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Tchad

Bardaï, village garnison au cœur du désert

Avec quelques centaines d’habitants et gardé par plus de deux mille militaires tchadiens, Bardaï est un village enclavé en plein cœur du Sahara. Le Tibesti, miné depuis la guerre tchado-libyenne des années 80, est en proie à une rébellion très affaiblie : celle du MDJT, née en 1998. Bardaï, entouré de plateaux volcaniques, culminant à plus de 2 000 mètres d’altitude, est un véritable défi à la nature.

De notre correspondante au Tchad

A Bardaï, ambiance militaire à côté de la résidence du préfet et à quelques pas de l'hôpital, qui vit sans médicament depuis deux ans.(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)
A Bardaï, ambiance militaire à côté de la résidence du préfet et à quelques pas de l'hôpital, qui vit sans médicament depuis deux ans.
(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)

Au terme de plus de cinq heures d’avion au-dessus du Sahara, c’est une montagne au profil lunaire qui signale que l’on est arrivé à Bardaï. Les Toubous, peuple nomade du Tibesti, l’ont nommé Goumodi, ce qui signifie «col rouge». Car lorsque le jour décline lentement, vers 18 heures, le sommet de la montagne conserve quelques minutes les rayons rougeoyants du soleil mourant. Autour de la piste d’atterrissage, une dizaine de baraquements en paille et en terre abritent les soldats tchadiens, chargés de la surveillance de cette zone stratégique. Tout autour, juchés en haut des plateaux, les militaires se relaient pour observer le relief accidenté de la vallée.

Bardaï, à plus de mille kilomètres au nord de N’Djamena, la capitale, ressemble à un village-garnison en plein cœur du Sahara tchadien. Depuis 8 ans, la région est en proie à la rébellion du MDJT, le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad. Mais celle-ci est de plus en plus affaiblie depuis la mort de son fondateur, Youssouf Togoïmi en septembre 2002 et la reddition d’Abderrazak «le para», le salafiste algérien fait prisonnier par les rebelles Toubous et relâché en septembre 2004. Depuis lors, le successeur de Togoïmi, Hassan Mardégué, s’est rallié au gouvernement avec une poignée d’hommes, tandis que Choua Dazi revendique désormais le leadership du mouvement. «Ce ne sont plus que quelques éleveurs de chèvres armés de kalachnikovs vivotant dans leurs grottes», juge un officier tchadien. Pourtant, le dispositif militaire déployé à Bardaï est impressionnant.

La fraude avec la Libye

Dans le village, seuls les picks up militaires circulent. On aperçoit, sous un palmier dattier ou garés devant une case en terre, des véhicules sur cale sans moteur, sans batterie ou sans roues, car ils ne servent plus depuis plusieurs années. Quelques centaines d’habitants vivent encore à Bardaï. En majorité des femmes et des enfants, car la plupart des hommes sont partis en Libye, au Niger ou à N’Djamena, de crainte d’être enrôlés côté loyaliste ou côté rebelle.

Quelques magasins constitués de gâchis, ou de roseaux que l’on trouve dans les ouadis, les lacs temporaires, vendent les produits acheminés par avion militaire depuis N’Djamena. Pour survivre et compléter des approvisionnements irréguliers, tout repose sur la fraude. Des commerçants, venus de Libye, traversent la frontière et apportent illégalement des denrées dans des villages situés à plusieurs dizaines de kilomètres de Bardaï, côté tchadien. Un parcours risqué que seuls des natifs de la région peuvent tenter car la région est infestée de mines anti-personnel et anti-chars posées durant la guerre entre le Tchad et la Libye dans les années 80. Aucun plan, aucune carte ne donne avec exactitude leur emplacement. Seules l’habitude et une connaissance aigüe du terrain permettent de circuler. Toutefois il n’est pas rare qu’un camion saute sur une mine, confient certains habitants. Depuis Bardaï, certains s’aventurent alors à dos de dromadaire ou d’âne pour acheter des produits à ces commerçants.

«Si tu guéris tant mieux»

L’enclavement c’est aussi l’absence d’hôpital et d’école. Depuis deux ans, le centre de santé ne reçoit plus de médicaments. Du coup, les trois infirmières, qui ont obtenu leur brevet de secouriste, doivent se contenter de délivrer des ordonnances. A charge pour les familles d’acheter les médicaments dans les deux pharmacies du village. Aspirine, anti-paludéens et autres gélules, dépourvus de notices, sont commercialisés dans les magasins à des prix plus élevés qu’à N’Djamena, d’où elles proviennent.

«On va cueillir des plantes, des goyaves, des eucalyptus pour guérir les malades», confie Clémentine, une des trois infirmières qui a enfin trouvé l’occasion de rejoindre son mari militaire, en poste depuis plusieurs mois à Bardaï. «Si tu guéris tant mieux, sinon, c’est Dieu qui t’appelle», conclut laconiquement l’infirmier de la garnison. Le seul hôpital de Bardaï se trouve chez les militaires qui sont approvisionnés en médicaments par avion. «Bardaï signifie le froid en arabe tchadien, observe un militaire en poste depuis cinq ans, mais dans l’imagerie des Tchadiens, cela veut surtout dire la guerre et l’enclavement». Comme beaucoup de ses camarades, depuis qu’il a été affecté dans cette zone, il n’a jamais revu sa femme et ses enfants. Ceux-ci ont déménagé d’un village au sud du Tchad vers N’Djamena dans l’espoir de le rejoindre par avion. Ils habitent dans des bidonvilles près de l’aéroport et attendent, chaque jour, depuis de longs mois, de vivre à nouveau en famille.


par Stéphanie  Braquehais

Article publié le 14/02/2006 Dernière mise à jour le 14/02/2006 à 12:10 TU

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