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L’islamiste Lionel Dumont devant ses juges

Lionel Dumont, entouré des hommes du GIPN, arrive au Palais de Justice de Douai. 

		(Photo: AFP)
Lionel Dumont, entouré des hommes du GIPN, arrive au Palais de Justice de Douai.
(Photo: AFP)
Qui va-t-on juger au terme des dix jours que durera le procès ? Un islamiste ou un gangster ? Lionel Dumont encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour «tentative de meurtre sur agents de la force publique, vols avec armes, tentative de destruction de biens par explosifs et association de malfaiteurs». Il aurait participé à huit actions du gang de Roubaix entre janvier et mars 1996.

Le prévenu est arrivé au palais de justice escorté de motards et de deux voitures de police remplies d’hommes en armes. A la barre, Lionel Dumont s’est déclaré «sans profession et sans domicile fixe». Neuf ans après les faits, il doit répondre d'actes relevant du droit commun.

Au procès des survivants du gang, en 2001, Lionel Dumont avait déjà été condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité et trois de ses complices à des peines allant de 18 à 28 ans d’emprisonnement. L’accusation accréditait alors la thèse d’une «entreprise criminelle» dans laquelle l’islam n’était qu’un «alibi culturel». Les policiers français restent, quant à eux, convaincus de l’appartenance de Lionel Dumont et de ses complices à une cellule terroriste.

Arrêté à Munich (Allemagne), en décembre 2003, l’extradition de Lionel Dumont vers la France, en mai 2004, met un terme à une cavale des plus rocambolesques, entre la Bosnie et l’Asie.

En 1996, il dirige un groupe d’une dizaine d’hommes originaires de la région de Roubaix, qui s’est illustré dans une demi-douzaine de braquages à main armée contre des supermarchés, des banques et des fourgons de transport de fonds, tuant un automobiliste et blessant grièvement trois policiers et un convoyeur. Equipés de fusils mitrailleurs, de grenades et d’un lance-roquettes, ils tirent à bout portant sur tout ce qu’ils trouvent sur leur passage. Le 29 mars 1996, un attentat à la voiture piégée à proximité du commissariat de Lille où se tient le G7 fait long feu. Le lendemain, les policiers du Raid donnent l’assaut contre la maison de Roubaix où le groupe s’est réfugié. Plutôt que de se rendre, quatre périront carbonisés et deux seront grièvement blessés. Absents lors de l’opération, les autres membres de la bande prennent la fuite. Christophe Caze, considéré comme le chef, est tué dans une fusillade avec des gendarmes belges. Omar Zemmiri, qui avait fui avec lui, est arrêté. Dumont se réfugie en Bosnie avec Mouloud Boughelane.

Tous les membres du gang avaient un parcours clairement politique. Au début des années 90, la plupart d’entre eux s’étaient connus en Bosnie, dans les rangs des moudjahidines combattant les Serbes.

«Un routard de la guerre sainte»

«Un routard du terrorisme, qui ne s’est jamais écarté des chemins du jihadisme international», affirme un responsable des services antiterroristes. «Il n’y a pas de liens entre Lionel Dumont et des groupes terroristes actifs», répond son avocat maître Thierry Lévy.

Né en 1971, dans une famille catholique modeste de Tourcoing, il est le cadet de huit enfants. Sa sœur le décrit comme «un jeune homme sensible, idéaliste, rêveur et ne supportant pas l’injustice». Après son baccalauréat, il entame des études d’histoire qu’il arrête au bout d’un an. Il fait son service militaire à Djibouti durant lequel il se porte volontaire pour une mission humanitaire en Somalie. Il en revient révolté contre l’Occident.

Il fréquente la mosquée fondamentaliste Dawa à Roubaix. Il se convertit à l’islam en 1993. Lionel devient «Bilal» ou «Abou Hamza». Chauffeur routier pour l’ONG Aide directe en Croatie, il rejoint, en 1994, le bataillon des moudjahidines arabes dirigé à Zenica (Bosnie) par l’émir algérien Abou el-Maali. Après les accords de Dayton (Etats-Unis) en 1995, qui partagèrent la Bosnie-Herzégovine en deux entités, Dumont «a eu le sentiment d’être trahi par les politiciens», explique maître Lévy. «C’est devenu un soldat perdu». 

Sept années de cavale effrénée

Après sa fuite en 1996, c’est encore en Bosnie qu’il trouve refuge. Arrêté en 1997 pour une attaque à main armée et condamné à vingt ans de réclusion dans le pays, il s’évade de la prison de Sarajevo en mai 1999, à la veille de la date prévue pour sa remise à la France. Il gagne l’Asie où il aurait renoué avec la mouvance islamiste côtoyée lors de la guerre de Bosnie. Il séjourne ensuite en Malaisie et en Indonésie et sera aidé par la Jemaah Ismaliah, organisation terroriste impliquée dans les attentats de Bali qui firent 202 morts en 2002.

Il se rend ensuite au Japon. De juillet 2002 à septembre 2003, Lionel Dumont s’installe à Niigata avec sa seconde épouse, une Allemande d’origine portugaise. Il multiplie les allers-retours entre Singapour, la Malaisie et la Thaïlande. Il rencontre Mr X.., responsable d’une entreprise d’import-export de voitures, lequel est en contact avec Zouhier Choulah, un vétéran bosniaque et membre du groupe de l’islamiste du GIA algérien Fatah Kamel, qui dirigeait depuis le Canada une  structure logistique de jihadistes. Un réseau étroitement lié au gang de Roubaix.

Lionel Dumont est finalement arrêté sur un parking d’hôtel à Munich, en septembre 2003. Une enquête, confiée au juge Bruguière, a été ouverte en France pour éclaircir la longue cavale de Dumont, durant laquelle le prévenu aura vécu sous une dizaine d’identités.

Aujourd’hui, dans sa cellule, Lionel Dumont lit le Coran, Newsweek et Courrier international. Il prend des cours d’allemand et de philosophie. Agé de 34 ans, les yeux bleus, cheveux châtains, visage glabre, « c’est toujours Lionel », affirment ses sœurs qui ne le jugent pas.

Selon le journaliste français Jean Hatzfeld, grand reporter au quotidien Libération, qui a rencontré Dumont en Bosnie, «Lionel avait besoin d’un engagement (…) En d’autres temps, il aurait pu être anarchiste, maoïste ou trotskiste. L’islam n’a été que conjoncturel dans son itinéraire». Les jurés devront trancher. Il risque la prison à vie.



par Françoise  Dentinger

Article publié le 05/12/2005 Dernière mise à jour le 23/04/2008 à 13:01 TU