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Religion

Les dessins de la colère

La publication de caricatures de Mahomet dans des journaux danois et norvégiens ces derniers temps a provoqué l'indignation de la communauté musulmane qui appelle au boycott des produits scandinaves.(Photo: AFP)
La publication de caricatures de Mahomet dans des journaux danois et norvégiens ces derniers temps a provoqué l'indignation de la communauté musulmane qui appelle au boycott des produits scandinaves.
(Photo: AFP)
Protestations, manifestations, menaces, appels au boycott des produits scandinaves… Suite à la publication de caricatures de Mahomet par un quotidien danois en septembre dernier, puis leur reprise par un journal norvégien le 10 janvier, la vague d’indignation qui a touché l’ensemble du monde musulman n’est toujours pas retombée.

Mahomet avec un turban en forme de bombe. Mahomet entre deux femmes voilées, avec une longue barbe et un poignard menaçant. Ou encore Mahomet accueillant les musulmans au paradis avec cette phrase : « Stop, stop, nous sommes en rupture de stock de vierges ! »… Douze dessins, dont certains caricaturant le prophète, ont été publiés sous le titre « Les visages de Mahomet », le 30 septembre dernier par Jyllands-Posten, l’un des plus grands journaux du Danemark. A l’époque, les caricatures avaient choqué certains musulmans danois qui avaient organisé une manifestation en octobre et tenté d’attaquer le journal en justice. Ce dernier s’était défendu en expliquant : « Nous voulions juste mettre la liberté d’expression à l’épreuve. Nous n’avions absolument pas l’intention de provoquer ». Mais, depuis le 10 janvier, et la reprise de ces dessins dans le journal norvégien Magazinet, l’affaire a dépassé les frontières scandinaves, suscitant une vague d’indignation dans le monde musulman.

L’Egypte et l’Arabie Saoudite ont été les premières à réagir. Jeudi dernier, l’Arabie Saoudite a rappelé son ambassadeur, suivie par la Libye, samedi. Les trois pays, ainsi que le Koweït et l'Irak, ont appelé au boycott des produits danois et norvégiens. Parmi les entreprises danoises visées : le groupe laitier Arla Foods, qui a précisé le 31 janvier que ses ventes dans la région du Golfe étaient presque tombées à zéro, le groupe pharmaceutique Novo Nordisk, le fabricant de pompes Grundfos et les jouets Lego. Le Liban, le Soudan ou encore la Syrie ont exprimé leurs griefs. En Jordanie, le Parlement a appelé le 24 janvier à « châtier les auteurs des douze caricatures », tandis que le 29 janvier, l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et la Ligue arabe ont fait part de leur volonté de saisir l’Onu pour obtenir une « résolution contraignante, interdisant le mépris des religions ». Des manifestations ont eu lieu en Mauritanie et à Gaza, où des Palestiniens ont brûlé mardi des drapeaux danois et une photo du premier ministre Anders Fogh Rasmussen. Réunis à Tunis le même jour, les ministres de l’Intérieur de 17 pays arabes ont demandé au gouvernement danois de « sanctionner fermement » les auteurs des dessins. Le Conseil supérieur des oulémas (leaders religieux) du Maroc et le ministère des Affaires étrangères algérien ont tous deux « condamné » la publication.

Opportunisme des pays arabes

Le Danemark fait face à l’une des plus graves crises de son histoire contemporaine et le gouvernement se trouve ballotté au sein d’une tempête diplomatique qui ne s’est toujours pas apaisée. Lors d’un programme spécial à la télévision, lundi soir, le Premier ministre a voulu dissiper les « malentendus » et la « désinformation ». Expliquant que son gouvernement condamnait « toute action ou expression diabolisant un groupe de personnes sur la base de leur religion ou de leur appartenance ethnique », il a maintenu son cap pris depuis le début de l’affaire, invitant les plaignants à s’adresser à la justice danoise. Du côté du journal incriminé, mardi, pour la première fois, le quotidien est passé des « regrets » aux « excuses », dans une lettre ouverte aux musulmans que l’on peut lire sur son site Internet en danois, anglais et arabe. Mais, quelques heures plus tard, une alerte à la bombe obligeait le journal à évacuer ses 300 employés… La Croix-Rouge danoise a annoncé la semaine dernière avoir retiré deux de ses employés à Gaza et un au Yémen à la suite de menaces.

