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Mali

Les planteurs de coton vaincus par la mondialisation

Il neige du coton à Koutiala.(Photo: Monique Mas/RFI)
Il neige du coton à Koutiala.
(Photo: Monique Mas/RFI)
Pour 33 pays africains et tout particulièrement pour un pays sahélien comme le Mali, le coton est une source vitale de revenus monétaires pour les producteurs. L’or blanc est aussi un vecteur de développement jusqu’ici sans substitut. Mais au Sud les prix payés aux producteurs de coton sont laminés par les subventions versées à ceux du Nord. En revanche, le pétrole et les biens manufacturés suivent leur cours, à la hausse. Et, pour les planteurs maliens, l’or blanc est aujourd’hui symbolique d’un échange inégal qui leur interdit toute perspective de développement.
De notre envoyée spéciale au Mali

Dans l'usine d'égrenage, les machines sont américaines.
(Photo: Monique Mas/RFI)
La neige de coton blanchit les arbres et court dans les rues de Koutiala. Les quatre usines d’égrenage de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) tournent à plein régime, dans le vacarme des aspirateurs qui éjectent les cailloux mêlés aux fleurs de coton avant de séparer la fibre des graines revendues aux éleveurs (32 000 francs CFA la tonne), pour nourrir le bétail. Nettoyées de leurs impuretés, voire peignées lorsque le matériel le permet, les précieuses fibres sont mises en balles sans attendre, avant d’être rapidement livrées à la clientèle nationale, mais surtout étrangère, qui a passé commande, au cours du jour, auprès des services commerciaux de la CMDT. Celle-ci est promise à une privatisation exigée depuis plusieurs années par les bailleurs de fonds. Mais les autorités maliennes entendent d’abord passer le cap électoral 2006-2007. En attendant, elles s’efforcent de contenir la grogne cotonnière qui agite les campagnes, et, notamment les cercles de Koutiala et de Yorossou, régions frontalières de la Côte d’Ivoire et du Burkina.

Les graines de coton seront vendues comme aliment pour le bétail.
(Photo: Monique Mas/RFI)
La CMDT est une société mixte constituée par l’Etat malien (40%) avec l’héritière de la Compagnie française de développement des textiles (CFDT), la Dagris (Développement agricole du Sud, pour 60%). Cette année, la CMDT prévoit de traiter 150 000 tonnes de coton-graine – sur les 650 000 tonnes produites en moyenne les bonnes années par l’ensemble des producteurs de coton du Mali. La récolte a commencé depuis octobre. Elle se poursuivra jusqu’en mai prochain. La campagne passée, la compagnie a payé 210 francs CFA le kilo de coton aux producteurs maliens, une opération à perte sur le marché mondial, où, tous frais payés, l’or blanc malien lui est revenu à 583 dollars la tonne, pour des recettes atteignant seulement 550 dollars la tonne. Cette année, la CMDT achète le coton national entre 150 et 160 francs seulement.

Face aux producteurs du Nord qui jouent la quantité et sauvegardent leur niveau de vie élevé grâce au bouclier des subventions, la qualité du coton malien ne fait pas la différence. La logique commerciale comprime chaque jour un peu plus la rémunération des producteurs maliens, qui peinent à conduire leur coton à maturité, avec des moyens antédiluviens, sous un ciel chauffé à blanc, dans le mugissement du bétail affamé et assoiffé par la parcimonie des pluies. Bon an, mal an, le Mali continue pourtant à mettre quelque 250 000 tonnes de fibre de coton sur le marché mondial. Le reste, 68% du coton-graine livré par les planteurs, part en déchets et en aliment-bétail, sous la forme de graines encore enrobées de filaments.

Au passage, la volatilité des cours pourrait avoir encouragé les autorités maliennes à réprimer la contrebande du coton ivoirien, mélangé au stock national. En tout cas, l’année dernière, dans la métropole régionale, Sikasso, plusieurs hauts-cadres de la CMDT ont été officiellement sanctionnés après avoir été pris la main dans le sac du coton passé en fraude, depuis le début de sécession ivoirienne. Le va-et-vient des transporteurs en tous genres n’en continue pas moins à la frontière, entre le Nord ivoirien contrôlée par les Forces nouvelles ivoiriennes et le Mali.

