Grippe aviaire
Où en sont les chercheurs ?
(Photo: AFP)
Depuis le début de la «pandémie annoncée », des responsables de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) et de l’OIE (Office international des épizooties) insistent pour que l’épizootie soit contrôlée chez les animaux. C’est pour eux l’urgence et la priorité. Le directeur général de l’OIE, Bernard Vallat, déclarait en novembre lors de la conférence mondiale de Genève : «Notre message dès le départ était : si on donnait des ressources aux pays touchés, on diminuerait la probabilité de pandémie humaine, on n’aurait pas besoin d’investir autant». Et il ajoutait : «La théorie de l’arrivée cyclique des pandémies n’a aucune base scientifique.» Du côté de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), divers officiels alternent entre déclarations alarmistes et apaisantes, n’hésitant pas cependant à avancer les chiffres les plus effrayants : entre 5 et 150 millions de morts si le virus venait à muter… L’ampleur de la fourchette reflète les interrogations qui sont pour l’instant celles des scientifiques.
« Peu d’oiseaux, et une seule souche »
«Les experts ne pensent pas tous qu’il y aura pandémie humaine», peut-on lire dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Nature. Pour certains virologues, si les virus du groupe H5 devaient muter, ils l’auraient déjà fait car cela fait des décennies qu’ils infectent des humains. D’après ces chercheurs, cela prouve qu’ils sont par nature incapables de se transmettre d’humain à humain. D’autres affirment, au contraire, que selon certaines études récentes, les H5 ne seraient pas aussi répandus que cela. Tandis que, par ailleurs, certaines recherches laissent penser que le virus aviaire H5N1 aurait déjà contaminé beaucoup plus d’êtres humains que les quelques cas recensés mais que, les symptômes étant peu sévères dans la plupart des cas, cette contamination demeurerait indétectable et non confirmée. Enfin, Michael Perdue, épidémiologiste à l’OMS, a déclaré le 10 février qu’un nombre limité d’oiseaux migrateurs auraient propagé, depuis l’Asie, une seule souche de virus H5N1 parmi les quatre identifiées : «C’est une bonne nouvelle. Cela veut dire que tous les oiseaux ne sont pas en train de propager différentes souches, et aussi que le virus arrivé jusqu’en Afrique est relativement stable. Quant à l’évolution future, qui peut savoir ? Le virus peut disparaître demain, et le risque d’infection s’arrêter.»
« Une tempête immunitaire »
Les effets du H5N1 sur les humains contaminés commencent à être mieux décrits, à partir d’expériences sur des cellules infectées en laboratoire. La souche déclencherait «une tempête» de cytokines, c’est-à-dire de cellules du système immunitaire favorisant l’inflammation : dix fois plus que lors d’une banale grippe. D’où des pneumonies et une insuffisance respiratoire pouvant être fatale. «Il semble que la maladie soit plus grave chez les personnes en meilleure santé, affirme le Dr Michael Osterholm de l’université du Minnesota (Etats-Unis). Peut-être parce que la capacité d’augmenter la production de cytokines est plus grande chez ceux dont le système immunitaire est vigoureux.» De fait, cette «tempête» est une réponse exagérée du système immunitaire. Pourquoi donc la réaction de l’organisme est-elle aussi forte ? Les scientifiques cherchent la réponse, et celle-ci sera cruciale pour la thérapie à adopter : faut-il renforcer le système immunitaire des malades contaminés par le H5N1 ou bien le moduler, c’est-à-dire l’aider à trouver une réponse mieux adaptée ? A suivre.
Vaccin risqué, molécule peu efficace ?
Reste que, pour l’heure, les réponses classiques sont limitées. Il n’y a pas de vaccin, et le Tamiflu est loin de faire l’unanimité. Pour ce qui est du vaccin, les dernières recherches financées par le gouvernement américain montrent que les formules testées n’induisent pas de réponse immunitaire suffisante ; afin d’obtenir ce que les chercheurs appellent une «stimulation» efficace, il songent à adjoindre de l’aluminium au vaccin, ce qui pourrait provoquer des effets secondaires graves. Le président du laboratoire GlaxoSmithKline vient de déclarer qu’avant de lancer une telle production à grande échelle, l’industrie pharmaceutique demande à bénéficier de garanties juridiques face aux procès prévisibles intentés par les patients peut-être guéris d’une grippe aviaire, mais ayant pu en même temps contracter de graves maladies neurologiques ou d’autres handicaps…
Quant à l’action de l’oseltamivir (Tamiflu, Relenza), elle est depuis le début considérée comme «relative», et cela seulement «chez l’adulte et l’enfant normalement en bonne santé» (document OMS). Inquiétant pour l’Afrique, où il y a «de nombreuses personnes déjà immunodéprimées et de santé fragile». D’après un médecin vietnamien, le Dr Nguyen Tuong Van, qui l’a utilisé sur 41 victimes du H5N1, «le médicament, conçu pour traiter une grippe courante, n’a aucun effet dans le cas du H5N1.» De toute façon, la molécule n’est pas utilisable chez l’enfant de moins de un an, et elle présente des risques potentiels en cas de grossesse ou d’allaitement. Des chercheurs pensent qu’il serait plus avisé de l’utiliser en même temps que d’autres médecines qui en potentialiseraient l’effet. Roche, son fabricant, se déclare disposé à explorer la possibilité de combiner le Tamiflu avec des «thérapies complémentaires». Aux Etats-Unis, la recherche officielle avance du côté des molécules naturelles tirées de plantes (curcumine, resvératrol, etc.). Mais, pour la grippe aviaire comme pour d’autres maladies, les chercheurs restent divisés sur les stratégies à explorer.
par Henriette Sarraseca
Article publié le 15/02/2006 Dernière mise à jour le 15/02/2006 à 09:12 TU