Grippe aviaire
Sur la piste de la mutation
(Photo : AFP)
Avec la grippe aviaire quelque chose a changé. Les scientifiques ont désormais les moyens de suivre l’évolution du virus pas à pas, avant même l’apparition d’une véritable épidémie humaine. Cela ne représente pas une garantie pour éviter la terrible mutation qui pourrait, à un moment ou un autre, transformer l’épizootie en pandémie, mais cela permet au moins de ne pas relâcher l’attention. Le chef de la délégation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) envoyée en Turquie, Guénaël Rodier, estime que c’est «la première fois dans l’histoire de l’humanité» que l’on est ainsi en mesure de traquer un virus de manière aussi précoce.
Cela permet à la fois d’étudier la propagation de la maladie et de surveiller le comportement du virus. Et de ce dernier point de vue, les spécialistes du laboratoire de référence de l’OMS, à Mill Hill en Grande-Bretagne, ont mis en évidence, il y a quelques jours, l’apparition d’une légère mutation du H5N1. L’examen des prélèvements réalisés sur les deux premières victimes de la grippe aviaire en Turquie a montré que l’une d’entre elles était porteuse d’une souche qui «présente des mutations au niveau de son mode de fixation sur les récepteurs». Elle serait donc a priori plus dangereuse puisqu’elle aurait la capacité de s’attacher plus facilement sur «les récepteurs des cellules humaines que sur les récepteurs des cellules des oiseaux». En d’autres termes, cette modification génétique pourrait faciliter l’entrée du virus dans les cellules de l’homme.
Pas de conclusions hâtives
Les chercheurs restent néanmoins prudents et refusent de tirer des conclusions hâtives de cette découverte. D’abord, cette mutation est très légère et n’a été identifiée pour le moment que sur un seul malade. Ce qui tendrait à faire penser que son décès ne lui est pas lié. Ensuite, les scientifiques ne savent pas si elle a eu lieu dans l’organisme du malade ou dans celui de la volaille responsable de son infection. D’autre part, rien ne prouve pour le moment que cette évolution génétique du virus accentue son caractère pathogène ou le rende transmissible entre êtres humains. D’autant qu’une mutation identique a déjà été repérée en 2003 à Hong Kong et que ce phénomène n’a, d’après les spécialistes, pas eu pour effet d’augmenter les contaminations humaines ou la mortalité due à une infection.
Il est, en effet, normal que les virus varient. Cette capacité d’évolution représente même leur caractéristique principale. Cela ne veut pas dire pour autant que toutes les mutations entraînent des catastrophes. Dans le cas présent en Turquie, la porte-parole de l’OMS, Maria Cheng, a affirmé que «rien n’indique que le virus ait changé de comportement». L’hypothèse que les choses en restent là n’est donc pas exclue, même si celle selon laquelle la mutation repérée pourrait être une première étape dans un processus d’humanisation est elle aussi envisageable.
Une chose est sûre, les scientifiques vont continuer à examiner avec la plus grande attention toutes les évolutions du virus, en Turquie notamment. De manière à repérer sans tarder les indices susceptibles d’accréditer l’une des hypothèses. En attendant, mieux vaut se garder d’extrapoler. La situation est déjà en l’état suffisamment préoccupante puisque ces derniers jours on a encore recensé de nouveaux décès vraisemblablement dus à la grippe aviaire : un en Turquie et deux en Indonésie (dont un reste à confirmer). Au total, 80 personnes sont mortes à cause de H5N1 sur un total de 149 ayant été infectées depuis 2003.
par Valérie Gas
Article publié le 17/01/2006 Dernière mise à jour le 18/01/2006 à 17:11 TU