Ouganda
L'opposant Besigye défie le président Museveni
(Photo : AFP)
Libéré sous caution lundi, en attendant la poursuite de son procès pour viol et sa comparution pour trahison vendredi prochain, devant la Haute Cour, le presque quinquagénaire a tenu son premier meeting de campagne mardi, à Kayunga, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Kampala. Dénonçant les procès civils et militaires engagés contre lui comme des menaces politiques brandies par une «justice aux ordres», le docteur Besigye riposte sur le même terrain. «Museveni a été déclaré coupable par une Cour internationale», enchérit-il. En décembre, la Cour internationale de justice (CIJ) a en effet reconnu l'Ouganda coupable de violations des droits de l'Homme, mais aussi de pillages et d'atteintes à la souveraineté nationale de la République démocratique du Congo (RDC). «Quelle trahison plus grande que d’engager nos troupes au Congo, où des milliers de nos soldats sont morts, et cela, en se passant de l’avis du Parlement exigé par la Constitution ?» lance Kizza Besigye.
Le docteur Besigye risque la peine de mort dans le procès pour viol engagé contre lui par une femme qui l’accuse de l’avoir «forcée à avoir des relations sexuelles», alors qu’elle était âgée de 20 ans, fin 1997, mais aussi de l’avoir contaminée avec le virus du sida et d’avoir en quelque sorte reconnu les faits en l’aidant à avorter. L’opposant dément en bloc toutes ces charges. Fin novembre, il avait déjà versé la caution de 10 millions de shillings (4 650 euros) exigée par la Haute Cour, en échange de sa mise en liberté provisoire. La justice militaire était parvenue à le clouer en prison un mois de plus, en l’accusant, lui et 22 co-inculpés, de terrorisme et de détention illégale d'armes. Mais, lundi, un juge de la Haute Cour a déclaré ce maintien en détention «illégal» et fait libérer Kizza Besigye. Ce dernier invoque désormais cette décision de justice pour preuve du régime de «répression» qu’il dénonce.
Londres coupe les vivres à Kampala
«Ce gouvernement est en train de sombrer, nous devons lutter par tous les moyens pour ramener la bonne gouvernance dans notre pays», répète Besigye à ses partisans venus l’acclamer, sous les bombes lacrymogènes, à sa sortie de prison. Besigye est un «couard qui a lâché l’armée nationale» - où il avait rang de colonel -, «il n’est pas capable de maintenir l'ordre et la sécurité dans le pays», rétorque l’homme fort de Kampala, le tombeur de Milton Obote en 1986, Yoweri Museveni, quelque peu effarouché, quand même, par l’impact de l’affaire sur l’aide internationale.
Le 19 décembre dernier, en effet, la Suède a annoncé qu’elle suspendait le versement de 65 millions de couronnes (environ 7 millions d’euros) d’aide budgétaire à l’Ouganda, «à la lumière de développements négatifs en matière de démocratie dans le pays». Le lendemain, l’ancienne puissance tutélaire britannique a supprimé à son tour quelque 22 millions d’euros d’aide budgétaire. Elle a aussi renvoyé aux lendemains des élections une promesse de quelque 7,5 millions d’euros. Londres se fait du souci sur «l’engagement du gouvernement ougandais vis-à-vis de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse et de la liberté d’association, suite à l’arrestation de Kizza Besigye».
Pour combler son trou budgétaire, le gouvernement ougandais vient d’annoncer qu’il va emprunter plusieurs dizaines de millions de dollars à la Banque centrale d’Ouganda. «Lorsque les Africains meurent, les bailleurs de fonds ne prennent pas le temps de comprendre les problèmes, ils prennent juste des décisions superficielles et pas sérieuses», s’irrite Museveni. De fait, le chef de l’Etat ougandais a largement perdu au Congo-Kinshasa son rang de bon élève de la Banque mondiale, même s’il reste un précieux pourvoyeur de main-d’œuvre docile et bon marché pour les multinationales de la distribution américaine. «Nous avons fait une erreur de réduire le budget de l’armée» à 1,9% du PNB, à la fin des années quatre-vingt-dix, sur leurs pressantes recommandations, regrette Museveni. «La conséquence en est que notre peuple a continué à souffrir des attaques dans le Nord», poursuit-il, en invoquant la rébellion de l’Armée de résistance du seigneur (LRA), son dernier argument militaire depuis l’élimination des rebelles ougandais de RDC.
Visiblement, Museveni se sent plutôt démuni, à la veille de son premier scrutin multipartite. A son challenger Besigye, il propose «un atterrissage en douceur». Dans ce petit arrangement entre adversaires, il voit Besigye reconnaître en particulier les accusations de trahison en échange d’une amnistie. «Si Besigye fait cela, je m’assoirai à ses côtés et ferai abattre un taureau en son honneur», plaisante Museveni. Reste que pour Besigye, conformément à la loi ougandaise, se déclarer coupable vaudrait renonciation à sa candidature. Dans ces conditions, il n’a guère de raisons de sacrifier au festin taurin, sur le perron d’une présidence où s’incruste Museveni.
par Monique Mas
Article publié le 04/01/2006 Dernière mise à jour le 04/01/2006 à 17:14 TU