querelles en nationalité qui ravagent une partie du continent, à l’heure où «se construit une nouvelle citoyenneté mondiale ?» Les jeunes africains réclament «leur place à cette tribune», explique la jeune Camerounaise, mais aussi dans leurs institutions nationales et dans la répartition foncière. De quoi en effet soulever la grogne de la vieille garde, peu pressée de voir émerger une relève. Jacques Chirac a chaudement félicité Omar Bongo pour sa «brillante réélection». Pour autant, relève le président français, «rien ne serait plus dangereux que de laisser les jeunes Africains sur le bord de la route. S’ils devaient prendre la voie sans issue de la contestation violente et des idéologies extrémistes, l’Afrique serait en grand péril et le monde en déséquilibre».
par Monique Mas
Article publié le 03/12/2005 Dernière mise à jour le 03/12/2005 à 15:44 TU