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Religion

Chirac dénonce la «provocation» des caricatures

Prêche anti-caricatures en Indonésie. L'émotion, dans le monde musulman, ne retombe pas.  (Photo: AFP)
Prêche anti-caricatures en Indonésie. L'émotion, dans le monde musulman, ne retombe pas.
(Photo: AFP)
Le chef de l'Etat français a réagi à la republication des 12 caricatures de Mahomet par l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, en condamnant les « provocations manifestes susceptibles d’attiser dangereusement les passions ». Ce message s’adresse aux musulmans de France et du monde entier, mais également à la presse. Au même moment, un journal iranien lance un concours de caricatures sur l’Holocauste des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Quel est le seuil de tolérance et d’indignation de l’opinion publique? Jusqu’où la liberté d’expression peut-elle aller? Les questions et les prises de position affluent depuis la publication controversée des caricatures de Mahomet, par un journal danois le 30 septembre. Or les seuils de tolérance sont très variables, selon les pays, les époques et les sujets (islam, catholicisme, homosexualité, nanisme, Tziganes, Juifs…). Le chercheur au CNRS Olivier Roy parle d’ailleurs de « géopolitique de l’indignation », un « deux poids et deux mesures » en quelque sorte. En France, la republication mercredi 8 février des dessins satiriques de Mahomet par l’hebdomadaire Charlie Hebdo, qui a d’ailleurs triplé ses ventes avec cet événement (400 000 exemplaires), a fait sortir le chef de l’Etat français de sa réserve.

Jacques Chirac a tranché. Il a fixé les limites de la liberté de la presse en la matière, tout en rappelant que « le principe de la liberté d‘expression constitue un des fondements de la République » qui repose sur « la tolérance » et « le respect de toutes les croyances ». En Conseil des ministres mercredi, le président de la République française a « condamné » ce qui est de nature à faire émerger des « provocations manifestes susceptibles d’attiser dangereusement les passions ». Ce qu’il avait déjà fait, vendredi, à la sortie de sa rencontre avec Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Alors que Boubakeur demandait aux musulmans de « ne pas céder à la provocation », Chirac avait appelé chacun « au plus grand esprit de responsabilité, de respect et de mesure pour éviter tout ce qui peut blesser les convictions d’autrui ». Il avait rappelé à l’occasion de cet entretien que « la France, pays de laïcité, respecte toutes les religions et toutes les croyances ».

Les paroles de Jacques Chirac ont pour but d’apaiser une situation tendue. En effet, depuis qu’il a découvert la publication des dessins satiriques de son prophète, une partie du monde musulman a clamé sa colère et son incompréhension et se sentant insulté, a incendié et mis à sac les bâtiments d’ambassades danoises et norvégiennes à Damas et Beyrouth. Des manifestations ont également été organisées, au cours desquelles une  dizaine de personnes ont trouvé la mort.

Réactions aux propos de Jacques Chirac

Réagissant aux propos de Jacques Chirac, certains journaux se sont dit irrités. Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo s’est déclaré « choqué » : « le discours politique a été lamentable dans cette histoire ». « Le feu, ce n’est pas nous qui l’avons allumé avec les petites caricatures, s’est-il défendu. Le feu, c’est le 11-Septembre, c’est ceux qui se réclament- j’espère abusivement- de la religion pour commettre des crimes en masse comme les attentats de Londres ou Madrid ». De son côté, Serge July du quotidien Libération s’en est pris aux « chefs d’Etat et de gouvernement occidentaux (…) dénonçant tout de go les dangereux provocateurs que seraient tous ceux prenant fait et cause pour les crayons danois ». Quant à la classe politique de ce pays très attaché à la liberté de la presse, et où la séparation de l’Eglise et de l’Etat est un principe fondateur, elle a évité d'alimenter la polémique dans un pays qui compte cinq millions de musulmans. Seul, le député socialiste Jean Glavany a réagi, protestant contre « le parallèle » « très grave » et « insupportable » fait par Jacques Chirac entre les caricaturistes et « ceux qui lancent des fatwas au nom de l’intégrisme et de l’obscurantisme ».

Respect de la ligne rouge

En matière de « responsabilité », le journal danois Jyllands Posten a estimé qu’il devait faire son mea culpa au monde musulman par une lettre en arabe publiée jeudi 9 février sur son site internet et dans la presse algérienne. Le gouvernement danois s’était aussi excusé dimanche, en adressant une lettre au grand mufti sunnite de Syrie. Les autorités du monde occidental ont toutes estimé qu’il ne fallait pas aller trop loin en matière de liberté d’expression. Avec « le sacré », il faut faire très attention, écrivait en substance Laurent Greilsamer, dans une chronique du journal Le Monde du 6 février 2006. Car les fameuses caricatures « embrasent un milliard de musulman sur cinq continents », rappelle le chroniqueur. Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale, a estimé que la religion se plaçait au-dessus des autres sujets : « il y a tout un domaine que l’on doit respecter bien davantage que les actions humaines ».

Lors d’une rencontre avec le roi Abdallah II de Jordanie à Washington, le président Georges W. Bush a pressé « tous les gouvernements à faire cesser les violences » qui ont éclaté après la parution des caricatures de Mohamet. « Qu’ils fassent preuve de respect et protègent les biens et la vie de diplomates innocents qui servent leurs pays à l’étranger », a indiqué le président américain, qui a appelé les médias « à se montrer plus responsables ». Et Laurent Greilsamer, de rappeler les mots de Bill Clinton qui, outré, disait dans une intervention au Qatar: « Il y a cet exemple affreux en Europe du Nord, au Danemark… ces caricatures totalement offensantes pour l’islam ». De leur côté, les responsables de plusieurs quotidiens russes ont estimé que cette publication était une erreur qu’ils n’envisageaient pas de commettre. Les dessinateurs danois sont protégés jour et nuit par la police, alors que les talibans proposent de l’or à qui les tueraient.

De son côté, le journal iranien Hamshahri a décidé de lancer un concours de caricatures sur l’Holocauste des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Initiative « scandaleuse », a estimé Washington, mais dont Charlie Hebdo a déjà prévenu qu’il publiera les dessins.

Récupération politique des caricatures

Si des voix, telles celles de Jacques Chirac, de Georges W. Bush ou d’Abdallah II de Jordanie, condamnent les violences faites dans le monde musulman contre le Danemark et contre d’autres pays européens, d’autres voix critiquent l’instrumentalisation de la violence par des Etats et des mouvements politiques. En d’autres termes, le politique aurait « récupéré » l’affaire des caricatures. C’est ce qu’estime la secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice, qui accuse Damas et Téhéran d’avoir « incité » à la haine anti-occidentale, en ayant « profité » de la publication des caricatures. Position exprimée aussi par le ministre danois des Affaires étrangères, Per Stig Moeller.

Que faire pour que l’onde de violences, qui enflamme le monde islamique après la publication des caricatures de Mahomet, n'embrase pas le reste de la planète ? Certains ont leur réponse. « Débattre, dialoguer sans passion, tranquillement », estime Ali al-Sammn, responsable du dialogue interconfessionnel à al-Azhar, la plus haute autorité de l’islam sunnite. Ou « que l’UE relance de toute urgence le dialogue avec le monde musulman », estimait Franco Frattini, commissaire européen à la Justice. Ce sera également le thème d’un colloque du Conseil de l’Europe en mars prochain, qui s’interrogera sur la « liberté d’expression d’une part », et « le respect des civilisations et des religions d’autre part ».


par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 09/02/2006 Dernière mise à jour le 10/02/2006 à 10:27 TU