Cinéma d’Asie
Carnet de bord d’un juré, à Vesoul
(Photo : Laurence Aloir/RFI)
Jeudi 9 février : Un grain dans l’oreille
(Photo: DR)
La fille sur la photo est coréenne et elle vend du kimchi sur son triporteur. Le chou fermenté étant aux Coréens ce que la cocaïne est au vendeur de pneus de Medellin, jusque là rien que de très normal. Sauf qu’ici, l’héroïne de Grain in Ear ne vit pas en Corée mais en Chine. Chaleur torride dans la grande banlieue de Pékin. Comme l’indique sa chemisette, nous sommes en été. Tout est comme au ralenti chez le réalisateur adepte des plans fixes. On en mange donc pendant près d’une heure et demie, jusqu’au long plan séquence finale où la colère contenue de l’héroïne finit par exploser. Zhang Lu n’est pas un bavard, son cinéma non plus. « Un peu comme dans les estampes, un seul trait de pinceau en dit souvent plus que de longues phrases explique ce réalisateur Chinois d’origine coréenne. Les pessimistes font souvent des comédies, les optimistes comme moi font des films tristes. »
Tristes ou pas, c’est en tous cas le meilleur de la compétition cette année -je suis difficilement objectif sur ce point vu je sais- Grain In Ear a fait l’unanimité au sein du jury de Vesoul, mais il a aussi séduit Abbas Kiarostami (Prix New Current au Festival de Pusan) et la semaine de la Critique à Cannes. Ca roule pour Zhang Lu. Le Cyclo d’or lui a été attribué en moins d’une heure de délibération. La méthode mise en place par le président du jury international a bien fonctionné. Notre cher Buddhadeb Dasgupta qui tous les soirs nous rencontrait au restaurant pour parler cinoche. Une sélection sur un coin de table comme le veut la légende : Qu’as tu pensé de celui-ci ? Moi j’ai préféré celui-là. Au final, nous n’avions plus que 3 films dans le chapeau. Re-resto et re-délibération, et un grand bravo à Zhang pour son Cyclo.
Mercredi 8 : Happy Zhang Lu
Ceux qui aiment le cinéma ont repris le train pour Paris ce matin. Les calicots rouges aux caractères chinois accrochés dans les rues du centre-ville seront bientôt retirés, même chose pour le titre du quotidien local resté sur la vitrine de l’épicier (voir photo). « Pour une fois qu’il se passe un truc à Vesoul », me disait hier la vendeuse de baskets. Et il s’est effectivement encore passé un truc cette année. Plus de 20 000 spectateurs ont partagé les cinémas venus d’Asie, c’est un nouveau record pour les organisateurs et pour l’ensemble d’une ville très largement mobilisée autour de l’événement. Résultat : on a dansé tard sous la tente des festivals cette nuit. Vesoul a la gueule de bois et en particulier les cinéphiles qui ont partagé la fête avec les équipes des films en compétition. Un moment de convivialité que l’on rencontre très rarement dans les grands festivals. Hou Hsiao-hsien, le maître du cinéma taiwanais bras-dessus, bras-dessous avec les festivaliers, et parmi les premiers à lever les bras sur la musique iranienne apportée par les copains d’Abolfazl Jalili dont le film Full or Empty a décroché deux prix (Inalco et Musée Guimet.)
Pour le jury international, le Cyclo d’or a été attribué à l’unanimité à Zhang Lu pour Grain in Ear (Chine) visiblement très heureux hier lors de la cérémonie de clôture. Le grand prix du jury revient, lui, à Erkak (Le gardien) du réalisateur ouzbek Yousoup Razykov. Dans ce conte moderne sur l’Ouzbekistan d’aujourd’hui, un adolescent accompagne, ou plutôt surveille sa belle sœur lors d’un long voyage en bus. Longue route au travers des montagnes comme dans Gilaneh de Rakhshan Bani-Etmad (prix Netpac), sauf que cette fois il s’agit de l’Iran. Les voyages qui sont visiblement très à la mode cette année puisque le prix du public va à l’Express des Steppes. Les spectateurs ont adoré la virée en train dans la steppe Kazakh d’Amanzhol Aitouarov. Tous ça fait évidemment beaucoup de monde sur l’estrade. « C’est la première fois que je monte sur une scène où nous sommes plus de 30 a plaisanté Hou hsiao hsien. » Un peu en retrait, Jeon Soo-il mon camarade du jury avait alors les yeux fixé sur la salle comble du théâtre Edwige Feuillère. « Il y a une majorité de femmes ici et quasiment pas de jeunes », constatait alors le réalisateur sud-coréen. Pour une fois, la ménagère de 50 ans n’était pas devant TF1.