La chute des prix du coton ne permet plus aux familles d'envoyer leurs enfants à l'école.
(Photo: Monique Mas/RFI)
S’il demeure un trésor de guerre pour ceux qui ne l’arrose pas de leur sueur, l’or blanc est aujourd’hui une pomme de discorde entre les autorités maliennes et leurs administrés. En perdant près d’un quart de sa valeur marchande, le coton a diminué d’autant les maigres revenus monétaires des familles villageoises. Mais celles-ci n’ont pas d’autres cultures de traite à lui substituer. Alors, en ce début de décembre, à mi-chemin du bitume fatigué qui franchit les quelque 250 kilomètres entre Sikasso (au Sud-Est) et Bamako, c’est-à-dire à des lustres et à mille lieues du marché international, un patriarche et une poignée de jeunes-gens poursuivent leur cueillette, le dos cassé, la main fatiguée, un sourire avenant pour le visiteur.

Cette année, les revenus tirés de l’hectare et demi de coton ne permettront pas à la quarantaine de Touré de boucler son budget familial. Contrairement à ce que le patriarche espérait, il faudra renoncer à mettre un ou deux enfants de plus à l’école. Il faudra faire accepter aux jeunes les caprices du temps et la disette. Mais même si le champ de mil produisait de quoi remplir toutes les bouches, «l’Homme ne vit pas que de mil», dit-on, dans ce Sahel du XXIème siècle. Les craintes et le mécontentement sont identiques, dans la région de Mpessoba, au nord-est de Sikasso.

Les bonnes années, le rendement du coton peut atteindre les 700 kilos à l’hectare. Cette année, à défaut d’un arrosage pluvial suffisant, Moussa a récolté presque moitié moins, 200 kg seulement sur son demi-hectare. Pour arriver jusque chez lui, dans un hameau voisin de Mpessoba, à moins d’être un oiseau ou de prévoir une très longue expédition, il faut prendre la route de l’Ouest à Bamako et rejoindre Ségou, carrefour avant le pays Dogon et, tout au nord, la Saharienne Tombouctou. Mais pour rallier Mpessoba, il faut bifurquer plein sud à Ségou et franchir le Bani, gentil affluent du grand fleuve Niger, avant de s’enfoncer entre les marigots désormais à sec pour cause de désertification galopante et de pression démographique.

(Photo: Monique Mas/RFI)
Là, comme partout dans le pays, après l’alerte rouge des mois désertés par la pluie, les prix à la consommation sont montés en flèche, les cours du pétrole se surajoutant à la pénurie alimentaire. Mais Mpessoba, ignore tout des lois du marché international qui l’étrangle. Mpessoba est hors jeu et n’en souffre que davantage de la surproduction des mieux dotés qui lui font «libre» concurrence. Au grand registre international des cultivateurs et des éleveurs, ceux de Mpessoba sont confinés dans une tradition paysanne qui intéresse quand même les autorités maliennes, soucieuses de désamour électoral, sinon d’éventuelles «jacqueries».

Dans l’immédiat, en attendant de pouvoir envoyer un jour leurs enfants à l’école, pour déchiffrer les arcanes de la «marchandisation» du monde, les producteurs de Mpessoba demandent des comptes à la CMDT, interlocuteur familier dans les régions cotonnières que sa flotte de camions bâchés jaune d’œuf sillonnent jour et nuit. Et les temps sont durs. Pour ramasser le coton-graine, à défaut de bras disponibles dans la famille, il faut compter 750 francs CFA par jour pour un adulte et 400 pour un enfant. En outre, «les intrants achetés à la CMDT sont de plus en plus chers et de moins en moins efficaces», accuse Ousmane.

