Grippe aviaire
Les pays africains démunis face au virus
(Photo : AFP)
Rien ne dit que le Nigeria est le seul pays d’Afrique où le virus de la grippe aviaire est présent. Une seule chose est sûre : c’est dans cet Etat que des volailles malades ont été détectées pour la première fois sur le continent. Et encore a-t-il fallu un certain temps pour que l’on prenne conscience qu’il s’agissait de la grippe aviaire. L’annonce officielle a eu lieu le 8 février mais le virus était vraisemblablement présent depuis au moins un mois dans le pays, d’après l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). La mort inexpliquée de volatiles a été un moment attribuée à une épidémie de choléra. Il est vrai que les élevages africains sont souvent exposés à des maladies. Et le fait que des volailles meurent subitement n’est donc pas inhabituel.
Aujourd’hui, il n’y a plus de doute sur la cause de l’épizootie. Les tests réalisés en laboratoire sur les cadavres d’oiseaux ont confirmé qu’ils étaient bien porteurs du virus H5N1, celui-là même qui a été repéré en Asie et en Turquie. On ne sait pas, en revanche, avec certitude par quels vecteurs il est arrivé jusqu’au Nigeria. Il semble probable que les oiseaux migrateurs ont joué un rôle. Certains éléments pourraient néanmoins indiquer que le transport d’animaux domestiques a lui aussi contribué à diffuser le virus dans le pays : les foyers d’infection ne sont pas tous situés à proximité des zones humides susceptibles d’accueillir des oiseaux sauvages (Lac Tchad) et ils ne sont pas forcément proches les uns des autres. Les autorités nigérianes ont confirmé que des fermes situées dans les Etats de Kano, Kaduna et Plateau (nord) étaient touchées. Elles ont aussi précisé que des analyses étaient en cours à l’Institut national de recherche vétérinaire pour établir si les oiseaux suspects repérés dans d’autres Etats du pays étaient, eux aussi, infectés par le virus de la grippe aviaire. Il s’agit des Etats de Katsina et Yobe (nord), de Sokoto (nord-ouest), du Territoire de la capitale fédérale Abuja (plus au sud) et de l’Etat voisin de Nassawara.
Convaincre les éleveurs et limiter les transports de volailles
La dissémination du virus au Nigeria a fait naître une crainte de le voir arriver dans les pays de la région, même si pour le moment aucun cas d’infection n’a été détecté ailleurs –le Niger a démenti fermement l’existence d’un foyer sur son sol qui avait été évoquée par un représentant de l’Organisation des Nations pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). La capacité limitée du Nigeria à endiguer la propagation de l’épizootie sur son territoire contribue à accentuer les inquiétudes. Plus de 150 000 volailles ont bien été abattues autour des foyers identifiés -dans des conditions d’hygiène souvent inadaptées-, mais le gouvernement n’a pas réussi à mettre en œuvre une mesure réclamée par les organisations internationales, à savoir la limitation totale des mouvements de volailles dans le pays. On assiste même, semble-t-il, au développement d’un phénomène de vente à bas prix des volailles suspectes sur les marchés qui n’ont pas été fermés. D’autre part, les éleveurs du nord du pays tentent d’écouler leurs poulets au Bénin voisin, là aussi en les bradant. Si des indemnisations ne sont pas octroyées aux producteurs dont les élevages sont frappés par le virus et auxquels on demande d’abattre leurs animaux, ce type de comportements risque de persister. Au risque de contribuer à diffuser l’épidémie.
En l’absence d’une prise de conscience des dangers par les populations, on peut donc s’interroger sur la portée des mesures de protection et de surveillance décidées par les Etats de la région. D’autant que leurs infrastructures vétérinaires et sanitaires sont limitées. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en est consciente puisque l’une de ses premières propositions au Nigeria a été d’utiliser la campagne de vaccination contre la poliomyélite, qui doit avoir lieu dans le pays, pour sensibiliser les communautés aux dangers de la grippe aviaire. Il est vrai que la décision d’interdire les importations de volailles vivantes, de viande ou de produits dérivés, que le Bénin, le Niger ou la Côte d’Ivoire ont prise, paraît presque symbolique dans le contexte africain où les frontières sont particulièrement «poreuses», comme l’a indiqué le représentant du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, Ahmedou Ould Abdallah. Ce qui rend le «contrôle des mouvements» quasiment impossible.
Pas de cas humain pour l’instant
L’aide des organisations internationales concernées (OMS, OIE, FAO) et des pays du Nord est donc indispensable pour soutenir les efforts des Etats africains. Tant en matière de dépistage, de prévention, de diagnostic que de prise en charge de l’abattage, de l’incinération des volailles et de la décontamination des foyers pour limiter la propagation du virus chez les volatiles, dans l’espoir d’éviter des contaminations humaines. Pour le moment, en effet, on n’a recensé aucune infection de l’homme en Afrique. Les deux enfants nigérians vivant dans une ferme où des volailles étaient mortes subitement, qui avaient présenté des symptômes inquiétants sont, d’après les autorités du pays, sur la voie de la guérison. Ce qui semblerait indiquer qu’ils n’ont pas contracté la grippe aviaire. Les test en cours confirmeront, ou pas, cette hypothèse.
Même si depuis plusieurs mois, les experts présentaient comme très probable l’arrivée du H5N1 en Afrique, le fait qu’il y ait été effectivement décelé fait resurgir les craintes concernant l’exposition des hommes à ce virus. On sait, en effet, que le manque d’infrastructures et de personnels vétérinaires et médicaux dans la plupart des Etats africains accroît le risque de contaminations humaines. Et l’on sait aussi que plus il y aura d’hommes infectés par le virus aviaire, plus la probabilité d’une mutation, donc de l’apparition d’une souche transmissible entre êtres humains, augmentera. Avec, peut-être, une pandémie à la clef.par Valérie Gas
Article publié le 14/02/2006 Dernière mise à jour le 14/02/2006 à 18:30 TU