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Otages

Marie Seurat s'en prend au juge Bruguière

Le 22 mai 2002, jour anniversaire de l'enlèvement de Michel Seurat, M. Kauffmann et Mme Seurat avaient déposé avec quatre anciens otages du Liban une plainte contre X « pour crimes d'enlèvement et de séquestration aggravée ».(Photo : AFP)
Le 22 mai 2002, jour anniversaire de l'enlèvement de Michel Seurat, M. Kauffmann et Mme Seurat avaient déposé avec quatre anciens otages du Liban une plainte contre X « pour crimes d'enlèvement et de séquestration aggravée ».
(Photo : AFP)
La veuve de l’ex-otage français au Liban -mort en captivité au début de 1986- se bat depuis 20 ans pour récupérer la dépouille mortelle de Michel Seurat. Le rapatriement du corps de son époux en France est une condition sine qua non pour pouvoir entamer un réel travail de deuil. Elle dénonce « le silence de mort » du juge anti-terroriste alors qu’une information judiciaire est en cours depuis 2002.

Pourquoi tant de lenteurs de la justice ? Et, existerait-il une justice « à la tête du client » ? Ces questions hantent Marie Seurat. L’histoire remonte à  20 ans : le Liban est alors en guerre civile depuis dix ans. Le 22 mai 1985, deux hommes, un journaliste, Jean-Paul Kauffmann, et un sociologue, Michel Seurat, sont arrêtés et kidnappés à l’aéroport de Beyrouth. Trois ans après, Kauffmann est libéré. Seurat, lui, « rongé par le cancer et les privations », selon le témoignage de Kauffmann, son compagnon de cellule, meurt en captivité -sans que lumière soit faite sur les circonstances exactes (décès ou exécution). Il laisse une femme et deux enfants, et son corps ne leur sera pas, jusqu’à ce jour, restitué.

Le Quai d’Orsay assure, en 1993, poursuivre « très activement » les contacts pour son rapatriement, mais le corps du défunt reste otage des ravisseurs –le djihad islamique pro-iranien. Libéré, Jean-Paul Kauffmann exhorte alors les gouvernements français et libanais à redoubler d’efforts et à rendre la dépouille mortelle du chercheur à sa famille, afin que cette dernière puisse réaliser son indispensable travail de deuil : « Depuis toujours les hommes ont besoin de leurs morts pour qu’ils continuent  de vivre au milieu des vivants », souligne-t-il dans sa plaidoirie.

« J’ai besoin que les assassins soient désignés par la justice et condamnés ».

Combien peut coûter un otage mort ? Marie Seurat se le demande. Son désarroi est total quand elle apprend que des corps d'otages américains, morts en captivité, dont les commanditaires des rapts ont été identifiés et condamnés, sont restitués à leurs familles. Elle en déduit : « cela revient à dire que les assassins de mon mari ont déjà été désignés par la justice américaine », et elle déclare à la presse, en 1993, que : si « les Américains ont réussi à récupérer les dépouilles de deux de leurs otages morts au Liban  (…) le gouvernement (français) manque de volonté pour trouver une solution à cette affaire, car négociation veut dire marchandage. Tant qu’il n’y a pas de marchandage, il n’y a pas de solution. Ils ont marchandé pour des vivants (les otages français libérés), ils n’ont qu’à le faire au rabais pour une dépouille ».

Le 22 mai 2002, cinq anciens otages français au Liban dans les années 80 (Roger Auque, Jean-Paul Kauffmann, Marcel Carton, Georges Hansen, Jean-Louis Normandin) ainsi que Marie Seurat et ses deux filles déposent, ensemble, une plainte contre X auprès de la justice française pour « enlèvement et séquestration aggravés en relation avec une entreprise terroriste ». Depuis, l’information judiciaire en cours n’a « reçu aucune suite ». Pourtant aujourd’hui, dans une interview accordée à Libération, Marie Seurat martèle : « j’ai besoin que les assassins soient désignés par la justice et condamnés. Sinon, il n’y aura pas de repos possible ».

Le magistrat Bruguière, un juge « désinvolte »

Le 25 octobre dernier, Marie Seurat se croit proche du but : le ministère des Affaires étrangères lui annonce soudain, après quatre années de silence total, que des restes mortels pouvant être ceux de son mari ont été découverts, et que le juge antiterroriste chargé de l’affaire, le juge Bruguière, est « en possession de spécimen osseux en vue des tests ADN qui doivent déterminer l’identité de la dépouille ». Chaud-froid : depuis cette annonce, c’est à nouveau  « un silence de mort », déplore Marie Seurat laquelle n’a, à ce jour, reçu « aucun détail supplémentaire ».

Avec l’espoir, la blessure est rouverte, et Marie Seurat dénonce avec véhémence, dans une lettre au Garde des Sceaux, publiée dans le Journal du dimanche, « la désinvolture du juge antiterroriste Bruguière » ayant en charge son dossier. Elle met en balance d’une part  l’énergie déployée par la France au Liban, instigatrice de la commission d’enquête de l’ONU sur l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, et d’autre part les lenteurs et les silences qui entourent sa requête. Les deux lettres de relance sont restées sans réponse.


par Dominique  Raizon

Article publié le 10/01/2006 Dernière mise à jour le 10/01/2006 à 18:55 TU