Lundi 6 février : Une nuit au néon
(Photo : Stéphane Lagarde/RFI)
On peut encore faire le poirier à 62 ans. Le président du jury nous l’a encore prouvé cette nuit. La vie nocturne étant plutôt calme passé 22 h 00, il faut bien s’occuper. Les néons de la nuit vésulienne se résument essentiellement à l’enseigne de la pharmacie sur un trottoir mouillé. Nous sommes là bien loin des mégalopoles asiatiques. Je me souviens encore du regard désespéré de mon camarade réalisateur Jeon Soo-il le premier soir. Difficile de reprendre goût à la tranquillité de cette petite commune française (18 000 habitants), quand on vient du grand port sud-coréen de Pusan (5 millions d’habitants.) L’idée des désormais traditionnels « apéro moquette » dans nos chambres d’hôtel, c’est lui ! Assis en tailleur entre le lit et le radiateur, un bout de fromage, du jus de pomme, du soju (alcool coréen) et nous voilà partis pour des discussions à n’en plus finir. Le cinéma, l’amour, la vie ou encore comme hier soir les médecines orientales. Et vas-y que je te masse le pied, que je te dessine la carte des points d’acupuncture dans la main, sans compter donc cette démonstration de yoga à 5 h 00 du matin par le génial Buddhadeb Dasgupta : preuve que l’on peut avoir été une célébrité du 7ème art et garder la tête sur terre. C’est fatigant finalement un festival. Il y a les soirées chansons avec les Iraniens au restaurant, la discothèque avec les Kazakhs, ou encore la gentillesse de certains festivaliers. Qui a dit qu’on s’ennuyait à Vesoul ? Pour les invités venus de très loin, les particuliers (à commencer par les organisateurs) n’hésitent pas à ouvrir leur porte. C’était le cas l’autre soir. Une habitante nous a reçu chez elle, quarante personnes autour d’un repas asiatique.
Dimanche 5 février : Madame Hou
(Photo: Stéphane Lagarde/RFI)
Et pendant ce temps là, les projections s’enchaînent. Trois aujourd’hui rien que pour la compétition, il ne reste donc plus que deux films à voir avant que le jury international ne rende sa décision. Si jamais il tient jusque-là, car visiblement la cuisine franc-comtoise ne convient pas à tous les estomacs. Deux membres sont malades dont le président Indien. Buddhadeb Dasgupta ne boit plus que du thé, il trouve que le poisson des restaurants alentours manque de fraîcheur. Aujourd’hui la cuisine aussi est mondialisée explique pourtant Hou hsiao-hsien lors de la conférence de presse. « Prendre un espresso à Taipei, c’est aussi simple qu’en France affirme le réalisateur de Three Times. A Shanghai et à Pékin en revanche, il faut faire la queue parce que c’est la mode. » Une manière de moquer « certains réalisateurs chinois (qui) ne font qu’imiter l’occident. » « Avant les gens étaient nés de la nature, aujourd’hui ils naissent de la société poursuit le Taiwanais. Je veux continuer à faire des films simples avec plein d’énergie dedans. » Au bout de la salle Madame Hou relève la tête. Sur une feuille blanche elle a griffonné les bouches qui flottent comme des nuages sur l’affiche du festival. Elle n’a pas dit un mot.
