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France

Hausse de la violence contre les personnes

La méthode de mesure de la délinquance mise en place en 2003 par l'OND prend en compte les infractions relevées par l'ensemble des services de l'Etat, et non plus seulement par la police et la gendarmerie.(Photo : AFP)
La méthode de mesure de la délinquance mise en place en 2003 par l'OND prend en compte les infractions relevées par l'ensemble des services de l'Etat, et non plus seulement par la police et la gendarmerie.
(Photo : AFP)
C’est la première fois que l’observatoire national de la délinquance publie son tableau de bord: on y apprend que les biens sont de mieux en mieux protégés et que les délinquants s’en prennent de plus en plus aux personnes. Les chiffres mettent en relief une hausse de 6,6% des violences - notamment « gratuites » - faites contre les personnes et une baisse de la délinquance générale de 1,08% en 2005. Voulant affiner la « transparence » de cet outil statistique, Nicolas Sarkozy avance l’idée d’un « fichier ethnique », qui laisse sceptiques les spécialistes de la délinquance.

Les victimes et les témoins directs de crime parleraient-ils plus facilement ? Ou bien cette criminalité augmenterait-elle ? Jamais la photographie de la délinquance et de la criminalité en France n’avait enregistré une hausse aussi forte des violences perpétrées contre des personnes. Sur la période allant de février 2005 à janvier 2006, il y a eu 411 811 déclarations d’atteintes à la personne, soit une augmentation de 6,6% depuis l’année précédente, ce qui porte ces violences à 15,69% du total des cas de violences déclarées sur cette période. Fait notoire, ces violences et ces agressions à l’encontre des personnes augmentent depuis cinq ans, avec une hausse significative depuis juin 2005. C’est ce que révèlent les premiers chiffres publiés par l’Observatoire national de la délinquance (OND), créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur.

L’être humain en ligne de mire

Parmi les atteintes volontaires à l’intégrité physique, ce sont les violences dites « gratuites » ou « non crapuleuses », où le vol n’est pas un mobile, qui ont le plus augmenté : +9,22% entre 2004 et 2005. Frappé ou tué pour un délit de faciès ou un mot de trop, une cigarette refusée, pour un rien pourrait-on dire, ces violences sont les plus nombreuses : 188 514 faits en 2005, soit 42,67% de l’indicateur. Les violences « crapuleuses » (où le vol est un mobile) ont elles aussi augmenté, de 6,54%, pour atteindre 30,59% des violences signalées. Parmi elles, les menaces et chantages sont en hausse (+6,05%). Seul point positif : les violences à caractère sexuel ont régressé de 9,37%, totalisant 5,63% de l’ensemble.

A étudier les chiffres, il s’avère que les personnes se protègent moins bien que leurs biens. L’OND enregistre en effet parallèlement une baisse des atteintes aux biens, notamment depuis 2002, certainement en raison d’une meilleure protection voulue par les assureurs – serrures et alarmes en tête. Ces atteintes aux biens (vols liés aux véhicules, vols à l’arraché d’un téléphone portable dans la rue, vols à main armée, cambriolages…) ont diminué de 2,01%, soit 2 623 617 faits déclarés. A l’inverse, les destructions et la dégradation des biens (graffitis…) ont crû de 6,99%, soit 535 112 faits déclarés. Quant à la délinquance astucieuse (escroqueries et abus de confiance, falsifications et usages de cartes de crédit ou de chèques volés, non-versements de pension alimentaire, étrangers surpris en situation irrégulière…) ou aux infractions économiques et financières, elles sont en baisse continue depuis avril 2003 : -2,58% en 2005 (309 824 faits).

En tout, l’OND a recensé 9 165 faits de violences par jour en France ou 3 345 252 faits sur la période février 2005-janvier 2006. Ces statistiques ajoutent les simples déclarations de main-courante de la préfecture de Paris (5 735 déclarations, pour des querelles de voisinage, des délits mineurs, des litiges commerciaux, des différends familiaux, des accidents de la route…) et une partie des contraventions dressées par la gendarmerie (3 160 123, dont 87,33% pour infractions au code de la route).

« Statistique ethnique »

« L’outil statistique » utilisé pour mesurer la délinquance et la criminalité a été mis en place par l’OND, organisme dit « indépendant », composé de criminologues et de scientifiques, et a clarifié une méthode de comptage qui datait de 1972. Certaines voix estiment que cet outil ne reflète pas la vraie délinquance du pays. « Les chiffres sont mauvais pour le gouvernement, mais la réalité l’est encore davantage », estime la secrétaire nationale du PS à la sécurité, Delphine Batho. « Depuis les émeutes du mois de novembre, ce qui se passe dans les établissements scolaires, dans les transports en commun, et le climat de tension qui règne dans un certain nombre de quartiers, témoignent d’une situation inquiétante et profondément dégradée, dont les statistiques de police et de gendarmerie ne rendent pas entièrement compte », estime-t-elle.

De son côté, le ministre de l’Intérieur veut affiner sa méthode statistique en faisant apparaître « l’origine ethnique » des personnes mises en cause. Cette idée l’oppose au criminologue Alain Bauer, président de l’OND, qui « doute de l’intérêt » d’un tel fichier ethnique. Pour Nicolas Sarkozy, « il faut faire de la transparence. Il n’y a aucune raison de dissimuler un certain nombre d’éléments qui peuvent être utiles à la compréhension de certains phénomènes ». Mais Alain Bauer met en garde : « la création d’un fichier « ethnique » pourrait certes ouvrir des perspectives en termes d’analyse – on constate aux Etats-Unis qu’au deux tiers les Blancs tuent les Blancs, les Noirs tuent des Noirs et les Asiatiques des Asiatiques, ce qui témoigne d’une communautarisation des phénomènes criminels – mais elle aurait un grand nombre d’effets pervers ».

« S’il s’agit de rechercher des criminels, le fichier Canonge existe déjà : quand vous êtes agressé par quelqu’un, vous donnez aux policiers un maximum d’éléments pour l’identifier, du genre « il est blond » ou « il était de type asiatique » », explique Alain Bauer. « Il y a une réalité démographique : les jeunes mâles sont davantage représentés dans les populations issues de l'immigration et, par définition, sont plus remuants que les vieilles dames. Mais « en matière de criminalité, poursuit-il, c’est le criminel qui explique le crime, pas ses origines ethniques, cultuelles ». Et de conclure : un tel appareil statistique semblerait « poser plus de problèmes qu’il n’en résout ».

Même constat pour Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, qui affirme, dans un ouvrage collectif à paraître début mars (« La République mise à nue par son immigration » - Ed. La Fabrique), que « la part prise par des jeunes issus de l'immigration dans certains types de délinquance est d'abord la conséquence de leur position sociale. Ces jeunes sont avant tout des enfants des quartiers ouvriers, des fils de familles nombreuses, les moins armés scolairement et les plus précaires économiquement ».

par Gaëtane  de Lansalut

Article publié le 14/02/2006 Dernière mise à jour le 14/02/2006 à 18:10 TU