«Même les semences sont de mauvaise qualité, se plaint un ancien, le coton a moins de fibre qu’avant». En plus, «tu manges ton argent avant d’être payé», explique un troisième. Entre le moment où le coton est ramassé chez les producteurs par la CMDT et celui où il est effectivement commercialisé, les planteurs peuvent «attendre des mois, jusqu’à un an parfois, avant de voir la couleur de leur argent». La plupart n’ont pas d’autres sources de revenus monétaires «pour payer les dettes et les taxes, envoyer au moins un enfant à l’école, pour se soigner, pour acheter les condiments…». Certains villages se sont déjà vidés de leurs jeunes. Pour eux, «il n’y a pas de jachères à mettre en exploitation, pas de champs familiaux à partager, pas de place».

La demi-douzaine de villages installée dans l’orbite de Mpessoba vit au jour le jour, souvent à crédit. Pour avoir quelque menue monnaie, il a fallu brader le mil, haut perché sur des tiges où l’épi résiste, là où celui du maïs ou du sorgho succombe à la soif. «Hier, au marché, j’ai dû racheter du mil à 50 francs le kilo», se plaint un cultivateur qui déclare tirer 150 000 francs CFA par an de son hectare et demi planté de manguiers et d’orangers. En pleine saison, les fruits pourrissent souvent par terre, faute de moyens de transport pour les mettre sur le marché national. De toute façon, les conserveries, les fabriques de jus et autres confituriers sont rares. Le marché international est hors de portée.

Pour éviter le dur labeur exigé par les champs de coton, il y a une dizaine d’années, Moctar a planté un demi hectare d’eucalyptus pour le bois d’œuvre. Il faut encore lui laisser le temps de pousser. En attendant, il vend du bois de chauffe. A Mpessoba, la charretée de bois de manguier se négocie 750 francs CFA.

L'armée des baobabs se profile dans la savane broussailleuse.
(Photo: Monique Mas/RFI)
Là où la désertification n’a pas encore mis les roches à nu, les grands néré aux fleurs de mimosa ombragent le bord des routes. Les graines cachées dans leurs longues gousses sont pilées en pâte, condiment nutritif utilisé dans les sauces locales. Vu le coût de la vie, le cube Maggi n’est plus compétitif.

Sur la route de Fana, à l’Ouest de Bamako, passé la forêt classée de la Kaya et ses jeunes plantations de teck et d’eucalyptus, l’armée des baobabs se profile à l’horizon. Un peu partout, manguiers, anacardiers et karité se partagent les faveurs des villageois qui se sont rapprochés des rubans de bitume pour exposer leurs sacs de charbon de bois et leurs piles de longues bûches. «C’est du bois de coupe, mais on épargne les manguiers et les karités», explique un père de famille fier de son potager de piments et d’aubergines. Une jeune femme construit le four où le karité sera séché avant mille et une manipulations harassantes permettant d’extraire le beurre, vendu à prix d’or par les fabricants de cosmétiques du Nord.

Entre deux travaux des champs, les femmes bâtissent des fours pour sécher les noix de karité avant d'en extraire le beurre.
(Photo: Monique Mas/RFI)
Coton biologique, beurre de karité naturel, le vent écologique qui souffle aujourd’hui sur le marché international servira-t-il un jour la prospérité d’un pays où l’eau disparaît en fumeroles, à l’heure du thé ? Le gaz et l’électricité pour tous, ce n’est visiblement pas pour demain au Mali. Trop chers, bien sûr, au prix du marché. Hors de prix aussi, vu du Mali, les infrastructures et les machines-outils qui ont façonné les avantages du Nord. Pour autant, il est incompréhensible que leur travail ne vaille rien, aux yeux des cotonniers maliens et de leurs épouses, occupées entre deux récoltes à malaxer les noix de karité. Au bord de la route d’un développement plus que jamais hypothétique, les Maliens des champs s’interrogent sur les mystère de la valeur ajoutée qui transforme, quelque part, leur misère en pluie d’or.  


par Monique  Mas

Article publié le 12/12/2005 Dernière mise à jour le 12/12/2005 à 16:26 TU

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