Samedi 4 février : Bunso
(photo : DR)
Yannick par exemple qui s’occupe du bon déroulement de chaque séance. « C’est bon pour le doc en salle 4 ? On y va pour le film en compétition en salle 5 ! » Il court, il court et puis quand il a le temps il va jeter un œil sur le parking. Les plaques d’immatriculations sont formelles. Ici une voiture de Lausanne, là un car d’Allemands et puis bien sûr toute
Les joues rondes, l’œil rieur, Joselyne aussi est bénévole. C’est elle qui conduit dans sa grande voiture les membres du jury. Hôtel, projections, sorties, et bien sûr tout ce qu’elle peut de cinéma. Joselyne est cinéphile ça oui, et grâce à elle nous sommes arrivés à temps aux documentaires vendredi soir. Merci, merci. Qu’aurions nous manqué là ! Nous en avions entendu parler après sa diffusion en Corée du Sud cet été, le très attendu Bunso, le cadet est enfin arrivé à Vesoul plein écran. Le jury international ne récompensant que les fictions, nous pouvons sortir de notre réserve. Un conseil : allez-y, les yeux grands ouverts. Dans ce documentaire intimiste sur la situation des enfants incarcérés aux Philippines, Ditsi Carolino filme avec une infinie douceur le terrible quotidien des mineurs confrontés à la dureté des adultes. Nuit à même le sol dans des cellules surpeuplées, partage de la nourriture à midi… « On est heureux quant il pleut », dit l’un des jeunes protagonistes. Tous les prisonniers dansent alors entre les gouttes, c’est leur première douche en dix jours.
Vendredi 3 février : « J’aime beaucoup les steppes »
(Photo : Stéphan Lagarde/RFI
Preuve peut-être que les Français ont besoin d’un ailleurs ? Preuve surtout du long travail pédagogique auprès des scolaires également très nombreux aux séances. « Il y a des festivals faits à Paris par des boîtes de communication, et d’autres qui sont profondément ancrés dans leur ville », est-il écrit en préface du catalogue 2006. Vesoul fait définitivement partie de la seconde catégorie. Voilà peut-être pourquoi notre spectateur a lui aussi décidé de prendre sa voiture pour venir boulotter de la pellicule cette semaine. Il faut dire qu’il n’a pas trop le choix. Après douze éditions, l’événement a finit par prendre de la ceinture. L’ancien lieu de projection au centre-ville était devenu trop petit, il a fallu déplacer la programmation au Majestic à l’entrée de la ville. Cannes, Berlin et Venise ont leur palais des festivals, Pusan (Corée du Sud) et Vesoul ont désormais leur multiplexe. Alors évidemment, ce n’est pas ce qu’il y a de plus joli vu de l’extérieur un multiplexe, mais qu’est-ce que c’est confortable à l’intérieur ! Et si les invités (journalistes, acteurs, réalisateurs) préfèrent pour l’instant retourner au centre-ville après les films, ils devraient finir par s’habituer. Après tout, c’est aussi un peu l’Asie ce grand hangar posé au milieu de nulle part. D’un côté la voie rapide qui ceinture l’ouest de la ville, de l’autre des hôtels pour VRP et un lycée ; avec la brume sur la région vallonnée, il flottait là, hier soir, comme un air de déjà vu. Un air de steppe, pardi !
Jeudi 2 février : Gilaneh est arrivé !
(Photo : Stéphan Lagarde/RFI)
Mercredi 1er février : « Les bronzés ? I don’t know ! »
(Photo: Stéphane Lagarde/RFI)
Tiens ! En parlant de bronzé, en voilà un que l’on a croisé ce matin au supermarché en quête d’une crème hydratante. Le froid de l’hiver vesoulite ? Non, la climatisation pendant le voyage ! Une sacrée trotte : 20 heures depuis Calcutta, en passant par Delhi, Bombay, Paris, puis le train jusqu’ici. Cela valait bien la « big room » réclamée par l’intéressé à son arrivée à l’hôtel. « Une grande chambre pour faire de l’exercice », nous a-t-il précisé. Véritable célébrité à Vesoul depuis sa première venue au festival en 2001, adulés par les cinéphiles du monde entier depuis Uttara (prix du meilleur réalisateur à Venise en 2000), Buddhadeb Dasgupta est un grand amateur de yoga. Sourire détendu et poignée de main chaleureuse à la vendeuse de cosmétiques. La semaine prochaine, l’auteur des Chroniques indiennes ira présenter à Berlin son dernier film. Pour ce qui est du Patrice Leconte et des 950 écrans dans toute
par Stéphane Lagarde
Article publié le 01/02/2006 Dernière mise à jour le 10/02/2006 à 08:49 TU