Grèce
Les Tsiganes s'organisent en parti politique

(photo : Philippe Cergel / RFI)
De notre correspndant à Athènes
«Nous ne réclamons que le respect des engagements pris à notre égard». Tiré à quatre épingles dans son bureau au fond de l’immense bazar dont il est propriétaire, sur Iera Odos, la grande avenue qui conduit vers Aghia Varvara, l’un des quartiers à forte population tsigane de la proche banlieue d’Athènes, Vassilis Dimitriou insiste bien sur la principale revendication du «premier parti politique Tsigane dans le monde entier» qu’il vient de fonder. Le BOUCLIER – acronyme du Rassemblement Indépendant des Citoyens d’Autodétermination Particulière- dont le sigle formé de trois flèches bleue-verte-rouge représente le spectre politique grec, s’est donné pour objectif d’être «présent» lors des prochaines consultations électorales, «non pas pour gouverner mais pour peser sur les décisions». Un discours bien policé pour ce Gitan atypique qui a bien réussi en affaires après avoir quitté l’école dès le primaire pour se lancer dans le commerce, a épousé une «gadjo» en secondes noces, s’est présenté aux municipales il y a une quinzaine d’années et a relancé l’équipe de football d’un quartier qu’il a parfois pensé quitter sans jamais s’y résoudre. C’est d’ailleurs en notable fortuné, respecté et intégré qu’il entend rassembler une communauté largement sédentarisée à 70% mais vivant pour une grande majorité dans des conditions précaires.
Des conditions de vie indignes
Un Programme d’Action Globale pour l’Intégration des Tsiganes Grecs a bien été lancé en 2002 pour un montant de 308 millions d’euros sur 7 ans, financé pour deux tiers par des fonds de l’Union européenne. Il porte sur le logement, l’éducation, la santé et l’emploi mais aussi bien ses initiateurs socialistes que leurs successeurs conservateurs reconnaissent aujourd’hui que son application a pris du retard tant en raison du racisme ordinaire que des pesanteurs administratives. Il faudra encore 2 à 3 ans par exemple pour le relogement des 500 familles du bidonville de Komotini (nord) admet Thanos Vesiryannis, le secrétaire général du Ministère de l’Intérieur en téléphonant au préfet de région pour lui demander d’accélérer les choses. Mais il souligne que depuis 2002 sur 16 000 demandes de prêts de logement 5 750 ont été approuvées.
C’est bien peu aux yeux de ceux qui attendent dans les campements de fortune aux environs des grandes villes avec des conditions de vie bien éloignées de la dignité humaine et avec pour maigres moyens de subsistance les métiers traditionnels de ferrailleur ou de vendeur ambulant. Une situation qui a valu à la Grèce de nombreuses critiques d’organismes de l’ONU et du Conseil de l’Europe ainsi que deux condamnations en 2005 de la part de la Commission pour les Droits Sociaux et de la Cour des Droits de l’Homme. Des condamnations portant sur le manque de logements et de terrains d’accueil, les expulsions et les violences policières insuffisamment sanctionnées. Au Ministère de l’Ordre Public on assure que l’on a bien pris en compte les recommandations internationales, que des séminaires de sensibilisation aux Droits de l’Homme ont été mis en place pour les policiers et que des instructions ont été données pour que des sanctions plus sévères soient désormais appliquées aux contrevenants. Le ministre a même visité en octobre dernier la commune de Zephyri, à une quinzaine de kilomètres à l’ouest d’Athènes, où vivent quelque 10 000 Roma sur une population totale de 16 000 habitants.
Des propos encore peu convaincants pour Antonis Tsakiris le vice-président de l’association Rom de Zephyri qui se plaint amèrement des lourdes amendes infligées aux vendeurs ambulants pour défaut de permis nécessaire à leur présence sur les marchés alors que le Président Efthimios Dimitrou aimerait plus de clémence envers les jeunes emprisonnés notamment pour des affaires de drogue. Il reconnaît cependant que malgré la présence de quelques cabanes qu’il nous fait complaisamment visiter et une école primaire totalement «ghettoïsée», la situation s’est améliorée au cours des dernières années. Lui-même et un de ses sept enfants ont bénéficié des prêts de 60 000 euros garantis par l’état pour l’achat ou la construction d’un logement et la plupart des bâtiments sont en dur, quelques belles villas jouxtant même les masures et les préfabriqués. Une situation bien meilleure en tout cas que celle d’Aspropyrgos de l’autre côté de la montagne où des enfants jouent dans la boue et les immondices près de cabanes en contre plaqué et en plastique qui s’étendent à perte de vue sur des terrains vagues entre aciéries, raffineries et pylônes à haute tension. Les tensions avec les nouveaux immigrés d’origine grecque venus de la région de la Mer Noire et qui bénéficient d’un traitement plus favorable, accentuent un sentiment d’injustice qu’exprime le président de l’association locale Gavril Soutas à l’égard du gouvernement en général et du maire en particulier. «Le premier ministre Kostas Karamanlis n’a pas tenu les promesses faites lorsqu’il était venu avant les élections et le maire ne s’occupe pas de nous parce qu’il a été élu grâce aux voix des Russes».
Faire entendre sa voix
C’est pour faire entendre la voix des Roma au sein des conseils municipaux qui seront élus à l’automne et peut-être au Parlement qui sera renouvelé dans deux ans, que le BOUCLIER tiendra son premier congrès le 24 mai à la Saint Georges. Si l’entreprise réussit à surmonter l’obstacle des divisions inhérentes à une communauté encore largement clanique, on pourra peut-être voir augmenté un jour le nombre encore infime de Tsiganes qui échappent à la misère en devenant avocats, médecins, prêtres, militaires ou policiers grâce à une maison et une éducation décentes. Car à la question de savoir si l’intégration et la sédentarisation ne vont pas faire perdre aux Gitans leur légendaire goût de liberté, de voyage et de fête, la réponse de AntonisTsakiris fuse : «quel aveugle ne voudrait pas voir la lumière?».
par Dimitris Sidiropoulos
Article publié le 04/02/2006 Dernière mise à jour le 04/02/2006 à 13:54 TU