« Il y a plusieurs niveaux de lecture à cette histoire », explique le chercheur Bruno Etienne, de l’Observatoire du religieux à Aix-en-Provence. « Tout d’abord, il y a le débat sur l’image et la représentation de dieu dans les trois religions monothéistes. Toutes les trois, à part le catholicisme, y sont très réticentes. La représentation du prophète est interdite dans les pays musulmans. Pour autant, il existe tout de même des milliers de gravures le représentant, notamment dans l’iconographie persane, majoritairement chiite. Alors, sur cette question, que les musulmans se mettent au moins d’accord ! Ensuite, il y a le problème de la caricature, qui peut effectivement choquer les musulmans. Dans ce cas-là, si un citoyen musulman se sent insulté, il peut saisir la justice à titre individuel et il doit être protégé. Tout croyant doit être défendu. »

Quand à la réaction des Etats musulmans, quatre mois après la publication des dessins, Bruno Etienne est sans concession : « J’ai une hypothèse pour l’Arabie Saoudite. Le pays vient de se faire taper sur les doigts pour sa mauvaise gestion du pèlerinage à La Mecque, où il y a eu 400 morts cette année. C’est sa manière de faire oublier ça, de faire diversion. Il ne faut pas oublier que le pays ne cesse de diffuser le Protocole des sages de Sion, ouvertement antisémite. Que les Etats arabes qui protestent aujourd’hui et dans lesquels il n’existe pas de liberté d’expression balaient un peu mieux devant leur porte ! » Antoine Sfeir, directeur de la revue Les Cahiers de l’Orient fait une analyse similaire sur Arte : « Cette soudaine mobilisation résulte d’une récupération politique qui a sans doute pour objectif de détourner l’attention médiatique des autres problèmes d’actualité touchant le Proche Orient ».

La polémique arrive en France

Même si un vent d’opportunisme a soufflé sur les pouvoirs arabes, le ressenti au sein des populations arabes est bien réel, comme l’explique Fayçal Metaoui, le rédacteur en chef d’El Watan, à Alger. « Ici, en Algérie, cela fait grand débat. Et c’est le même sentiment qu’au Moyen-Orient qui domine : la colère. Il y a eu confusion, et considérer le prophète comme un intégriste, un terroriste, c’est très grave. Dans le monde musulman, s’il y a bien quelque chose auquel on ne peut pas toucher, c’est Mahomet. Et ce n’est pas le problème d’être islamiste, cela relève du sentiment religieux tout court. C’est comme lorsque l’on touche à l’image du Christ pour les chrétiens ou à l’étoile de David pour les Juifs. L’ambassadeur du Danemark m’a appelé car il était inquiet. Je l’ai rassuré : en Algérie, on ne va pas brûler le drapeau, on ne réagira pas par la violence. Mais les gens sont mécontents. Et je sais qu’il y a eu des commandes annulées d’Arla Foods. »

La polémique pourrait rebondir encore dans les jours qui viennent. Le quotidien français France Soir a publié dans son édition de mercredi l’intégralité des dessins « non par goût gratuit de la provocation », précise le journal, mais « parce que nul dogme religieux ne peut s’imposer à une société démocratique et laïque ». Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Dalil Boubakeur a d’ores et déjà qualifié cette publication de « vraie provocation ». Il a déclaré à l’AFP : « C’est odieux, nous désapprouvons totalement cela, c’est une vraie provocation vis-à-vis des millions de musulmans en France ».


par Olivia  Marsaud

Article publié le 01/02/2006 Dernière mise à jour le 01/02/2006 à 19:44 TU